Quand la paléogénétique bouleverse l’Histoire

En une décennie la paléogénétique s’affirme comme véritable machine à remonter dans le temps. Pour comprendre cette « archéologie moléculaire », rencontre avec Ludovic Orlando, paléogénéticien et directeur de recherche au CNRS.

De Mehdi Benmakhlouf
Publication 9 mars 2021, 10:28 CET
Dans son laboratoire du Centre d’Anthropologie et de Génomique de Toulouse, Ludovic Orlando conserve des ossements anciens ...

Dans son laboratoire du Centre d’Anthropologie et de Génomique de Toulouse, Ludovic Orlando conserve des ossements anciens qu'il analyse dans le cadre de ses travaux de paléogénétique.

PHOTOGRAPHIE DE Kristoffer Finn

C’est en 1985 que tout a commencé pour la paléogénétique, durant cette année charnière, une équipe de chercheurs californiens, celle d’Alan Wilson, s’intéresse à la technique d’amplification de l’ADN par PCR (Polymerase Chain Reaction). Avec le temps, les techniques s’améliorent mais dans les années 2000 il faut tout de même des années de recherches et un budget de trois milliards de dollars pour obtenir le génome d’un être humain. Désormais, il est possible d’obtenir ce génome en un jour et les coûts ont considérablement diminué.

Outre le domaine de la paléontologie, de nombreux autres champs de recherche, comme l’écologie et l’archéologie, ont bénéficié de ces avancées scientifiques. « Dès que l’on sait lire de l’ADN ancien, on peut le faire sur n’importe quelle espèce, c’est ce qu'il y a de génial avec l’ADN » sourit Ludovic Orlando. L’ADN s’extrait par des techniques moléculaires à partir de broyats, qu'il s'agisse de dents, d'os, de bois, ou d'une coquille d’invertébrés. Il est ensuite concentré, amplifié puis multiplié par PCR. « Aujourd’hui il est possible d’amplifier totalement l’ADN, pas uniquement un gène mais la totalité d’un génome » déclare le scientifique.

Pour retracer l’histoire de l’humanité, la plupart des travaux de paléogénétique utilisent de préférence deux ossements dans lesquels l’on trouve une plus grande quantité d’ADN : l’os pétreux et le cément dentaire. « Situé au niveau de l’oreille interne, l’os pétreux s’avère très dense, il est très perméable à l’eau et donc plus résistant au temps car mieux protégé » explique Ludovic Orlando. Les cheveux présentent aussi une quantité pharaonique d’informations génétiques, le premier génome d’un Homme ancien qui vivait au Groenland a pu être séquencé grâce à des cheveux, « les cheveux sont un coffre-fort d'informations génétiques pas uniquement au niveau du bulbe mais dans leur entièreté ». Chez les végétaux aussi il est possible de retracer l’histoire paléogénétique grâce aux graines, celles-ci présentent une grande quantité d’ADN.

Ludovic Orlando extrait l'ADN anciens d'ossements dans son laboratoires de l'université de Toulouse III Paul Sabatier 

PHOTOGRAPHIE DE Kristoffer Finn

En 2018, Ludovic Orlando et les équipes de son laboratoire toulousain ont démontré qu’il était aussi possible de récupérer de l’ADN à partir du bois de chêne. Quand un arbre arrive à maturité, les cellules vivantes sont minoritaires. Le cœur de l’arbre est composé en grande partie des cellules mortes qui forment le xylème. « C’est étonnant, mais nous avons prouvé qu’il était possible d’avoir de l’ADN dans les cellules mortes du bois [qui contiennent peu d'informations génétiques, ndlr]. Le génome d’un chêne très bien conservé au fond d’un lac a ainsi pu être dévoilé » précise le chercheur. Ces toutes nouvelles informations génomiques pourraient permettre de retracer l’histoire des forêts en termes de diversité des populations, de taille, de diversité génétique. Mais les chercheurs pourraient aussi observer, grâce au bois, l’histoire d’échanges commerciaux que les peuples ont pu réaliser par le passé. « Boîtes, spatules, coffres-forts, tonneaux... grâce aux traces d’ADN contenues dans le bois [qui les compose], en tant qu’objet culturel, nous pourrions arriver à suivre un certain type de bois qui pourrait se retrouver à l’autre bout de l’Europe par exemple » s’enthousiasme Ludovic Orlando. Ces recherches n’en sont qu’à leur balbutiements mais sont, dit-il, très prometteuses.

Finalement, la paléogénétique remet en cause notre manière d’observer le vivant dans le temps, elle permet de déconstruire ces connaissances que nous pensions actées et immuables. Des découvertes viennent perturber les certitudes des scientifiques. À titre d’exemple, Ludovic Orlando, passionné de cheval, a séquencé les génomes de 278 fossiles d’équidés provenant des quatre coins du continent Eurasien. Grâce à ces travaux, le chercheur et son équipe ont pu découvrir une lignée de chevaux aujourd’hui éteinte, qui peuplaient la péninsule Ibérique il y a 4 000 ans : le cheval de Przewalski. Ces travaux ont révélé que cet animal a d'abord été domestiqué par l'Homme il y a 5 500 ans, avant de retourner à l'état sauvage. « Cela nous apprend que le monde domestique n’a pas démarré au Kazakhstan il y a 5 500 ans comme on le pensait mais quelque part ailleurs, dans une région qui reste à déterminer » raconte Ludovic Orlando.

Des exemples comme celui-ci peuvent se décliner au monde animal, au végétal et aux hominidés, le passé a été beaucoup plus riche et dynamique, à l’image du monde actuel encore en construction.

Plus étonnant encore, la paléogénétique pourrait nous aider à prédir l'avenir. Par le passé, les changements écologiques drastiques comme des grandes glaciations ont précédé de grands réchauffements climatiques naturels, à l’inverse de celui que nous vivons actuellement qui est d’origine anthropique. « Grâce à nos outils, nous pouvons nous servir du passé comme une expérience pour mesurer comment l’écologie a été perturbée, quelles espèces ont survécu, comment d’autres se sont éteintes » explique Ludovic Orlando. « Avec ces données nous pouvons faire de la futurologie mais il faut savoir raison garder en sciences » conclut le chercheur.

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