Aliénor d’Aquitaine, la reine de France devenue reine d'Angleterre

Elle était le plus beau parti du 12e siècle. Aussi séduisante qu’intelligente, cette femme dont la réputation a traversé les siècles a su tirer profit de son statut exceptionnel : devenir successivement reine de France et reine d’Angleterre.

De Claire L’Hoër
Publication 18 juil. 2021, 10:45 CEST

Aliénor d'Aquitaine par Frederick Sandys, 1858, musée national de Cardiff.

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Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

Figure fascinante du Moyen Âge, Aliénor d’Aquitaine a connu les aventures les plus extravagantes. Par sa vie hors normes et les critiques qu’elle a essuyées, elle révèle la condition des femmes de son époque. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance, vers 1122, car la venue au monde d’une fille revêt une importance secondaire dans les grandes familles où l’on espère des héritiers mâles. Pourtant, son père, Guillaume X, duc d’Aquitaine, doit se résoudre à se passer d’un fils : le jeune héritier, Guillaume Aigret, meurt en 1130. Aucun autre fils ne naîtra.

Plus la probabilité qu’Aliénor hérite du duché d’Aquitaine augmente, plus on soigne son éducation : lecture, écriture, latin, musique, chasse, équitation… Orpheline à quinze ans, elle tombe sous la coupe du roi de France, dont son père était le vassal, et qui organise immédiatement son mariage avec son propre fils Louis en 1137. Une héritière de cette importance ne peut épouser le premier venu. Ainsi l’immense et riche Aquitaine tombera-t-elle dans l’escarcelle de la France.

 

UNE VIE DE REINE

Commence alors une vie de reine dont l’enjeu principal est de donner un fils à son mari, Louis VII, devenu roi peu après leur union. Hélas ! Aliénor ne donnera naissance qu’à deux filles, Marie et Alix. Mais son mari l’aime. Il est si proche d’elle qu’il en devient la risée de la cour et des grands : un homme véritable ne doit pas se laisser mener par sa femme. Aliénor acquiert très vite la réputation d’une femme menaçante : trop intelligente, trop belle, trop talentueuse, trop passionnée. Elle est l’incarnation de l’Ève de la Bible, la tentatrice du péché originel.

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    PHOTOGRAPHIE DE Sémhur, Wikimédia Commons

    Il faut dire que la réputation de sa famille la précède : sa grand-mère, surnommée « Dangereuse » du fait de ses charmes, avait quitté son époux, le vicomte de Châtellerault, avec lequel elle avait cinq enfants, pour devenir la maîtresse de Guillaume IX d’Aquitaine. Guillaume n’étant autre que le grand-père paternel d’Aliénor, le scandale est terrible : Dangereuse a séduit le beau-père de sa propre fille.

    De ce grand-père troubadour, Aliénor a hérité un goût pour les arts qu’elle apporte à la cour de France. Le chant, la danse et la littérature sont au service de la fin’amor, l’amour courtois. Si l’entourage royal condamne celle qui est perçue comme une étrangère, son époux ne l’en aime que davantage. Si bien que quand Louis VII part à la croisade et qu’elle prétend l’accompagner, le roi accepte, révélant ainsi un peu plus sa faiblesse aux yeux de tous.

     

    LE LÉGENDE NOIRE

    Aliénor va visiter au cours de sa vie plus de contrées qu’aucune de ses contemporaines. Au 12e siècle, la plupart des femmes ne bougent que fort peu, enfermées dans des forteresses qui tiennent plus du donjon que du château de conte de fées. Dans les relations ultérieures de la deuxième croisade, on prêtera à Aliénor plusieurs aventures adultérines : l’une avec son oncle Raymond, prince d’Antioche, l’autre avec Saladin, le fameux chef musulman, sans se soucier du fait qu’il n’a que dix ans à l’époque ! La légende noire d’Aliénor est en marche.

    Son comportement s’écarte dangereusement des canons de l’époque. Mais Louis VII est de plus en plus pieux, et la situation se dégrade entre les deux époux. Comme la reine n’a pas de fils, leur mariage est finalement annulé en 1152, officiellement pour consanguinité. Il ne s’agit donc pas d’une simple répudiation. Aliénor a donné son accord, désireuse elle aussi de se séparer de son mari. Pour la remplacer, Louis VII épouse d’abord Constance de Castille, une femme plus sage et plus obéissante, qui va mourir en couches en 1160 après lui avoir donné encore deux filles. Sa troisième épouse, Adèle de Champagne, sera la mère du futur roi Philippe Auguste.

    Cependant, Aliénor n’est pas repartie de la cour de France les mains vides. Elle a récupéré sa dot, l’Aquitaine, ce qui fait à nouveau d’elle l’un des plus beaux partis d’Europe malgré ses trente ans, un âge avancé pour une femme du Moyen Âge. Elle a déjà échappé à deux tentatives de rapt lorsque le jeune Henri Plantagenêt lui demande sa main.

    Le comte d’Anjou, petit-fils d’un roi d’Angleterre, né au Mans et voisin de l’Aquitaine, n’est insensible ni à son charme ni à ses biens. Aliénor a onze ans de plus que lui, mais qu’importe ! Ils convolent huit semaines seulement après l’annulation du mariage de la reine, qui n’a pas envisagé de se retirer dans un couvent, comme on aurait pu s’y attendre.

     

    COMPLOT CONTRE LE ROI

    Premier camouflet pour Louis VII : le nouvel mari de son ancienne épouse devient roi d’Angleterre en 1154. Si Aliénor n’est plus reine de France, elle devient reine d’Angleterre. Deuxième camouflet cinglant : elle va donner huit enfants à son mari, trois filles et cinq garçons, dont trois vont régner sur le royaume de leur père : Henri le Jeune, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre.

    Le second mariage d’Aliénor n’est pourtant pas sans nuages : femme de tête et de pouvoir, elle complote avec ses fils pour renverser son mari. Découverte, elle est enfermée pendant quinze ans, prisonnière du Plantagenêt, d’abord à Chinon, puis à Salisbury.

    Définitivement libérée en 1189, elle devient une auxiliaire précieuse pour ses fils régnants : alors que Richard est en route pour la troisième croisade, elle lui amène sa fiancée, Bérengère de Navarre, jusqu’à l’île de Chypre, où les noces sont célébrées avant le retour des deux femmes dans l’archipel britannique.

    Puis Aliénor rassemble l’énorme rançon demandée pour la libération de Richard, capturé en Autriche à son retour de la croisade, et l’apporte elle-même à Mayence. Elle conseillera également son fils Jean, souverain détesté de ses sujets.

    Aliénor va vivre plus de quatre-vingts ans, âge étonnant pour une femme, alors que la mortalité en couches est un véritable fléau. Elle aura connu quatre générations de princes. Entre deux missions d’ambassadrice infatigable, elle se repose sur ses terres, dans le calme du monastère de Fontevraud, dirigé par une femme. Elle y sera enterrée en 1204. Son gisant est régulièrement fleuri par des mains anonymes.

    Louis VII (c1120-1180) le Jeune, Roi de France prenant la bannière à Saint-Denis en 1147, 1840. Huile sur toile de Jean Baptiste Mauzaisse.

    PHOTOGRAPHIE DE Art Images via Getty Images
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