Dans le tumulte révolutionnaire, Olympe de Gouges ouvrit la voie du féminisme

Égalité des droits, divorce, éducation pour tous… Celle qui plaça la femme au cœur de sa lutte, dans la tempête politique que fut la Révolution, avait une liberté de parole qui lui coûta la vie.

De Laura Manzanera, écrivaine
Publication 14 juil. 2021, 14:00 CEST

Olympe de Gouges remettant sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » à Marie-Antoinette. Estampe éditée en 1790. 

PHOTOGRAPHIE DE (Claude-Louis Desrais (illustrateur) et Frussotte (graveur), 1790./Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie/ Gallica)

Controversée et embarrassante pour la Révolution par ses opinions modérées, Olympe de Gouges est condamnée à mort en 1793. Juste avant que la lame ne tombe, elle s’exclame : « Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort ! » Elle ne reçoit qu’une réponse unanime : « Vive la République ! »

 

DES ORIGINES MODESTES

Elle est baptisée à Montauban sous le nom de Marie Gouze en 1748. Ses parents sont Anne-Olympe et Pierre Gouze, boucher, bien qu’il soit de notoriété publique que son père biologique est l’auteur dramatique Jean-Jacques Lefranc de Pompignan. Son éducation (elle apprend à peine à lire et à écrire) est très limitée.

En 1765, elle est mariée de force à Louis-Yves Aubry, de qui elle eut son unique enfant. Elle est vite libérée de ce mariage en devenant veuve l’année suivante, et ne se remariera jamais : le mariage est pour elle « le tombeau de l’amour et de la confiance ». Son idéal du couple est une union entre homme et femme à travers un contrat qui, en cas de séparation, permet d’avoir avec d’autres personnes des enfants reconnus.

Désireuse de commencer une nouvelle vie, elle change de nom et devient Olympe « de » Gouges, une particule avec laquelle elle voulait sans doute masquer ses origines modestes.

Sous cette nouvelle identité, elle s’installe à Paris avec son ami et amant Jacques Biétrix, dont la générosité lui permet de vivre sans soucis d’argent et de tenter sa chance comme écrivaine.

Olympe s’intègre bien dans la France des apparences de Louis XVI et met à profit son esprit et son aisance à parler pour se faire une place dans l’élégante société parisienne, notamment dans les salons littéraires tenus par des femmes, première étape vers son ambition.

Malgré sa mince éducation, elle sera l’autrice de plus de 4 000 pages : pamphlets, lettres et pièces de théâtre, textes politiques, philosophiques et utopiques. La voici devenue femme de lettres.

 

POLÉMIQUE EN PLEIN THÉÂTRE 

À cette époque, seule une minorité de Français lisaient couramment, ce qui explique le succès rencontré par le théâtre, dont Paris était la capitale. Après avoir assisté au Mariage de Figaro de Beaumarchais, au théâtre de la Comédie-Française, Olympe écrit Le Mariage inattendu de Chérubin, personnage secondaire de l’œuvre de Beaumarchais, qui l’accuse de plagiat : la pièce ne sera jamais jouée sur scène.

Portrait d'Olympe de Gouges attribué à Alexandre Kucharski. Pastel sur parchemin, vers 1788.

PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia Commons

Après ce premier échec, Olympe se confronte en 1784 aux acteurs de la Comédie-Française, le seul théâtre à disposer alors d’une troupe stable d’interprètes, avec Zamore et Mirza, un drame dont le héros est un esclave noir et dont le thème, politiquement subversif, défend l’abolitionnisme.

Peut-être n’a-t-elle pas fait preuve de beaucoup de tact en insultant les comédiens et en essayant de les soudoyer. La pièce est alors rayée du répertoire de la Comédie-Française. Le caractère impulsif de la jeune femme l’a fait tomber dans le piège des comédiens, qui ont utilisé une lettre de cachet – une lettre adressée au pouvoir royal – exigeant son emprisonnement.

Un coup de chance et quelques protecteurs permettent cependant à Olympe de Gouges d’éviter le pire, mais elle est déjà sur liste noire. C’est pourquoi elle a sans doute été la première surprise lorsque, en décembre 1789, est finalement jouée la première de Zamore et Mirza.

 

DISPOSITIONS HUMANISTES ET ENGAGEMENT SOCIAL

Cette même année, le 5 mai, les États généraux de France ont été convoqués à Versailles. Mais la représentation du tiers état – l’ordre comprenant ceux qui n’appartenaient ni au clergé ni à la noblesse, c’est-à-dire la majorité des Français, y compris la grande bourgeoisie – n’est pas équitable, et cela déchaîne la tempête. Le peuple s’empare de la Bastille, les catogans remplacent les perruques, et la cocarde tricolore s’affiche partout.

La politique est à la mode, et Olympe en tire profit. Dans ses écrits, elle exige des maisons pour les personnes âgées, les veuves avec des enfants et les orphelins, des ateliers pour les chômeurs ou un impôt sur le luxe.

Ses dispositions humanistes et son engagement social ne masquent pas un rapport avec sa propre situation : elle a un fils et s’inquiète pour les mères, elle a été une épouse malheureuse et se bat pour le divorce, elle est une bâtarde et exige la reconnaissance des enfants naturels, elle n’a reçu qu’une maigre éducation et veut qu’elle soit dispensée à tous.

Mais ses positions modérées dressent contre elle tant les royalistes que les révolutionnaires (ou « patriotes »). Lors de la « marche des femmes » sur Versailles, le 5 octobre 1789, des hommes de main font irruption chez elle et l’accusent de revendications populaires et d’offenses à la famille royale.

Il est vrai qu’Olympe, bourgeoise progressiste au grand cœur, n’a jamais voulu s’éloigner de l’aristocratie : elle défend une monarchie réformée et se définit comme une « patriote royaliste », deux termes alors peu conciliables. Et si elle voit d’un mauvais œil la dépensière Marie-Antoinette, elle exonère en revanche Louis XVI. Son énergie et sa spontanéité vont provoquer sa perte.

Anonyme, Olympe de Gouges. Mine de plomb et aquarelle, dix-huitième siècle. Musée du Louvre.

PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia Commons

N’appartenant à aucune formation politique, elle se fait beaucoup d’ennemis, « flottant d’un parti à l’autre, […], au flot de son cœur », comme le dit d’elle Michelet dans son Histoire de la Révolution française (1847-1853). Ses arguments changent, et elle finit par devenir « contre-révolutionnaire ». Mais en 1791, bien qu’affectée par l’arrestation de la famille royale en fuite et malgré sa défense de Louis XVI, elle revient au républicanisme. Enfin, elle soutient les Girondins face aux Montagnards, ce qui signe sa condamnation à mort.

 

DE LA PRISON À L'ÉCHAFAUD

Parmi les principes défendus puis abandonnés par la Révolution se trouve la participation à la vie publique des femmes, qui ne sont plus « habilitées à assister à aucune assemblée politique ». Déçue, Olympe publie en septembre 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, considérée comme le premier manifeste féministe. Olympe y réclame l’égalité juridique et légale des femmes, et inclut des réformes pionnières, telles que le suffrage universel, le divorce ou le concubinage, qui ne deviendront réalité qu’au XXe siècle, voire, dans certains pays, seulement au XXIe siècle.

Sa chute est provoquée par une affiche où elle propose que chaque département du pays choisisse entre trois types de gouvernement : républicain, fédéral ou monarchique. Elle n’est pas signée, mais une délation la conduit devant le Tribunal révolutionnaire pour « promouvoir une autre forme de gouvernement qui n’est pas la République », puis à la prison de la Conciergerie, où elle continue à écrire contre la terreur jacobine et son chef, Robespierre.

Olympe est guillotinée deux semaines après Marie-Antoinette, le 3 novembre 1793. « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune », avait-elle écrit. On lui refuse la tribune. Mais, après l’échafaud, elle tombe dans l’oubli.

Certes, Olympe de Gouges n’a pas été « la femme la plus vertueuse de son siècle », selon ses propres mots ; mais « nous devons à une ignorante de grandes découvertes », affirme Mirabeau, activiste et théoricien de la Révolution française.

De nombreux contemporains voyaient en elle une rebelle sans cause, mais ses actions suivaient une stratégie réfléchie. Elle a osé en effet soulever des questions que les révolutionnaires eux-mêmes ont ignorées. Et il faut admirer son esprit de dépassement. Être provinciale, plébéienne, bâtarde et d’éducation sommaire ne l’a pas empêchée de faire entendre sa voix. C’est probablement en sa personne qu’elle a poussé le plus loin la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

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