Le mystère des décapitations sur un site romain anglais enfin levé ?

Selon les chercheurs, les 17 corps décapités exhumés dans le Cambridgeshire témoigneraient de la sévérité croissante des lois romaines à l’époque tardive.

De Marie-Amélie Carpio, National Geographic
Publication 17 août 2021, 09:45 CEST, Mise à jour 28 août 2021, 17:57 CEST
Knobb's farm, fouille du squelette le mieux conservé (Sk.1343), complétée à 75%. Le corps de l’homme adulte ...

Knobb's farm, fouille du squelette le mieux conservé (Sk.1343), complétée à 75%. Le corps de l’homme adulte est en position allongée et couchée. Il est probable qu'il était enveloppé dans un linceul.

 

PHOTOGRAPHIE DE David Webb, Cambridge Archaeology Unit

C'est une macabre énigme antique. En 2004, la fouille de sépultures de l'époque romaine tardive dans le comté du Cambridgeshire, en Angleterre, a conduit à la découverte de corps décapités, d’autres enterrés face contre terre et d’autres encore cumulant ces deux tristes sorts. Treize ans plus tard, une équipe de chercheurs de l'université de Cambridge a rouvert cet étrange dossier et examiné en détail les défunts pour tenter d'éclaircir le mystère de leur destin aussi violent que funeste. Ses travaux, qui viennent d’être publiés dans la revue Britannia (https://www.cambridge.org/core/journals/britannia/article/extreme-justice-decapitations-and-prone-burials-in-three-late-roman-cemeteries-at-knobbs-farm-cambridgeshire/5245B254BC93CAD4DB06F1C20E9D332C), concluent à des exécutions judiciaires, témoignages d'un empire romain tardif de plus en plus répressif.

Les corps ont été mis au jour à Somersham, sur le site de Knobb’s Farm, un établissement agricole installé sur un ancien site de l’âge du fer, occupé du Ier siècle au IVe siècle de notre ère. Plusieurs fermes similaires émaillaient alors la région, liées à un petit port fluvial, et contribuant à l'approvisionnement en denrées agricoles et en viandes de l'armée romaine. Knobbs’ Farm était probablement intégré à leur réseau.

Le cœur du site a été détruit lors de son exploitation comme carrière dans les années 1960 mais ses marges, préservées, ont conservé trois cimetières datant de sa phase d'occupation tardive, entre le IIIe et le IVe siècle. Sur les 52 tombes exhumées, 24 renfermaient des corps décapités et/ou inhumés face contre terre, un mélange d’hommes et de femmes entre 25 et 45 ans. Si des centaines de sépultures avec des squelettes décapités ont été découvertes en Angleterre – essentiellement en zone rurale – le phénomène reste rare, ne concernant que 2 à 3% des tombes. 

 

Knobb's farm. Détail du crâne. On peut voir qu’il a été placé sous le pied droit, couché sur le côté droit, face au nord. En raison de l'état de l'os, il n'a pas été possible d'identifier des traces de coupure ou de traumatisme liés spécifiquement à la décapitation de cet individu.

 

PHOTOGRAPHIE DE David Webb, Cambridge Archaeology Unit

Leur concentration à Knobb's Farm, où elles représentent plus du tiers des tombes, fait du site un cas exceptionnel. « Diverses explications ont été avancées pour expliquer les corps décapités de l’époque romaine : sacrifices humains, punition d’esclaves, persécution de minorités, trophées ou continuité d’un culte de l’âge du fer, guerre, banditisme, meurtres ou encore moyen de défense contre la sorcellerie, » explique l’archéologue Isabel Lisboa, qui a dirigé les fouilles à Knobb’s Farm.

L’étude ostéologique des corps mis au jour sur le site a permis d’éliminer la majorité de ces hypothèses. L’analyse de deux d’entre eux en particulier a permis de déterminer qu’ils avaient eu la tête coupée ante-mortem, par un coup unique porté avec une épée. 

Deux autres décapités présentaient de profondes entailles, l’un sur le crâne, l’autre sur le visage et le corps. Des blessures qui pourraient être des marques de torture, même si les chercheurs n’excluent pas qu’elles aient été causées post-mortem.

Selon eux, ces corps suppliciés ne seraient pas ceux d’esclaves, même s’ils portent les stigmates d’un dur labeur manuel, trahissant l’appartenance des défunts au bas de l’échelle sociale. La loi romaine permettait en effet d’exécuter les esclaves en leur infligeant des châtiments bien plus cruels que la décapitation, comme la crucifixion ou l’immolation par le feu.  

 

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    PHOTOGRAPHIE DE David Webb, Cambridge Archaeology Unit

    Les scientifiques ont aussi exclu que leur fin aussi brutale qu’expéditive ait été causée par un épisode de guerre ou de violence généralisée. Les corps ne présentaient que peu de traumatismes en-dehors des décapitations, ce qui suggère une "pratique maîtrisée" de la violence, souligne l’étude.

    L'hypothèse de sacrifices humains est aussi des plus improbables. Non seulement ils étaient illégaux sous Rome, mais ils se seraient sans doute inspirés des sacrifices d’animaux, égorgés et non décapités. La piste d’éventuelles exécutions liées à la crainte de la sorcellerie a aussi été écartée. Si cette peur était alors très répandue, rien n'indique dans le traitement des morts qu'ils aient pu être tenus pour des parias. Leurs sépultures ont été mêlées à celles des autres habitants ; ils ont aussi fait l'objet de rituels funéraires semblables. Des objets identiques les accompagnent dans la tombe, des poteries typiques du mobilier mortuaire romain de l'époque.

    Selon les scientifiques, l'hypothèse la plus vraisemblable est celle d'exécutions légales pour des crimes relevant de la peine capitale. La decollatio - décapitation par l'épée - est alors une forme d'exécution classique, à laquelle font référence divers textes de loi romains. « L’approche romaine du droit pénal se résume en deux mots: châtiment et dissuasion. Les prisons servaient à accueillir les accusés avant leur procès et les coupables en attente de leur exécution. L’idée d’une peine de prison comme punition ou moyen de réhabilitation était totalement étrangère aux Romains, » explique Isabel Lisboa.

     

    Knobb's farm, fouilles en cours montrant plusieurs des inhumations et le mauvais état général du matériel squelettique.

    David Webb, Cambridge Archaeology Unit

    PHOTOGRAPHIE DE David Webb, Cambridge Archaeology Unit

    La chronologie plaide aussi pour cette interprétation. L'époque tardive coïncide en effet avec une évolution de la loi romaine, qui devient de plus en plus sévère, en particulier en raison de l’autoritarisme croissant du pouvoir impérial. « Le nombre de crimes punis de la peine de mort a plus que doublé au IIIe siècle, et quadruplé au IVe siècle, » précise l’étude. De plus, « la Bretagne romaine avait une histoire particulièrement turbulente aux 3e et 4e siècle. Des sources fragmentaires la décrivent comme une province secouée par des soubresauts politiques et militaires réguliers, et comme un nid d’usurpateurs potentiels au trône impérial, » souligne Isabel Lisboa.

    L’intransigeance était peut-être particulièrement marquée à Knobb’s Farm, en raison du rôle du site comme fournisseur de l’armée romaine, l’établissement ayant peut-être même été directement administré par celle-ci. Enfin, le caractère légal des châtiments pourrait expliquer que les défunts aient eu droit à des sépultures normales, les proches ayant récupéré les corps après les exécutions pour les enterrer dans les règles.

    La position face contre terre des inhumés reste en revanche plus mystérieuse. Documentée à travers l’Empire romain d’Occident, elle fait l’objet de multiples conjectures, de l’enterrement de suicidés ou de criminels à une pratique destinée à empêcher le retour des revenants. Sa signification à Knobb’s Farm reste aussi une énigme, tout comme la nature des crimes qui ont valu aux défunts qu’on leur coupe la tête.

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