La découverte d’un atelier de joaillerie Viking remet en cause notre conception des Valkyries

Alors que les archéologues ont longtemps présumé que les figurines de Valkyrie représentaient des êtres mythiques vikings, une nouvelle étude s’intéressant à la manière et au lieu de leur fabrication remet cette théorie en cause.

De Andrew Curry
Publication 19 août 2021, 12:00 CEST
Les motifs de ces figurines mises au jour à Ribe, au Danemark, témoignent de la variété ...

Les motifs de ces figurines mises au jour à Ribe, au Danemark, témoignent de la variété d’objets qui étaient réalisés sur le site.

PHOTOGRAPHIE DE Museum of Southwest Jutland, CC-BY-SA

Ces mystérieuses et anciennes figurines féminines ont été mises au jour par dizaines au Danemark, en Angleterre et en Russie. Longues de 2,5 cm et fabriquées en bronze, elles représentent des femmes à la longue chevelure, portant souvent des casques à crête et de longues robes, armées de boucliers et d’épées. Ces petites amulettes datent d’il y a plus de 1 000 ans, à l’apogée de l’Âge des Vikings.

Contrairement à leurs homologues masculins, les femmes vikings n’étaient généralement pas enterrées avec des armes. C’est cela qui a conduit les chercheurs à se tourner vers les sagas et la mythologie pour expliquer les motifs de femmes armées sur les amulettes. Ils conclurent qu’ils représentaient des Valkyries, guerrières mythiques qui se chargeaient, selon les anciens Scandinaves, de transporter les guerriers morts au combat dans l’au-delà.

« Nous avons élucidé les motifs en nous basant sur ce que nous savions de la mythologie nordique », explique Pieterjan Deckers, archéologue à l’université libre de Bruxelles.

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Avec d’autres chercheurs, celui-ci a publié le 5 août 2021 une étude parue dans la revue Medieval Archaeology dans laquelle ils affirment que les pendentifs de « Valkyries » représentent des femmes ayant bien existé, qui jouèrent un rôle clé dans les fêtes et cérémonies vikings. Selon eux, les figurines de femmes armées faisaient partie d’un ensemble plus fourni d’objets rituels, ce qui suggère que les rôles de genre dans l’Europe viking étaient sans doute plus complexes que ce qui était admis jusqu'à aujourd'hui.

UNE CHAÎNE DE MONTAGE VIKING

Cette nouvelle étude s’appuie sur la découverte en 2017 de ce qui semblait être un atelier de joaillerie datant du début du 9e siècle, soit à l’aube de l’Âge des Vikings, au jour au comptoir d’échange de Ribe, situé sur la côte ouest du Danemark.

Les archéologues de l’université d’Aarhus y ont mis au jour 7 000 fragments d’argile à peine plus grands qu’un ongle. En les réassemblant avec minutie, l’équipe a réalisé qu’elle venait de découvrir une chaîne de montage de l’Âge des Vikings. Les artisans sculptaient une seule figurine avant de presser chaque côté dans l’argile pour créer des moules à deux faces. Ils versaient ensuite du bronze fondu dans ces moules et attendaient qu’ils refroidissent pour les briser et les jeter.

« Avec un seul modèle, vous pouvez faire des centaines de copies [d’une figurine] », indique Soeren Sindbaek, archéologue à l’université d’Aarhus et coauteur de l’étude.

Pour déterminer le type d’objets fabriqués par l’atelier, les chercheurs ont utilisé des scanners conçus à l’origine pour des implants dentaires. Après avoir créé des modèles informatiques en 3D des moules en argile brisés, ils ont numériquement réassemblé les morceaux. Et ils ont pu fabriquer des amulettes à l’aide d’une copie.

« Cela crée une image d’un objet ancien qui n’existe que sous la forme de pièces de puzzle éparpillées », souligne Leszek Gardela, archéologue au Musée national du Danemark qui n’a pas pris part à l’étude. « C’est assez novateur », ajoute-t-il.

 

DES GUERRIÈRES RITUELLES

Parmi les moules reconstitués, l’un servait à la production en masse des pendentifs de « Valkyries ». Pourtant, plus les chercheurs réassemblaient de moules, plus ils commençaient à douter de l’hypothèse selon laquelle les figurines représentaient bien les mythiques Valkyries. L’atelier produisait, outre les figurines de femmes portant des armes et des boucliers, des hommes tirant leurs cheveux ainsi que des objets et éléments du quotidien, comme des roues, des chevaux et d’autres représentations non mythiques.

Tous les exemples de figurines produits dans l’atelier de Ribe figurent sur l’une des rares représentations visuelles ayant survécu à l’Âge des Vikings : la tapisserie d’Oseberg. Daté d’il y a 1 200 ans, ce tissu brodé représente une procession rituelle composée de chars, de chevaux, de femmes armées et de personnes portant des casques à crête ou des costumes d’animaux. Bon nombre des images de la tapisserie se retrouvent dans les moules de Ribe.

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    « Je suis sûr que c’est ce que les petites amulettes représentent, confie Soeren Sindbaek. Nous avons exactement les mêmes dessins ».

    Prises ensemble, les amulettes fabriquées à Ribe pourraient livrer de nouveaux enseignements sur une cérémonie à la signification particulière pour les peuples de Scandinavie à l’Âge des Vikings. « Les femmes occupaient vraiment une place de choix dans ces rituels, ajoute l’archéologue. C’est normal ; c’étaient des personnes centrales au sein du foyer ».

    Il y a toutefois une chose que les figurines de « Valkyries » et les scènes de la tapisserie d’Oseberg ne représentent pas : la réalité des femmes guerrières. Les historiens savent que les femmes allaient au combat et qu’elles étaient parfois enterrées avec des épées et d’autres armes. Mais les motifs des figurines féminines casquées tenant des boucliers et des épées, et vêtues de longues robes mises au jour à Ribe et ailleurs suggèrent autre chose.

    « Ils ne représentent pas une scène de combat ; vous n’iriez pas vous battre en robe avec une longue traîne, confie Soeren Sindbaek. Les femmes guerrières existaient bien, mais ce n’est pas ce que représentent ces amulettes ».

    Selon les chercheurs, ces dernières pourraient représenter un lieu où les rôles de genre traditionnels des Vikings disparaissaient. « Ces pendentifs révèlent une certaine ambiguïté. Les femmes sont armées, tandis qu’un homme tire ses cheveux, un geste plutôt féminin », décrit Sarah Croix, archéologue à l’université d’Aarhus et coautrice de l’étude.

    Pour ses collègues, certaines bourses d’études récentes s’intéressant de près aux guerrières de l’Âge des Vikings portent un regard nouveau sur cette question. « Elles s’éloignent d’une interprétation simpliste des femmes et des armes, dans laquelle elles sont toutes considérées comme des Valkyries et des guerrières, et soutiennent une autre théorie, confie Leszek Gardela. Il est bon de se rappeler qu’il n’existe pas une seule manière d’interpréter ce matériel ».

    Selon Sarah Croix, qui a travaillé à Ribe pendant dix ans et a créé le système de scannage et de reconstruction en 3D des fragments d’argile, les pendentifs ajoutent une certaine complexité à l’image que nous avons de l’Âge des Vikings. Ils démontrent également que les discussions et débats d’aujourd’hui sur la question du genre et de l’identité de genre ne sont pas nouveaux.

    « Cela nous rappelle, et c’est important, que nous ne pouvons pas supposer que les idées relatives aux rôles de genre sont fixes ou permanentes, indique l’archéologue. Le rôle des hommes et des femmes change et diffère d’une culture à l’autre ».

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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