Les gladiateurs : stars de l'antiquité

Ils ne ressemblaient guère à ceux que l'on voit au cinéma. Leurs affrontements relevaient plus du spectacle que de la volonté de tuer l'adversaire.

De Andrew Curry, National Geographic
Photographies de RÉMI BÉNALI, ILLUSTRATIONS DE FERNANDO G . BAPTISTA
Publication 24 août 2021, 17:21 CEST
Reconstitution d’un combat de gladiateurs aux arènes romaines d’Arles, vieilles de 1900 ans. Ces combats ont ...

Reconstitution d’un combat de gladiateurs aux arènes romaines d’Arles, vieilles de 1900 ans. Ces combats ont aidé les chercheurs à mieux comprendre le spectacle qui a captivé les Romains pendant des siècles.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration Fernando G. Baptista

Chapitre I - Arles, France

Le tunnel sous l'amphithéâtre Romain d’Arles est sombre et frais. Une pénombre bienfaisante après avoir subi le soleil qui frappe l’arène de sable et les gradins en pierre. Malgré tout, je suffoque sous le casque que je viens d’enfiler. Réplique de la protection de tête portée par un gladiateur romain il y a près de 2 000 ans, ce casque cabossé et rayé pèse environ 6 kg et dégage une âcre odeur métallique.

À travers la grille de bronze devant mes yeux, je distingue deux hommes en pagne s’échauffant avant de s’affronter. Les protège-bras en métal tintent tandis que l’un d’eux sautille sur la plante des pieds, sa courte épée recourbée serrée dans une main gantée de cuir. Son partenaire lève son épée et, alors que je me balance nerveusement d’un pied sur l’autre, il propose de me frapper à la tête, juste pour prouver la solidité du casque.

Je hausse les épaules. On ferait n’importe quoi pour obtenir un bon reportage, non ? C’est alors que Brice Lopez, leur entraîneur, tout bronzé, intervient : « Il n’est pas entraîné pour ça, lance-t-il sèchement. Il n’a pas la musculature nécessaire. Vous lui briseriez le cou. »

Un Colisée bis construit en 238 apr. J.-C. et inspiré du Colisée de Rome, l’amphithéâtre d’El Jem (Tunisie) était le troisième plus grand de l’Empire romain. Pour les 35000 spectateurs assis sur les gradins, les gladiateurs constituaient la principale attraction.

PHOTOGRAPHIE DE Rémi Bénali

Ancien policier et entraîneur de sports de combat, ceinture noire de jujitsu, Brice Lopez sait à quoi ressemble un véritable affrontement. Il est tombé dans les techniques anciennes de combat il y a vingt-sept ans. Il a d’abord fait fabriquer des répliques d’armes et d’armures de gladiateurs, puis a passé des années à réfléchir à la façon de les utiliser dans un combat à mort, tels ceux décrits dans les films et les livres dédiés aux gladiateurs.

Mais, plus Lopez étudiait leur équipement, moins cela avait de sens. Chargés de boucliers, de jambières et de protège-bras en métal, ainsi que de lourds casques de bronze à couverture intégrale, nombre de gladiateurs portaient dans l’arène presque autant de protections que les soldats romains à la guerre.

Or leurs épées mesuraient en général environ 30 cm de long – à peine plus qu’un couteau de cuisine. « Pourquoi, s’interroge Brice Lopez, porter 20kg de matériel de protection pour un combat au couteau ? »

 

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    Un ensemble d’armures et d’armes de gladiateurs découvert à Pompéi en 1766 comprend des casques intégraux et des épées courtes (en haut), ainsi que des jambières et des boucliers finement décorés (en bas).

    PHOTOGRAPHIE DE Musée Archéologique National De Naples, Italië

    Sa conclusion : les gladiateurs n’essayaient pas de s’entre-tuer, mais de se maintenir en vie. Ils s’entraînaient pendant des années pour mettre en scène des combats spectaculaires qui, en général, n’étaient pas fatals. « C’est une véritable compétition, mais pas un véritable combat, selon Lopez, aujourd’hui à la tête d’ACTA, une société de spectacles qui étudie et reconstitue des combats de gladiateurs. Il n’y a pas de chorégraphie, mais un but – vous n’êtes pas mon adversaire, vous êtes mon partenaire. Ensemble, nous devons offrir le meilleur spectacle possible. »

    Ces vingt dernières années, les chercheurs ont mis au jour des preuves qui confirment certaines des affirmations de Lopez sur les combats de gladiateurs. Et qui remettent en question la perception populaire de ces spectacles antiques.

    Quelques gladiateurs étaient des criminels ou des prisonniers de guerre condamnés à se battre. Mais la plupart étaient des combattants professionnels – les boxeurs, pratiquants des arts martiaux mixtes ou joueurs de football américain de leur époque. Certains avaient une famille qui les attendait à l’extérieur de l’arène.

    Le métier de gladiateur pouvait s’avérer lucratif et, selon certaines sources historiques écrites, était parfois un choix de carrière. Une attitude courageuse dans l’arène pouvait changer les gladiateurs en héros populaires, voire offrir leur liberté à des prisonniers. Le plus surprenant est peut-être que la majorité des combats ne se terminaient pas par la mort. Sur dix gladiateurs qui pénétraient dans l’arène, neuf en sortaient sans doute vivants, prêts à combattre un autre jour.

     

    Le geste du « pouce en bas » incitant le vainqueur à achever son adversaire (tel qu’il est dépeint dans un tableau de 1872) relève-t-il de la réalité ou de la fiction ? Les scientifiques cherchent encore à le savoir.

    PHOTOGRAPHIE DE POLLICE VERSO, De Jean-léon Gérôme, IAN DAGNALL COMPUTING/ALAMY STOCK

    Chapitre II, Pompéi, Italie 

    Pendant près de six cents ans, les Romains ont vibré aux combats de gladiateurs. Ceux-ci étaient un sujet de prédilection pour les artistes romains, qui les ont figurés sur des mosaïques, des fresques, des reliefs en marbre, des objets en verre, des bibelots en argile et des ornements en bronze que l’on retrouve dans tout le monde romain. Presque tous les centres urbains et villes d’importance possédaient leur arène.

    Ces compétitions antiques exercent un attrait irrésistible sur l’imaginaire moderne. Le cinéma et la littérature en ont fait d’innombrables représentations, souvent peu fidèles. Les gladiateurs sont ainsi l’un des aspects les plus familiers, mais les plus mal connus, de la culture romaine.

    Cela tient au fait que les auteurs romains ont consacré étonnamment peu de temps à discuter des détails des combats de gladiateurs, ceux-ci leur étant sans doute des plus familiers (vous arrive-t-il souvent d’écrire à vos amis pour leur expliquer ce qu’est un en-avant au rugby à XV, ou pour leur préciser le nombre de joueurs dans une équipe de football ?). Afin de reconstituer la véritable histoire des arènes romaines, les archéologues et les historiens doivent trouver des indices dans l’art, lors de fouilles et en lisant entre les lignes des textes anciens.

    Comme beaucoup d’éléments sur la Rome antique, certaines des preuves les mieux préservées de l’existence des gladiateurs proviennent de Pompéi, au sud de l’actuelle Naples. Jadis prospère, Pompéi a été subitement ensevelie par une éruption volcanique en l’an 79 apr. J.-C.

     

    Une fresque de Pompéi révèle que les gladiateurs blessés signalaient leur reddition en levant l’index.

    PHOTOGRAPHIE DE Parc Archéologique de Pompéi, Italië

    En déambulant dans les rues de la ville, étrangement bien conservées, les visiteurs actuels peuvent voir partout des souvenirs évoquant les combats de gladiateurs. Il y a l’amphithéâtre de 22 000 places, à l’est de la ville, où les rangées supérieures de sièges ont vue sur l’inquiétant massif du Vésuve. Dans le centre-ville, des annonces ternies, gravées sur la pierre, font la publicité de combats à venir. Des mosaïques et des fresques illustrent les moments forts d’affrontements passés. Juste au-dehors du théâtre de la ville, j’observe des combattants représentés sous la forme de graffitis tracés sur le plâtre rouge délavé, à hauteur des yeux d’un enfant.

    En 1766, les premiers fouilleurs ont découvert un trésor d’armures de gladiateurs sur un site en bordure de la ville. Un lieu qui avait été transformé en centre d’entraînement et de séjour pour les combattants, après qu’un séisme avait endommagé l’école de gladiateurs locale.

    « Ils étaient comme des rockstars sexy », assure Katherine Welch, historienne de l’art à l’université de New York. Prenez Celadus le Thrace, un nouveau venu prometteur à Pompéi, avec trois victoires à son actif, surnommé « le soupir des filles », selon un graffiti admiratif, ou son compatriote Crescens, qui maniait le trident et surnommé « le pêcheur nocturne de jeunes filles ».

    Même après trois siècles de fouilles à Pompéi, on y exhume encore de nouveaux éléments. Des archéologues travaillant dans une ruelle étroite du nord de la ville sont tombés en 2019 sur une fresque, au mur d’une petite taverne. Elle représentait deux gladiateurs avec ce qui ressemble à des plumes d’autruche ornant leurs casques de bronze. La peinture recèle un détail sans précédent, selon Alain Genot, archéologue au Musée départemental Arles antique : l’un des combattants porte un pantalon sous ses jambières.

     

    Perdre son arme ne signifiait pas perdre le combat – ou la vie. Sur ce pot découvert aux Pays-Bas, un gladiateur lourdement armé (au centre) montre son épée brisée à l’arbitre, tandis qu’un assistant accourt avec une épée de rechange (à droite). 

    PHOTOGRAPHIE DE Musée Het Valkhof, Nimègue, Pays-bas

    Les plaies sanguinolentes sur les corps des deux hommes montrent que chacun a été blessé. Mais, à l’évidence, il y a un perdant: l’un d’eux, qui saigne d’une entaille sur sa poitrine nue et semble se tordre de douleur, a laissé tomber son bouclier et lève l’index. Il signifie par ce geste – que l’on retrouve dans de nombreuses représentations de gladiateurs – qu’il s’avoue vaincu.

    D’autres œuvres d’art issues de tout le monde romain suggèrent qu’un pittoresque groupe d’assistants et de parasites attendait dans les coulisses, voire partageait le sol de l’arène. Les musiciens chauffaient la foule quand les gladiateurs prenaient place, ponctuant peut-être les combats d’effets sonores dramatiques. Les armes et les casques étaient apportés sur la scène lors du cortège précédant les combats et conduit par l’organisateur ou le commanditaire des jeux.

    Chargés de veiller au strict respect du fairplay, les arbitres étaient des personnages-clés. Dans l’une des représentations qui orne un petit pot trouvé aux Pays-Bas, un arbitre brandit son bâton pour interrompre un combat, tandis qu’un assistant se précipite avec une épée de rechange. « Vous ne perdiez pas le combat parce que vous aviez perdu votre arme, explique Alain Genot. Quand on imagine les combats de gladiateurs comme des événements sportifs, on ne peut pas croire qu’il n’y avait pas de règles. »

    Plus important, les inscriptions promettant des « combats sans répit » (autrement dit, jusqu’à la mort) et des « combats avec des armes tranchantes » laissent à penser que les affrontements mettant la vie en danger étaient suffisamment inhabituels pour mériter d’être signalés.

    Et, comme pour tout événement sportif qui se respecte, les fans étaient abreuvés de statistiques à analyser. Dans tout le monde romain, des victoires, défaites et matches nuls des gladiateurs sont inscrits sur les murs et gravés sur les pierres tombales. L’issue de nombreux combats ne sera jamais connue. Mais on imagine le nœud à l’estomac de Valerius, dont un graffiti à Pompéi rapporte qu’il a survécu à 25 combats, quand il affronta Viriotas, qui en comptait 150.

     

    Sports sanglants chez les anciens : l'élite romaine organisait des jeux de gladiateurs à la fois pour afficher la domination de l’empire et pour asseoir son pouvoir et son influence.

    PHOTOGRAPHIE DE Illustration Fernando G. Baptista

    Les combats de gladiateurs étaient plus qu’un simple divertissement. Les sources historiques écrites montrent clairement qu’en combattant (et, parfois, en mourant) courageusement, les gladiateurs renforçaient les concepts romains de virilité et de vertu – sauf, bien sûr, le rétiaire au filet, dont les tactiques rusées et les attaques au trident à longue distance faisaient de lui le méchant tout désigné de l’arène.

    « Les gladiateurs, qu’ils soient des hommes ruinés ou des barbares, quelles blessures ils endurent !, écrit l’orateur romain Cicéron vers 50 av. J.-C. Il n’y a pas de préparation plus rude à la douleur et à la mort que le spectacle de condamnés s’affrontant à l’épée. »

    Bien qu’adulés par de nombreux fans, les gladiateurs se situaient au bas de l’échelle sociale rigidement hiérarchisée de la Rome antique, aux côtés des prostituées, proxénètes et comédiens. Suivant la loi, les gladiateurs étaient des biens, non des personnes. Ils pouvaient être tués au gré de qui payait pour leur combat. Selon Kathleen Coleman, professeure d’humanités classiques à Harvard, «c’est crucial pour comprendre comment les Romains pouvaient s’asseoir dans les gradins et regarder ce spectacle».

    Les premiers combats de gladiateurs furent probablement organisés dans le cadre de rituels funéraires, dès 300 av. J.-C. À cette époque, les combattants étaient sans doute des prisonniers de guerre ou des criminels condamnés.

    Au Ier siècle av. J.-C., les jeux sont devenus un élément central de la vie de l’empire. Leur organisation s’est alors améliorée et les attentes du public se sont accrues. Des dizaines d’écoles de gladiateurs ont ouvert face à la demande en combattants volontaires bien entraînés.

     

    Dans tout l’empire, des écoles appelées ludi formaient des prisonniers de guerre, des criminels, des volontaires et des esclaves à devenir gladiateur professionnel. Un ludus découvert il y a peu à Carnuntum, une ville romaine d’Autriche, révèle comment les gladiateurs vivaient et s’entraînaient.

    PHOTOGRAPHIE DE Illustration Fernando G. Baptista

    Comme les citoyens romains ne pouvaient pas être exécutés sans procès, certains combattants en herbe renonçaient à leur citoyenneté et devenaient des esclaves – un moyen très risqué de régler leurs dettes ou d’échapper à la pauvreté. D’autres étaient des criminels condamnés à servir comme gladiateurs. Ce châtiment était plus léger que l’exécution, car il leur restait une chance de recouvrir, un jour, la liberté.

    Certains spécialistes pensent que les gladiateurs ne portaient que rarement des chaînes ou des fers aux pieds. Et, malgré leur humble statut social, les combattants à succès pouvaient gagner beaucoup d’argent. Certains ont même pu faire des extras comme gardes du corps de riches mécènes. « Faites votre temps, résume l’historienne française Méryl Ducros, et, quand c’est fini, vous pouvez prendre votre argent, votre femme et vos enfants, et retourner à votre vie. »

    Les pierres tombales (souvent commandées par des compagnons de combat ou des êtres chers) suggèrent que nombre de gladiateurs avaient une vie de famille. « Pompeius le rétiaire, vainqueur de neuf couronnes, né à Vienne, âgé de 25 ans, lit-on sur une stèle mise au jour en France. Sa femme l’a érigé avec son propre argent en hommage à son merveilleux époux. »

     

    Chapitre III - Carnuntum, Autriche 

    Les professionnels du combat requéraient un entraînement tout aussi professionnel, dévoilé par une découverte réalisée il y a quelques années sur le site romain de Carnuntum, en Autriche.

    Par une journée venteuse du début du printemps, Eduard Pollhammer, le directeur scientifique de Carnuntum, me conduit au milieu d’un champ tout juste semé, sur les rives du Danube, à 40 km à l’est de Vienne.

    En hiver, le thermomètre descend en dessous de 0 °C et la neige recouvre les champs de blé. Or, même ici, aux limites de l’empire, l’engouement des Romains pour les spectacles de gladiateurs était tel que Carnuntum possédait deux amphithéâtres : l’un pour ses milliers de soldats en service actif, l’autre pour divertir les civils de la ville voisine, très animée.

    Vers 200 apr. J.-C., les collines ondulantes de la région abritaient l’un des plus grands camps militaires de la frontière romaine, m’explique Pollhammer. Plus de 7000 soldats stationnés ici patrouillaient à la limite nord de l’empire.

     

    Tenus à l’origine lors des funérailles de l’élite, les combats de gladiateurs devinrent des événements extravagants. Arènes et amphithéâtres étaient partie intégrante de la vie politicosociale. Au centre de la scène, les gladiateurs recouraient à divers styles de combat et d’armes.

    PHOTOGRAPHIE DE Illustration Fernando G. Baptista

    Le site de Carnuntum est si vaste que plus d’un siècle et demi de fouilles n’a permis d’explorer que 15 % de ses 10 km2 . Il y a vingt ans, craignant que les labours intensifs n’en détruisent des parties encore non explorées, les archéologues ont recouru au géoradar pour cartographier les vestiges enfouis des bâtiments. Entre les murs de la ville et les fondations en terre de l’amphithéâtre municipal, ils ont retrouvé les contours d’un quartier entièrement dévolu aux supporters des combats, avec ses tavernes, ses boutiques de souvenirs, et même une boulangerie où les spectateurs pouvaient manger un morceau avant de prendre place dans les gradins.

    En 2010, les archéologues ont fait une trouvaille inhabituelle : une école de gladiateurs, ou ludus, à quelques pas des ruines croulantes de l’amphithéâtre de Carnuntum. Grâce aux récits romains, nous savons qu’il devait y en avoir des dizaines comme celle-ci dans tout l’empire, précise Pollhammer. Elles étaient financées par les empereurs et les dignitaires locaux, et souvent dirigées par des entraîneurs (lanistae), dont certains étaient d’anciens gladiateurs.

    Au centre de Rome, on dénombrait au moins quatre de ces écoles, rattachées à un complexe d’entraînement de gladiateurs, à l’ombre du Colisée. Mais le sol de Carnuntum recèle la première école complète jamais découverte.

    Sans soulever une pelle, grâce au géoradar, les chercheurs ont identifié une grande pièce au sol surélevé, qui pouvait être chauffée avec de l’air chaud provenant du dessous. Elle était peut-être utilisée comme salle d’entraînement pendant les froids hivers autrichiens. En bordure d’une cour ouverte se trouve une section du bâtiment en forme de L, avec des pièces ou des cellules.

    Les murs épais sont le signe que certaines parties de l’édifice comportaient deux étages. Il y avait même des bains, avec des conduites d’eau, des bassins et des piscines chaudes et froides.

    Au centre de cet ensemble se trouvait une arène circulaire de 19 m de diamètre, réservée aux entraînements. « Nous pensons qu’environ 70 ou 75 gladiateurs vivaient ici, explique Eduard Pollhammer. Il y a toute l’infrastructure nécessaire à de grands spectacles. »

     

    Chapitre IV - Rome, Italie

    Qu'est-ce qui a poussé les Romains à consacrer de telles ressources aux gladiateurs ? Qu’est-ce qui a incité les spectateurs à revenir, année après année, pendant près de six siècles ? Les récentes fouilles menées au Colisée de Rome offrent des indices. Sous l’arène se trouve un immense espace, à environ 6 m sous le niveau du sol. Aujourd’hui, les visiteurs peuvent parcourir une partie de ce labyrinthe de colonnes, d’escaliers en briques émiettées et de chambres obscures.

    Lors d’une importante opération de restauration entamée en 2000, Heinz Beste, chercheur à l’Institut archéologique allemand, a étudié pendant quatre ans la maçonnerie située sous l’arène. Il a révélé les traces d’un ingénieux système de plateforme, d’ascenseurs, de treuils et de rampes, utilisé par des centaines de techniciens de scène et de soigneurs d’animaux.

    Par des dizaines de trappes aménagées dans le sol de l’arène, on pouvait y lâcher directement des animaux utilisés dans des simulacres de chasses (les venationes), qui servaient en général de prélude aux combats de gladiateurs. Des décors élaborés et peints se soulevaient du sol de l’arène, et des ascenseurs y déposaient directement les gladiateurs. Selon Heinz Beste, « les spectateurs ne savaient pas ce qui allait s’ouvrir, ni où ni à quel moment ».

     

    Le Colisée, IIe siècle apr. J.-C. Les spectacles atteignirent leur apogée (en termes de coût, d’ampleur et de magnificence) après la construction du Colisée, une prouesse architecturale monumentale. Il servit de modèle aux amphithéâtres romains postérieurs.

    PHOTOGRAPHIE DE Illustration Fernando G. Baptista

    Rien n’illustre mieux l’attrait des jeux que ce système, que l’on retrouve à une échelle plus modeste dans des dizaines d’amphithéâtres des provinces de tout l’empire. Depuis la chasse aux animaux jusqu’aux combats de gladiateurs, tout dans ces spectacles était conçu pour tenir les spectateurs en haleine. Le suspense, et non la brutalité, était l’élément fondamental des jeux.

    Pour garantir des luttes passionnantes, les styles de combat étaient équilibrés avec soin. Un combattant agile, presque nu, seulement armé d’un filet, d’un trident et d’un petit couteau, pouvait affronter un grand et fort guerrier portant 20 kg d’équipement de protection.

    L’apparition de femmes maniant l’épée, relatée dans des récits historiques et gravée sur un bas-relief de pierre, était une chose rare. Elle devait constituer une source d’excitation peu banale pour les Romains, qui pensaient que la place des femmes était à la maison.

     

    Cette statue en bronze figure une gladiatrice qui brandit sa dague courbe après sa victoire, selon certains spécialistes. Ce que d’autres contestent. « Aucun gladiateur n’est représenté avec aussi peu de vêtements de protection », explique Kathleen Coleman, de l’université Harvard. Les gladiateurs étaient un sujet de prédilection pour les artistes romains.

    PHOTOGRAPHIE DE Musée Des Arts Et Métiers, Hambourg, Allemagne

    Les gladiateurs expérimentés étaient opposés à d’autres vétérans. Et les nouvelles recrues se battaient entre elles. Plus votre carrière était longue, meilleures étaient vos chances de survie. En effet, chaque gladiateur expérimenté représentait des années d’investissement.

    Comme l’explique Jon Coulston, archéologue à l’université de Saint Andrews, « des heures et des années étaient consacrées à l’exécution de tous les mouvements d’escrime, au développement de la musculature, à l’amélioration de la vitesse, de la force et de l’endurance ».

    La location de gladiateurs était un arrangement du type « qui casse, paie ». Si un combattant était tué, que ce fût volontairement ou non, le commanditaire du combat payait le prix fort au propriétaire du gladiateur. « Ces combattants avaient une grande valeur, car ils étaient très bien entraînés, selon Katherine Welch, de l’université de New York. Il n’était pas question de gaspiller le personnel. Sur dix combats face à face, il pouvait y avoir un mort, voire deux. »

     

    La mort n'était pas la règle, mais le risque était toujours présent – dans l’arène, ou à la suite de blessures infectées. Les spectateurs appréciaient la mort d’un gladiateur et étaient prêts à payer pour la dépense supplémentaire que cela représentait. Un auteur romain décrit un spectacle des plus coûteux organisé par un jeune noble ayant récemment hérité d’une fortune. La somme astronomique de 400 000 sesterces lui avait permis d’acheter « le meilleur fer, l’impossibilité de fuir et l’assurance d’assister à une boucherie visible de tout l’amphithéâtre ».

    Il est aisé de rejeter ces sentiments comme des reliques d’un passé lointain, et de considérer les Romains comme fondamentalement différents de nous. Ce serait se donner bonne conscience à peu de frais. En ce qui concerne le goût des spectacles violents, nous sommes plus proches des Romains que nous n’aimons l’imaginer.

     

    Zakhar Nikmatulin éprouve une fascination pour les gladiateurs depuis qu’il a vu le film Spartacus de 1960. Le tatouage sur son dos, dû à Alexander Kosach, a nécessité vingt-cinq heures de travail pour le dessin et l’encrage.

    PHOTOGRAPHIE DE Rémi Bénali

    Les athlètes actuels qui pratiquent des sports violents (football américain, rugby, boxe, arts martiaux mixtes…) sont idolâtrés comme des exemples de discipline, d’âpreté et de courage. Ces sports attirent des millions de spectateurs, alors que les dommages durables qu’endurent les athlètes sont désormais largement connus.

    « La vie n’est pas une distribution de bonbons et de sucreries. La vie est dure. Nous avons besoin de crier, de pleurer, de hurler à propos de quelque chose, dit l’historienne Méryl Ducros. Nous avons besoin de voir un peu de violence pour extérioriser la violence que nous ressentons en nous. Nous ne pouvons pas juger les Romains pour avoir organisé ces spectacles. »

    Article publié dans le numéro 263 du magazine National Geographic

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