En Indonésie, la révolte méconnue des Papous

Sur la moitié ouest de l’île de Nouvelle-Guinée, les Papous se battent pour leur indépendance contre le pouvoir central indonésien depuis près de 60 ans.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 4 oct. 2022, 15:55 CEST
 

Manifestation des Papous de Nouvelle-Guinée occidentale, 2014.

 

Manifestation des Papous de Nouvelle-Guinée occidentale, 2014.

PHOTOGRAPHIE DE Dominic Hartnett, CC BY-NC-ND 2.0

On connaît leur folklore, moins leur combat pour l’indépendance. Les Papous de Nouvelle-Guinée occidentale mènent pourtant depuis près de 60 ans une bataille contre le pouvoir indonésien. Bataille qui s’apparente à celle de David contre Goliath au beau milieu de l’océan Pacifique. L’Indonésie ne compte pas lâcher ces provinces de sitôt. Situées dans la moitié ouest de l’île de Nouvelle Guinée (l’autre moitié constitue l’État indépendant de Papouasie Nouvelle-Guinée), elles regorgent de richesses et représentent près d’un quart du territoire indonésien. Depuis les années 1960, les victimes papoues se comptent ainsi en centaines de milliers. Par ailleurs, les politiques indonésiennes de colonisation et d’acculturation poussent les indépendantistes à parler aujourd’hui de « génocide lent ». Avec, au bout du compte, la disparition de leur peuple et de leur culture. En mars 2022, l’ONU a également alerté sur les violences à l’encontre de cette population indigène. Accusations démenties par le gouvernement indonésien, qui qualifie le rapport de « non professionnel, mal intentionné et unilatéral ». Retour sur l’histoire tumultueuse de cette région du monde avec Jean-Luc Maurer, spécialiste de l’archipel et de la région Asie-Pacifique, auteur du livre « Indonésie : l'envol mouvementé du Garuda » aux éditions Graduate Institute Publications, et professeur honoraire en études du développement à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève.

L’origine des tensions entre les provinces papoues et l’Indonésie remonte à l’indépendance du pays. Pourquoi ?

En 1945, l’Indonésie proclame son indépendance après trois siècles et demi de colonisation néerlandaise. C’est la seule grande colonie des Pays-Bas : autant dire qu’ils ne sont pas prêts à la lâcher. Pourtant, les États-Unis font pression pour leur retrait. En pleine guerre froide, l’Indonésie pourrait faire contrepoids à la Chine communiste en devenant un pays libéral et démocratique. En 1949, les Néerlandais finissent par partir, sauf en Nouvelle-Guinée occidentale. Ils gardent la moitié ouest de cette immense île de Nouvelle-Guinée, prenant pour prétexte sa différence ethnique, historique et culturelle, assurant qu’elle n’a rien à voir avec l’Indonésie. Sukarno, premier président indonésien et père de l’indépendance nationale s’y oppose avec force. Dans sa vision, le territoire de l’Indonésie indépendante doit recouvrir exactement celui de la colonie des Indes Néerlandaise qui allait de Sabang, au nord-ouest de Sumatra, à Merauke, à la frontière sud-est avec la Papouasie-Nouvelle Guinée sous mandat australien. Là encore, les États-Unis veulent forcer un accord entre les Néerlandais et les Indonésiens, toujours pour se garantir un allié dans la région. En 1962, les Pays-Bas se retirent aussi de Nouvelle-Guinée occidentale. S’ensuit un conflit violent entre l’armée indonésienne et les indépendantistes papous. Le pouvoir indonésien va alors organiser un simulacre de référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Guinée occidentale en 1969. Il est très controversé, car seulement un millier de Papous sont choisis pour voter, sur le million d’habitants de la Nouvelle-Guinée occidentale – le reste de la population locale est supposé trop éloignée des urnes, ou illettrée. C’est ainsi que le rattachement à l’Indonésie est acté.

Concession agricole dans la vallée de la Baliem.

PHOTOGRAPHIE DE Jean-Luc Maurer

La résistance papoue s’organise alors. Que peut-elle face à l’armée indonésienne ?

Pas grand-chose. Dès 1961, l’organisation pour la libération de la Papouasie (OPM - Organisasi Papua Merdeka) mène une guérilla de basse intensité. Ils n’ont pas vraiment les moyens de faire autrement. Certains indépendantistes se battaient alors avec des fusils rouillés datant de la Seconde Guerre mondiale – c’est dire leur arsenal. De plus, leur tentative d’organisation se heurte à l’immensité de la Nouvelle-Guinée occidentale (plus de 420 000 km2). Ce vaste territoire, quasiment sans infrastructure, est peuplé de très nombreux groupes ethniques qui parlent des langues différentes. Difficile dans ces conditions de faire peur à l’armée indonésienne. Depuis 2014, le mouvement indépendantiste s’est radicalisé – leur leader tente de rallier le « bloc mélanésien » à leur cause, c’est-à-dire les peuples noirs voisins : ceux de la Papouasie Nouvelle-Guinée, des îles Salomon et Fidji, ou encore du Vanuatu. Cela a eu un certain succès. Pour autant, ces pays sont loin de faire le poids face à l’Indonésie. Les Papous ne peuvent pas non plus compter sur le soutien de l’Australie, qui n’a aucun intérêt à voir un conflit éclater tout proche de ses côtes. En attendant, on compte les morts. Lors de la dictature extrêmement répressive du général Suharto, au pouvoir de 1966 à 1998, les auteurs les plus fiables estiment qu’entre 100 000 et 300 000 Papous ont été tués par l’armée indonésienne. Aujourd’hui, encore, le pouvoir indonésien répond aux assassinats commis par les indépendantistes (en 2018, 19 ouvriers indonésiens sont assassinés ; en 2019, les émeutes font plus de trente morts, des immigrants indonésiens) par une répression aveugle, entretenant un cercle vicieux de violences. [Ndlr : le rapport annuel d’Amnesty international assure que les forces de sécurité indonésienne ont commis des homicides illégaux en Papouasie et en Papouasie occidentale, souvent en toute impunité]. À une certaine époque, l’Indonésie a été le fer de lance de la lutte contre le colonialisme, le néocolonialisme et l’impérialisme. Aujourd’hui, elle se trouve dans une situation coloniale à l’égard de ces provinces.

En 2019, de violentes émeutes ont secoué la Nouvelle-Guinée occidentale. Les Papous dénonçaient notamment le racisme dont fait preuve le pouvoir central à leur égard.

Les Papous, un peuple noir mélanésien et christianisé, font figure d’exception dans une Indonésie majoritairement d’origine malaise et de religion islamique. En cause, notamment : leur isolement. Ils n’ont pas été touchés par l’islamisation précoloniale. La colonisation occidentale ne les concerna que très tardivement, près de deux siècles après ses débuts en Indonésie. Ainsi, le pouvoir indonésien a pu adopter à l’égard des Papous une attitude au mieux condescendante, au pire raciste. Cela peut prendre la forme d’insultes – ils sont traités de « singes » ou de « mangeurs de porcs » - ou aller beaucoup plus loin. Des raids sur des villages, des viols... Il faut quand même noter l’effort du gouvernement actuel de nommer des Papous à des postes de cadres, comme les gouverneurs de province par exemple. Mais ces derniers obéissent au pouvoir central et sont considérés comme des traîtres par les séparatistes.

L’un des enjeux pour l’Indonésie est de garder la main sur ce bout d’île qui représente un quart de son territoire. Comment cela se manifeste-t-il ?

De nombreuses îles indonésiennes débordent de population. À titre d’exemple, on compte 1 200 habitants au km² sur l’île de Java. La Nouvelle-Guinée occidentale, avec ses 13 habitants au km2, apparaît comme une terre à peupler. Le gouvernement a donc notamment financé l’installation de migrants indonésiens chez les Papous. À cela s’ajoutent des migrations plus spontanées d’Indonésiens en quête d’opportunité. Aujourd’hui, 40 % de la population de Nouvelle-Guinée occidentale est originaire d’en dehors de l’île. [Ndlr : en 1960, ils étaient seulement 5 % de la population]. Les allochtones devraient bientôt devenir majoritaires, ce qui compliquera d’autant plus la représentation des intérêts papous.

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    Village traditionnel près de Wamena.

    PHOTOGRAPHIE DE Jean-Luc Maurer

    Les ressources minières de la Papouasie indonésienne sont aussi source de toutes les convoitises...

    Cette région du monde héberge en effet l’une des plus grandes mines d’or et de cuivre au monde : celle de Grasberg. [Ndlr: en 2015, c’est le premier contributeur au budget de l’État indonésien]. Les indépendantistes dénoncent son impact social et environnemental. Ils s’élèvent aussi contre les conséquences désastreuses de la déforestation pour produire de l’huile de palme. [Ndlr : depuis 1980, plus d’un quart du territoire de la Nouvelle-Guinée orientale a déjà été déforesté]. Comme ces terres ne sont pas cultivées, le pouvoir indonésien part du principe qu’elles n’appartiennent à personne. Ce n’est pas le cas : les populations locales y vivent une existence de chasseurs-cueilleurs. Et les Papous ne profitent que très peu des richesses générées. Plus de 20 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, contre 10 % en moyenne des Indonésiens. Enfin, le gouvernement, à la tête du plus grand archipel du monde avec plus de 13 000 îles et près de 300 groupes ethniques, craint que céder du terrain aux indépendantistes papous n’ouvre la voie à d’autres revendications.  Des mouvements sécessionnistes ont déjà eu lieu par le passé aux quatre coins du pays ; au Timor Oriental, qui a obtenu son indépendance, mais aussi à Sumatra ; à Bornéo ou aux Moluques.

    Depuis son élection en 2014, le président Joko Widodo tente de répondre aux tensions par le développement économique. Pourquoi cela ne réglera-t-il pas la situation selon vous ?

    Joko Widodo veut mieux connecter l’île grâce à l’amélioration des routes, des ports, d’Internet, et du téléphone. Son projet de route de 4000 km pour relier Sorong à Merauke, la « Trans-Papua »  constitue sa carte maîtresse. Mais les indépendantistes n’en veulent pas. Ils craignent qu’elle n’attire encore plus d’Indonésiens des autres îles, et que cela les mettent en minorité. Il y a un vrai enjeu d’identité, de respect et d’histoire bafouée. Cela ne se rachète pas avec des infrastructures. Cependant, l’indépendance n’est pas forcément la panacée. Elle n’a pas abouti à des situations enviables chez leurs voisins de Papouasie Nouvelle-Guinée, ou des îles Salomon. Selon moi, le conflit pourrait se résoudre par une attitude plus humble du gouvernement indonésien vis-à-vis des Papous, plus d’autonomie, plus de respect, et plus de pouvoir aux instances traditionnelles.

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