Quelle histoire se cache derrière l'éternel printemps niçois ?
Si Nice est aujourd'hui une destination symbolique de la période estivale, c'est toutefois pour ses charmes hivernaux que la ville que l'on surnomme la reine des fleurs se fit connaître durant la Belle Époque.
Les chars, traditionnellement construits en papier, représentaient souvent des personnages ou des caricatures de personnalités importantes.
Depuis plusieurs semaines, l’arrivée de l’automne a balayé la fin des journées d’été. Depuis plus d’un mois, pour la plupart d’entre nous, l’heure de la rentrée a sonné, indiquant le retour au travail ou sur les bancs de l’école. Pourtant, au début du 19e siècle, pour les membres de la haute société, l’arrivée de l’automne signifiait avant tout le début de la saison niçoise et de la découverte d’un étrange printemps.
Lovée au pied des Alpes, bordée par les flots de la Méditerranée, Nice est une ville emblématique de la Côte d’Azur dotée d’un climat particulièrement doux en hiver. D’abord un modeste port de pêcheurs, sa réputation se construisit à la fin du 18e siècle, alors qu’elle était encore rattachée au royaume de Piémont-Sardaigne, dans la future Italie. Elle fut traversée par des voyageurs anglais et prussiens fortunés qui tombèrent rapidement sous le charme de la région. « C’était une étape déjà appréciée », explique Jean-Paul Potron, conservateur de la Bibliothèque de Cessole, « d’une part à cause du climat et aussi des promenades que l’on pouvait faire dans la campagne. C’était un paysage jardiné […] qui donnait l’impression de vivre dans un paysage antique ». Cette impression était encore renforcée par les ruines romaines dispersées dans les collines et par l’isolement de la région, alors dépourvue de train ou même de pont pour traverser le Var, le fleuve qui donna son nom au département actuel. Ce dernier se traversait à gué, les dames étant transportées sur les épaules des passeurs.
« Au départ, c’est un lieu de passage, » explique Jean-Pierre Barbero, conservateur du Musée Massena et organisateur de l’exposition Nice, reine des fleurs. « C’est Tobias Smollett […] qui va [écrivit] combien l’air de Nice, les fleurs, les jardins en [faisaient] un endroit de repos privilégié. » Auteur et médecin écossais de la fin du 18e siècle, ses écrits décrivaient Nice comme une ville-jardin dont l’air marin et le climat permettaient de garder la tuberculose et ses ravages à distance. La ville fascinait les Anglais et les Parisiens grâce aux vergers d’agrumes qui parfumaient son air, à une époque où les tanneries et le tout-à-l’égout empestaient celui des grandes capitales.
Avec son paysage hors du temps et ses ruines romaines, la campagne niçoise donnait l'illusion aux voyageurs de revenir dans l'Antiquité.
LE REFUGE DES TÊTES COURONNÉES
Année après année, des communautés étrangères vinrent s’installer sur place, attirées par la douceur de vivre et l’exceptionnelle liberté de culte dans un royaume autrement très catholique. La ville grossit alors peu à peu tout en mettant un point d’honneur à soigner ses nombreux jardins. « En 1820, le concile d’Ornato [prit] une décision claire », raconte M. Barbero. « En ville, la rue et les façades d’immeubles devaient être séparées par un jardin de 5 à 10 mètres. C’est une obligation mise en place bien avant le rattachement de Nice à la France en 1860. »
C’est cette décision qui acheva l’ascension de Nice vers la célébrité : dès son arrivée dans la ville, en septembre 1860, Napoléon III n’eut de cesse de rendre la ville plus accessible, en installant un pont sur le Var et en la rattachant au système ferroviaire, permettant de réduire le trajet Paris-Nice à moins d’une journée.
« Napoléon III [voulait] faire de Nice sa destination de villégiature privilégiée pendant l’hiver », selon M. Potron. Il ne fut d’ailleurs pas la seule tête couronnée à séjourner dans la ville. À l’instar de ses sujets des années plus tôt, la reine Victoria passa quatre printemps à Nice, de 1895 à 1899, au sein de l’hôtel Regina, accompagnée d’une grande partie de son gouvernement.
Avec l’arrivée de ces grandes personnalités, Nice se mit à cultiver l’image d’une ville libérée, dans laquelle toutes les extravagances étaient permises : hôtels, palais, casinos et réceptions fleurirent dans chaque rue. Les guides donnaient également les adresses de plusieurs villas, folies et hôtels particuliers, dont les jardins étaient ouverts au public. Enfin, à partir de 1873, le carnaval de Nice fut réglementé par le comité des fêtes de la ville et, plutôt que de se lancer suie et farine, qui pourraient abimer les crinolines des dames de la villégiature, on préféra se lancer des fleurs.
« Le carnaval est une fête païenne, mais il permettait aux dames en voyage de se mêler aux festivités locales », ajoute M. Barbero. « Les grands hôtels et les mécènes [financèrent] alors les voitures fleuries, et les fleuristes [purent] vendre à des clients de Londres et de Saint-Pétersbourg qui [n’avaient] jamais vu de fleurs pareilles, puis les leur [exportèrent] par le chemin de fer. »
La bataille des fleurs est devenu un évènement emblématique du carnaval de Nice qui a toujours lieu aujourd'hui.
Né à Paris et tombé amoureux de la Côté d'Azur, le peintre et affichiste Jules Chéret à réalisé de nombreuses affiches pour la ville de Nice.
LE SYMBOLE D'UNE ÉPOQUE
Les fleurs inspirèrent également des artistes, qui furent nombreux à suivre ou à chercher un mécène dans la baie des Anges. On retrouve les décors fleuris partout sur les façades des Folies qui s’érigent sur les collines de la ville et dans les tableaux des peintres en résidence. Matisse, Chéret et Renoir posèrent un temps leurs pinceaux sur la Côte d’Azur et dépeignirent des scènes colorées et souvent très fleuries. Nice devint la promesse d’une parenthèse insouciante pour les membres de la haute société, et de travail pour les artistes, qui chantaient les louanges de la ville jusqu’à la capitale. Ainsi, on peut encore aujourd’hui retrouver une représentation du carnaval de Nice par Henri Gervex sur un plafond peint dans la Gare de Lyon, à Paris.
Afin de faire vivre cette nouvelle industrie, ce sont des dizaines de corps de métiers qui se rassemblèrent pour faire pousser, créer, stocker, vendre et exporter les fleurs niçoises à travers toute l’Europe. Muguets, roses et violettes vinrent ainsi approvisionner les parfumeurs et permirent de garder un morceau de Nice avec soi en parfumant sa demeure, son linge ou même ses gants.
L’œillet de Nice, quant à lui, devint le symbole d’un art de vivre exporté à travers le monde entier jusque dans les années 1970.
« Aujourd’hui, l’œillet est très peu cultivé à Nice », regrette M. Potron. « Il [fut] malheureusement victime de maladie, puis de la concurrence de l’œillet américain. » Ce constat est valable pour beaucoup de fleurs de Nice. Face à la hausse du prix des terres agricoles et à la concurrence internationale, « Nissa la Bella » fut également victime de son succès. « Avec l’arrivée des congés payés, Nice [devint] une destination d’estivant, sans jamais perdre son côté hivernant », explique M. Barbero. « Avec l’aménagement de la ville, beaucoup de jardins [furent] fermés. »
Néanmoins, si l’industrie horticole niçoise ne possède plus sa puissance de la Belle Époque, Nice demeure très attachée à ses jardins. Bien que la modernisation du centre-ville ait entrainé la diminution des espaces verts, de nombreux lieux et rues portent encore des noms rappelant le passé floral de la ville, tels que l’Université Valrose, l’avenue des Fleurs ou la rue des Œillets. Si Nice est à présent connue pour ses plages, c’est bien l’héritage de villégiature hivernale et ses jardins historiques qui permirent à la reine des fleurs de rejoindre la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO en juillet 2021.