Cet énorme bateau viking vieux de 1200 ans est un... tombeau

Un navire vieux de 1 200 ans découvert en Norvège dans un champ de pommes de terre révèle comment les seigneurs de guerre scandinaves étaient envoyés dans l’au-delà.

De Andrew Curry
Publication 17 mars 2023, 10:55 CET
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Le contour fantomatique d’un bateau-tombe viking vieux de 1 200 ans a été révélé par un radar à pénétration de sol en 2018. C’est la première sépulture de ce type exhumée en Scandinavie depuis plus d’un siècle.

PHOTOGRAPHIE DE NIKU

Dans le sud de la Scandinavie, il n’est pas rare d’apercevoir des collines basses et rebondies joncher les étendues de terres arables plates : il s’agit bien souvent des vestiges de tumuli datant de l’époque des Vikings qui, pour bon nombre, furent pillés il y a des siècles de cela et recouverts par des paysans au 19e siècle. En 2018, des fonctionnaires de la région ont demandé à l’Institut norvégien pour la recherche sur l’héritage culturel (NIKU) de fouiller le pourtour d’un de ces tumuli à Gjellestad, près de la frontière suédoise. Un radar à pénétration de sol a révélé les contours de dix tumuli ayant été recouverts au cours des 150 dernières années ainsi que le délinéament fantomatique d’un navire en bois situé à 15 centimètres à peine sous la surface d’un champ de pommes de terre.

Connaissez-vous vraiment les Vikings ?

Le bateau date vraisemblablement de la période viking et sa taille apparente, près de 20 mètres de long, en fait l’un des plus grands à avoir jamais été mis au jour. Il s’agissait du premier navire viking intact découvert depuis des décennies ; une « découverte que l’on ne fait qu’une fois par siècle », selon les archéologues.

Le navire de Gjellestad n’était pas censé être exhumé, du moins pas dans l’immédiat, mais les effets du changement climatique et l’intensification de l’agriculture ont forcé la main aux archéologues. Leur étude, qui a duré cinq ans et marque la première campagne de fouilles effectuée sur un bateau-tombe viking de cette taille depuis cent ans, fournit non seulement une mine d’informations sur les navires et les sépultures de ces anciens marins redoutables, mais fait également office de banc d’essai pour savoir ce qu’il est possible de faire dire aux artefacts qui y ont été découverts, et ce jusqu’aux plus minuscules.

 

ENTERRÉ, PAS IMMERGÉ

Si l’image de guerriers vikings gisant dans leurs navires racés est un lieu commun de la culture populaire, peu de preuves archéologiques étayent l’idée selon laquelle on ait un jour incendié ou mis à l’eau des vaisseaux dans le cadre de cérémonies funéraires.

À la place, vers l’an 400 de notre ère, des centaines de puissants chefs de guerre scandinaves commencèrent à se faire enterrer dans leurs drakkars sous des tumuli hauts de plus de six mètres. Des milliers d’autres guerriers ne disposant vraisemblablement pas d’autant de moyens furent enterrés dans des bateaux plus modestes.

Cependant, de nos jours, ces bateaux-tombes scandinaves forment une espèce en danger critique d’extinction. Au fil des siècles, ces tumuli proéminents furent pillés ou labourés et leur contenu dérobé ou endommagé. Les quelques navires découverts depuis 1904 sont de simples épaves ou bien furent abandonnés dans des tourbières.

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    Si la majeure partie du navire s’est érodée au fil des siècles, des rivets en fer bien préservés (indiqués en blanc) vont permettre aux chercheurs de reconstituer le vaisseau de près de 20 mètres de long qui fut construit à l’époque où les drakkars commençaient à être propulsés à l’aide de voiles en plus des traditionnelles rames.

    PHOTOGRAPHIE DE Museum of Cultural History

    En 2018, lorsque le gouvernement a pris la décision de laisser sous terre le navire de Gjellestad tout juste découvert, cela a surpris le public mais pas les archéologues qui comprennent que, parfois, laisser les choses sous terre est la meilleure façon de les préserver pour les prochaines générations de chercheurs.

    Mais un an plus tard, une équipe d’archéologues est retournée sur le champ de pommes de terre afin de conduire une petite séquence de fouilles et afin de se faire une idée de la qualité de la conservation du drakkar en bois. Une tranchée creusée au centre du navire dans le sens de la longueur a révélé que la quille, la « colonne vertébrale » du bateau, était encore intacte et qu’elle avait subsisté pendant des siècles au sein d’une couche de terre profonde et humide. En se fiant aux cernes du bois de la quille et d’autres partie du bateau, les chercheurs ont appris que le drakkar de Gjellestad avait été construit vers l’an 800 de notre ère.

    Cependant, grâce à une fosse agricole creusée dans les années 1960 et à une météo de plus en plus chaude et aride due au changement climatique, certaines parties du bateau situées au-dessus de la quille dépassaient du bain protecteur qui a permis au bois du navire de ne pas être au contact de l’oxygène et de rester ainsi intact pendant plus de mille ans.

    « La quille est si profonde qu’elle est restée humide tout ce temps », décrit Christian Løchsen Rødsrud, chef des fouilles et archéologue à l’Université d’Oslo. « Mais [les planches ont] séché et se sont humidifiées de nouveau tant de fois qu’il ne reste plus grand-chose. » 

    Les archéologues ont en outre identifié à l’intérieur du navire la présence d’un champignon agressif qui avait commencé à ronger le bois qui restait. Ce qui était à l’origine un bref examen s’est vite transformé en une exhumation d’urgence à grande échelle : le drakkar de Gjellestad devait sortir de terre.

     

    « C’EST COMME FAIRE UN TETRIS »

    À l’été 2020, les chercheurs ont entrepris des fouilles sur un bateau-tombe viking pour la première fois depuis 1905. L’état du navire a obligé Christian Løchsen Rødsrud et son équipe à se montrer créatifs. La moitié supérieure du drakkar de Gjellestad avait été détruite par des activités de labour il y a bien longtemps et la plupart des vestiges qui restaient s’étaient décomposés, ne laissant que des empreintes en forme de planches sur la terre.

    Des membres de l’équipe de fouilles nettoient un morceau de la quille du drakkar de Gjellestad (la « colonne vertébrale du bateau ») en bon état de conservation.

    PHOTOGRAPHIE DE Museum of Cultural History

    Mais un élément clé de la construction du navire subsistait : plus de 1 400 rivets en fer couverts de rouille, situés respectivement à l’endroit où ils étaient quand ils maintenaient les planches du navire. Chaque rivet est inspecté et leur emplacement exact consigné avant d’être exhumés par petits blocs de terre. L’année qui vient verra chaque bloc de terre être scanné et chacun des rivets être réassemblés dans une modélisation en 3D du drakkar. À terme, l’agencement des rivets révèlera la courbure de la coque et donnera naissance à une version numérique du navire.

    « Imaginez reconstruire une maison en ne regardant que les clous et la poutre de la toiture, défie Christian Løchsen Rødsrud. C’est comme faire un Tetris. »

    Avant même que le modèle numérique ne soit terminé, les chercheurs ont mis au jour des indices cruciaux concernant le drakkar de Gjellestad. La quille de 18 mètres de long est exceptionnellement svelte pour un drakkar viking et elle ne possède pas les consolidations nécessaires pour soutenir un mât, signe que le vaisseau a pu être mu au moyen de rames ou n’avoir jamais navigué du tout.

    Chose plus importante encore, le navire date de la fin du 8e siècle, époque à laquelle les marins scandinaves se sont mis à installer sur leurs drakkars des voiles qui leur ont permis d’effectuer de longs voyages et des assauts rapides et soudains. Selon Christian Løchsen Rødsrud, cela suggère que le navire de Gjellestad « date du tout début de l’âge des Vikings », et qu’il pourrait s’agir d’une structure de transition reflétant une période d’expérimentation avec les voiles. Cependant, « [nous] sommes dans l’incapacité de conclure à l’incapacité du bateau à avoir pu porter un mât tant que la reconstitution n’est pas achevée », ajoute-t-il.

    Jan Bill, conservateur du Musée des navires vikings d’Oslo et spécialiste des bateaux de l’ère viking, suggère que cela est peut-être en partie dû à des considérations pécuniaires. Les voiles étaient tissées à la main avec de la laine et nécessitaient un investissement temporel et laborieux immense. Il est possible que le mât et la voile aient été retirés du navire de Gjellestad pour être réutilisés sur un navire de construction ultérieure. « La voile coûte peut-être autant que le navire lui-même, explique Jan Bill. Ils ont très bien pu retirer le mât parce qu’il avait un coût exorbitant. »

     

    THÉÂTRE DES MORTS

    La technologie que les chercheurs déploient pour les premières fouilles réalisées sur un navire viking depuis un siècle offre également un aperçu extraordinaire sur les pratiques funéraires scandinaves de l’époque. En analysant la terre se trouvant dans le drakkar de Gjellestad et autour de celui-ci, les archéologues ont pu établir qu’on avait dégagé l’herbe et la couche agraire environnantes sur une quinzaine de mètres de diamètre avant de faire remonter le navire à terre, possiblement sur un cours d’eau des environs. Un fossé creusé autour de ce cercle maintenait les spectateurs à distance du navire qui gisait en son centre, tandis qu’une rampe ou une passerelle en terre avait été installée sur l’un des flancs du bateau pour faciliter l’enterrement. À la proue du navire se trouvait une « mare » d’argile gris-bleu. L’effet produit donnait peut-être l’impression d’un théâtre circulaire au centre duquel, sur le navire, avaient lieu des rituels pendant des semaines voire même des mois.

    Les funérailles vikings de ce type impliquant des navires étaient « davantage qu’une simple cérémonie statique », explique Neil Price, archéologue de l’Université d’Uppsala n’ayant pas pris part aux recherches. « Il s’agissait d’arènes pour interagir avec les morts. »

    La tombe a eu beau être pillée, possiblement par les forces d’Harald Ier, de petits objets comme ces perles ont subsisté.

    PHOTOGRAPHIE DE Museum of Cultural History

    Quelles qu’elles soient, les personnes qui organisèrent ces funérailles il y a 1 200 ans firent attention aux moindres détails. Des plaques de gazon furent soigneusement découpées puis réutilisées comme des briques pour renforcer la chambre funéraire. Compressées en couches de moins de trois centimètres d’épaisseur au fil des siècles, les brins d’herbe des briques de gazon ont permis aux chercheurs d’identifier le moment de l’année auquel elles ont été découpées. Le seigneur de guerre décédé fut inhumé à « la saison des récoltes, lorsque les champs sont jaunes », indique Christian Løchsen Rødsrud.

    La scène trouve un écho dans d’autres célèbres bateaux-tombes vikings comme celui de Gokstad, construit peu après celui de Gjellestad et aujourd’hui exposé au Musée des navires vikings d’Oslo. Les chercheurs ont prélevé plus de cent échantillons de terre sur le monticule qu’il formait, exhumé en 1880 et encore visible de nos jours.

    En analysant les couches de terre prélevées dans et sous le monticule de Gokstad, Rebecca Cannell, spécialiste des sols au NIKU, a découvert que d’autres bateau-tombes vikings formaient en fait bien plus que de simples piles de terre. Le bateau de Gokstad a lui aussi été minutieusement édifié, avec une « mare » d’argile à côté du navire et des carrés de gazon de différentes couleurs provenant de zones humides voisines et empilés selon des motifs précis au-dessus de la chambre funéraire. « Ça a dû être splendide, s’émerveille Rebecca Cannell. « Comme une mosaïque de marron, de noir et de vert. »

     

    RAVAGÉES PAR HARALD À LA DENT BLEUE

    Lorsqu’ils ont entamé leur travail, les archéologues espéraient découvrir qui était enterré dans le navire de Gjellestad. On avait établi par le passé que des squelettes découverts dans d’autres bateaux-tombes avaient appartenu à des femmes aussi bien qu’à des hommes ; souvent, plusieurs personnes étaient enterrées dans les tumuli et certaines étaient peut-être des domestiques ou des esclaves sacrifiés pour accompagner leur maître dans l’au-delà. Malheureusement, les archéologues n’ont pas tardé à découvrir que la sépulture avait été pillée il y a bien longtemps. « Il ne reste plus d’or ou d’argent, alors que je suis certain qu’il y en avait là-dedans », commente Christian Løchsen Rødsrud.

    Mais parce que les tumuli étaient d’importants symboles représentant les ancêtres révérés de la communauté d’un Viking et qu’ils étaient souvent érigés près de villages importants sans doute remplis de guerrier lourdement armés, l’éventualité d’un pillage laisse perplexe. Comment, se sont-ils demandé, des pilleurs de tombes ont-il pu s’enfuir sans se faire remarquer ni punir ? « Vous ne pouvez pas vraiment dérober quelque chose comme ça en secret, c’est énorme, fait remarquer Neil Price. Il faudrait non seulement creuser un trou mais en plus tailler dans les planches du bateau. » 

    Image microscopique du bois du navire de Gjellestad montrant les dégâts fongiques (en noir) subis par les vestiges du vaisseau qui ont conduit à des fouilles que personne n’attendait.

    PHOTOGRAPHIE DE Museum of Cultural History

    À partir de perturbations présentes dans le sol autour de la chambre centrale dévalisée du drakkar de Gjellestad, l’équipe a établi que les voleurs avaient creusé un vaste tunnel dans le flanc ouest du monticule, possiblement assez grand pour que quelqu’un puisse atteindre la chambre funéraire debout.

    Des intrusions similaires remontant à l’an 950 ont été découvertes dans d’autres bateaux-tombes vikings. Cette date coïncide avec la prise de contrôle du sud de la Norvège par Harald Ier dit Harald à la dent bleue. Les archéologues pensent que le conquérant a tenu à violer les tombes des ancêtres de ses rivaux de manière ostentatoire, et que le bateau-tombe de Gjellestad a pu être une de ses cibles.

    Quand ils sont entrés par effraction, les pilleurs de Gjellestad n’ont pas tout récupéré et ce qui reste trahit la richesse du trésor qui se trouvait à l’intérieur de la sépulture : des perles d’ambre et de verre, dont certaines étaient couvertes d’une feuille d’or, une pierre à aiguiser cassée, un éclat de vase en verre, et des garnitures provenant d’un grand coffre en bois. À l’intérieur et à l’extérieur de la chambre funéraire, les archéologues ont récupéré des os de chevaux et de bœufs qui suggèrent qu’un sacrifice a accompagné le défunt dans l’au-delà. D’autres découvertes sont plus mystérieuses, comme une hache apparemment enfoncée sous la coque du bateau lors de la mise en scène de l’enterrement, soit pour le caler ou bien dans le cadre d’un rituel inconnu.

    Au cours de l’année qui vient, Christian Løchsen Rødsrud et son équipe continueront à scanner les rivets et à les réassembler numériquement. Ils ont décidé de ne pas ouvrir les blocs de terre contenant ces pièces de fixation anciennes : dans le cadre d’un projet de musée qui doit voir le jour sur le site, les rivets seront remis sous terre aux endroits exacts où ils ont été découverts. Entre-temps, les données collectées seront mises à dispositions des universitaires du monde entier afin qu’ils puissent les étudier et, avec un peu de chance, en révèleront davantage sur ce qui a poussé les Vikings à parcourir les mers du monde connu sur leurs drakkars redoutablement efficaces. Dans le même temps, l’équipe de recherche va continuer à publier ses résultats en ligne et entend disposer bientôt d’une reconstitution numérique qu’elle puisse « exposer » virtuellement.

    « [Le navire de Gjellestad est] un type de bateau que nous ne connaissions pas auparavant », commente Christian Løchsen Rødsrud avec espoir. « Et je suis sûr qu’il va nous renseigner sur la navigation à l’ère des Vikings de manière inédite. » 

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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