Découverte de la plus ancienne mention du dieu Odin

Le déchiffrage de runes inscrites sur un médaillon d’or faisant mention d'Odin laisse à penser que la mythologie nordique trouve ses origines 150 ans plus tôt qu'on ne l'imaginait.

De Marie Zekri
Publication 30 mai 2023, 18:26 CEST
Bractéate en or trouvée avec le Trésor de Vindelev présentant des inscriptions runiques faisant mention du ...

Bractéate en or trouvée avec le Trésor de Vindelev présentant des inscriptions runiques faisant mention du Dieu Odin. 

PHOTOGRAPHIE DE Michael Højlund

Depuis sa découverte en 2020, le trésor de Vindelev, enterré au 6e siècle sur un site danois, fournit aux scientifiques des précisions sur l’organisation du pouvoir et de la religion au Danemark avant le début de l’ère viking. En mars 2023, une publication a révélé que des runes inscrites sur l’une des pièces qui le composent, datées du 5e siècle, faisaient mention du dieu Odin. Cette découverte repousse à 150 ans en arrière les estimations des origines de la mythologie nordique.

 

LE TRÉSOR DE VINDELEV

Au courant de l’hiver 2020, deux archéologues amateurs, Ole Ginnerup Schytz, et Jørgen Antonsen, font une découverte majeure pour l’histoire nordique, sur le site de Vindelev, non loin du site viking de Jelling, au Danemark. Ils mettent au jour un trésor composé de vingt-trois pièces d’or, ou plus exactement, vingt-trois bractéates, des médaillons nordiques finement ornementés. 

Ces objets sont étudiés dans un premier temps par les équipes d’archéologues des musées de Vejle, dirigées par Mads Ravn, avant d’être confiés au musée local pendant près d’un an et demi. La découverte est alors datée de la fin de l’Âge du Fer germanique, au 6e siècle, période qui forge les fondations de l’ère viking. 

Trésor de Vindelev. Collection en or d’une vingtaine de pièces romaines et scandinaves, datées du 5e et 6e siècles, retrouvées à Vindelev au Danemark. 

PHOTOGRAPHIE DE Michael Højlund

Ces 794 grammes d’or véritable, « enterrés à l’emplacement de ce qui semble être une longue maison danoise de l’époque », indiquent que le site était un centre de pouvoir, explique Mads Ravn, l’archéologue en chef. Cette collection de médaillons présente quelques singularités. 

Tout d’abord, les médaillons sont datés de différents siècles. Lisbeth Imer, runologue pour le Musée National du Danemark, explique qu’ils ont été « utilisés sur une très longue période, et transmis sur des générations ». Les scientifiques ont identifié de grandes pièces romaines, représentant des empereurs du 4e siècle. La plus grande d’entre elles représente Constantin le Grand. Aux côtés de ces pièces ont été retrouvées des bractéates fabriquées en Scandinavie, à partir d’or, également romain. Les bractéates retrouvées auraient donc un lien évident avec l’Empire Romain d’Occident. Les gravures « imitent clairement celles que l’on retrouve sur certaines pièces romaines », notamment des représentations de visages à la manière des empereurs. 

Or les éléments qui composent le trésor de Vindelev « ont été réalisés en Scandinave », affirme le linguiste Krister Vasshus. Les techniques de moulage, ainsi que l’usage d’un langage runique, indiquent qu’il ne s’agit pas d’une production romaine. Il y avait donc une influence culturelle marquée. Cependant, ce constat n’est pas suffisant pour établir avec certitude une quelconque alliance. Il pouvait simplement s’agir de pièces obtenues dans le cadre d’échanges commerciaux, puis fondues, avant d’être remoulées par les Scandinaves.

Certains des précieux objets retrouvés ont été « délibérément détruits par leurs propriétaires », indique Mads Ravn. Il peut s’agir de rituels d’offrande aux dieux, assez communs à cette époque et dans cette région. Ces destructions ne sont pas anodines, et seraient liées aux désastreux incidents volcaniques qui ont sévit au milieu du 6e siècle. Des études réalisées sur des carottes de glace au Groenland indiquent que de grandes quantités de cendres ont obscurci le ciel autour de l'année 536

Les historiens de l’époque parlaient d’un mystérieux nuage ou d’une éclipse sans fin qui étouffait les rayons et la chaleur du soleil. Cette période, probablement la plus froide des deux derniers millénaires, a provoqué une grande famine, d’importantes migrations, et causé l’effondrement de nombreuses structures sociales principalement dans le Nord de l’Europe. 

L’état de certains des médaillons pourrait constituer la preuve que les populations offraient en sacrifice des objets de grande valeur, cultivant l’espoir de voir le soleil percer à nouveau cet épais manteau noir qui recouvrait le ciel.

 

« IL EST L’HOMME D’ODIN »

Le trésor a été remis début 2023 aux scientifiques. Krister Vasshus, linguiste et spécialiste en histoire des anciens langages scandinaves et Lisbeth Imer, chercheuse au Musée National du Danemark, spécialiste en runologie et épigraphie, parviennent alors à déchiffrer les runes inscrites sur l’une des bractéates, ornée de fins motifs qui représentent la tête d’un homme et un cheval. « Juste au-dessus de la tête » représentée sur le médaillon, décrit Mads Ravn, « les runes font mention de la première, et plus ancienne inscription du nom d’Odin que nous ayons retrouvée. Elles datent du 5e siècle ». Cette mention du dieu principal des Ases, 150 ans plus tôt qu’estimé jusqu'à présent, remet en question les influences qui ont posé les bases de la mythologie nordique.

Cette opération était un véritable défi. « Ces runes mesurent 2 millimètres de large. […] Nous avons dû utiliser un microscope », explique Krister Vasshus. De plus, « certaines des runes étaient assez usées. Il peut y avoir différentes raisons à cela. […] Elles ont pu être abîmées par le toucher où parce que les médaillons ont été portés ». Il se trouve en effet que ce type de bractéates pouvait venir orner les vêtements des personnages puissants et influents. Enfin, la disposition en cercle des runes « ne permet pas de leur attribuer de début ou de fin », rajoutant à la difficulté d’interprétation.

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    Runes identifiées (en rouge), inscrites sur la bractéate datée du 5e s. dans le trésor de Vindelev faisant mention du Dieu Odin.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Højlund

    Ces bractéates étaient portées pour souligner une position dominante, ainsi qu’un lien avec le divin. Il est également supposé qu’elles indiquaient d’éventuelles alliances, entre rois scandinaves par exemple. Krister Vasshus explique que près de « 11 050 bractéates ont été retrouvées au Nord de l’Europe, et majoritairement en Scandinavie. […] Certaines des pièces retrouvées à Vindelev sont identiques à celles qui ont pu être mises au jour à d’autres endroits. Elles étaient produites par tamponnage. Une personne a donc utilisé le même tampon sur plusieurs médailles ». Il semble donc que des pouvoirs en place avaient une certaine sphère d’influence au sud du Danemark. Il pouvait d’ailleurs s’agir d’un seul et même roi. 

    « Wōd[a]nas weraz » (runes surlignées en rouge sur la photographie ci-dessus, ndlr) est traduite depuis un langage « proto-nordique » par « il est l’homme d’Odin ». Le nom, ou surnom Jaga, faisant référence au terme « chasseur », a également été identifié. Ces éléments faisaient probablement référence à un homme puissant, un chef ou un roi influent dans la région. Avant cette découverte, la plus ancienne mention du nom « Odin » avait été trouvée sur un fragment de crâne, daté du début de l’ère viking. Cette bractéate, et plus généralement le trésor de Vindelev, permettent donc de reconsidérer l’ancienneté des origines de la mythologie nordique. 

    Ces précisions apportent également un nouvel éclairage sur l’Âge du Fer germanique (qui s'étend du 5e au 9e siècles), marqué par d’importantes migrations, le déclin de l’Empire Romain d’Occident (en 476) et la montée de royaumes disparates dits « royaumes barbares », dans cette région danoise. Ces trésors sont les témoignages d’un temps jalonné d’influences multiples et complexes, qui façonnent un « prélude à l’ère viking », confie le directeur de recherches archéologiques du site.

    Fragment du crâne de Ribe, 725 après J.C

    PHOTOGRAPHIE DE Lennart Larsen

    Les scientifiques s’interrogent sur l’organisation d’un pouvoir caractérisant une société instable, qui précède de plusieurs siècle les premiers temps du royaume du Danemark, dont la plus ancienne mention, datée d’environ 980, vers la fin de l’ère viking, figure sur les pierres du site de Jelling, juste à côté du site de Vindelev. « Le Danemark que nous connaissons aujourd’hui », explique Krister Vasshus, « n’avait ni frontières, ni administration définies ». 

    « Nous pouvons dire que les peuples germaniques avaient des rois, ou des sortes de chefs militaires ». Les liens du pouvoir se trouvaient également étroitement entremêlés à ceux du divin, comme en témoigne cette inscription. Cependant, le manque de supports écrits à cette période donnée, au Nord de l’Europe et notamment en Scandinavie, complexifie la tâche de définir le statut de « l’homme d’Odin » de Vindelev. 

    « Beaucoup se sont demandé si nous devrions reconsidérer le début de la période viking, ce qui est assez étrange. Cela présupposerait que la mythologie nordique est la seule chose qui fait l’âge viking », précise Lisbeth Imer. « Mais ce n’est pas le cas. L’âge viking est également caractérisé par la maîtrise de l’acier, de la navigation, etc. Ce que cette découverte peut nous dire, c’est que la mythologie nordique existait également avant l’âge viking ». 

    Il n’est pas possible de déterminer avec précision les origines de cette mythologie, en grande partie parce que la culture viking était basée sur une tradition orale. Cependant, « il existe des indications, […] notamment avec la mention du nom des dieux », explique Krister Vasshus. « [Le culte d']Odin s’est développé graduellement au fil du temps à partir d’une origine imprécise. […] Il faut envisager que la référence à ce dieu n’était pas nécessairement exactement la même que celle que l’on retrouve dans la mythologie nordique ». 

    On peut considérer que plusieurs tribus ou petits royaumes indépendants influençaient le Danemark et sa culture, d’une façon relativement complexe, ajoute Mads Ravn. Le contact avec l’Empire Romain a apporté « de nouvelles conceptions de la civilisation, de la culture, de l’art ». « Il est alors possible d’imaginer que les peuples nordiques ont été en quelque sorte attirés par les idées d’un Empire Romain encore très influent ».

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