Anne Boleyn et Henri VIII : les liaisons dangereuses

Grande séductrice, Anne Boleyn parvint à se faire aimer d'Henri VIII au détriment de sa première femme. Les stratagèmes dont elle usa changèrent à jamais la face de la royauté et de la chrétienté anglaises, mais finirent par lui coûter la vie.

De National Geographic Histoire & Civilisations
Publication 28 août 2024, 10:18 CEST

Anne Boleyn dans un portrait idéalisé réalisé après sa mort.

PHOTOGRAPHIE DE Art Archive

Tandis qu'Anne Boleyn s'agenouillait devant le roi, il l'enveloppa d'un manteau de velours pourpre et plaça une couronne d'or sur sa tête ; il lui fit également don de mille livres par an « pour le maintien de sa dignité ». Le 1er septembre 1532, Henri VIII franchit ainsi une étape sans précédent : élever une femme au rang de la noblesse héréditaire anglaise. Ce geste était à la fois une preuve d'amour et une compensation après des années d'attente et de frustration tandis qu'Henri VIII tentait de mettre fin à son mariage avec Catherine d'Aragon. 

Le couple passa Noël ensemble au Palais de Placentia. Là, ils goûtèrent un banquet si somptueux que des cuisines temporaires dûrent être installées dans les jardins pour sa préparation. Peu de temps après, Anne réalisa qu'elle était enceinte. Comme ni l'un ni l'autre ne souhaitaient que l'enfant naisse hors mariage, et même si Henri était toujours marié à Catherine aux yeux de l'Église catholique, un aumônier les maria en secret en janvier 1533.

Mais qui était cette femme qui sut à ce point envoûter le cruel roi anglais ?

 

UN ROI À SES PIEDS

Née en 1501, Anne Boleyn reçut une excellente formation en tant que dame d'honneur de la reine de France. En plus du savoir-faire courtois et du raffinement culturel, elle acquit une rare sophistication dans les salons français. En 1533, François Ier, le roi de France, confia au duc de Norfolk, « combien Anne avait toujours vécu avec peu de vertu ». Henri VIII lui-même avoua à l'ambassadeur d'Espagne, en 1536, que sa femme avait été « corrompue » en France et qu'il ne l'avait découvert qu'après leur mariage.

De retour en Angleterre, Anne attira rapidement l'attention d'Henri VIII au début des années 1520. Elle fit même grand bruit : belle et intelligente, elle parlait couramment français et savait un peu de latin ; elle portait les derniers habits à la mode continentale et savait se mettre en scène pour les donner à voir. Henri déclara son amour pour elle en 1526, mais elle refusa d'être sa concubine : elle savait « à quelle vitesse le roi se lassait de celles qui l'avaient servi comme ses bien-aimées ». Anne avait de plus grandes ambitions : un mariage qui ferait d'elle la reine d'Angleterre. Elle attisa et nourrit la passion du monarque tout en refusant de consommer leur relation. Les lettres que le roi lui écrivit entre 1527 et 1529 témoignent de l'ardeur de ses sentiments nourris.

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    Anne portait les bijoux de la reine avant même d'être couronnée, les prenant à la reine Catherine d'Aragon ici représentée, la première épouse d'Henri VIII.

    PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

    Henri écrivit ainsi :

    « Par nécessité, je dois m'assurer de cette réponse, ayant été il y a maintenant plus d'un an frappé par la flèche de l'amour, n'étant assuré ni de l'échec ni de trouver place dans votre cœur. [… ] Mais s'il vous plait de vous abandonner, cœur, corps et âme à moi, qui serai, et ai toujours été, votre très fidèle serviteur, je vous promets que… je vous prendrai pour ma seule maîtresse, rejetant de la pensée et de l'affection, toutes les autres que vous-même, pour vous servir seulement. »

    Ce à quoi Anne Boleyn répondit : « Je ne puis être votre femme, à la fois en raison de ma propre indignité, et aussi parce que vous avez déjà une reine. Je ne serai pas votre maîtresse. »

    Inébranlable, le roi continua à rechercher son amour et leur relation, bien que toujours non consommée, éleva le statut d'Anne à la cour anglaise. L'ascension d'Anne marginalisa de plus en plus Catherine d'Aragon ; mais cela ne suffisait pas à la jeune femme. Un jour, après qu'Henri dîna avec la reine Catherine, Anne se plaignit avec colère et ouvertement du retard que prenait l'annulation ou la dissolution du mariage royal. Anne insinua même qu'elle quitterait Henri et déclara qu'elle perdait sa jeunesse « sans but ».

    L'annulation du mariage par le roi était une question complexe qui polarisait amèrement l'opinion politique et religieuse.

     

    TRIOMPHE DU CŒUR ET DE L'ÂME

    Henri VIII continuait de poursuivre désespérément Anne Boleyn, de la même manière qu'il poursuivait le but de voir naître un héritier mâle. Son long mariage avec Catherine ne lui avait donné aucun fils, seulement une fille, Marie, née en 1516. Une partie de son obsession pour la jeune Anne Boleyn était la possibilité qu'elle puisse lui donner un fils. Henri demanda au pape d'annuler son mariage au motif que son mariage avec Catherine était impie : l'Ancien Testament condamnait le fait d'épouser la veuve de son frère. Le pape rejeta sa demande, ce qui poussa Henri VIII à rechercher d'autres options. Il décida finalement qu'il n'avait pas besoin de l'autorisation du pape pour les questions relatives à l'église en Angleterre.

    Anne était partisane de la Réforme protestante qui menaçait l'Église catholique établie de longue date, et par extension la papauté. L'ambassadeur d'Espagne décrit Anne comme « plus luthérienne que Luther lui-même », et elle joua de fait un rôle déterminant dans la nomination du protestant Thomas Cranmer au plus haut bureau religieux d'Angleterre, l'archevêché de Cantorbéry. 

    Au début de l'année 1533, après son mariage secret avec Henri, Anne avait tout d'une reine... sauf le titre. Cranmer proposa une manière radicale de légaliser la situation. En avril 1533, le Parlement adopta la première des lois qui conduisirent l'Angleterre à rejeter officiellement le catholicisme et à établir l'Église protestante d'Angleterre. La loi sur la retenue des appels priva le pape de son autorité pour juger le différend matrimonial d'Henri VIII. Cela signifiait que Catherine ne pouvait plus faire appel à Rome pour annuler les décisions des autorités religieuses d'Angleterre. Le 23 mai 1533, Monseigneur Cranmer convoqua un tribunal ecclésiastique qui déclara nulle et non avenue l'union du roi avec Catherine ; cinq jours plus tard, le mariage entre Henri et Anne fut confirmé comme valide et légitime.

    Elizabeth Ière, le seul enfant survivant d'Henri VIII et d'Anne Boleyn, devint reine d'Angleterre en 1558, succédant à sa demi-sœur, Marie Ière. Son règne long de quarante-cinq ans fut parmi les plus prospères de l'histoire anglaise. Miniature par Nicholas Hilliard, 16e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE Prisma Archivo

    Le couronnement d'Anne Boleyn fut l'un des plus magnifiques dont Londres ait été témoin. Le 31 mai 1533, vêtue de vêtements cousus d'or et d'hermine blanche, Anne fit son entrée dans la capitale et traversa la ville dans une procession de plus de 800 mètres. Les arcs de triomphe et les événements organisés en son honneur louaient la chasteté de la nouvelle souveraine et exprimaient l'espoir qu'elle puisse donner des héritiers mâles à la dynastie Tudor. 

    On eut recours à la religion, l'art et tous les aspects de la culture courtoise pour exalter l'image de la nouvelle reine. Dans le même temps, Anne usa de son influence pour promouvoir des protestants à des postes d'importance. Elle était rarement vue en public sans un livre de prières à la main et elle donna à chacune de ses dames d'honneur des petits livres de prières, qu'elles portaient à la ceinture.

     

    LA DISGRÂCE

    À l'été 1533, Anne, enceinte, découvrit qu'Henri avait pris une maîtresse. Bien qu'il s'agissait d'une pratique courante à l'époque dans les cours européennes, Anne condamna le comportement de son époux. Henri VIII, furieux, lui intima l'ordre de « supporter cela, comme d'autres l'avaient fait avant elle », l'avertissant que sa chute pourrait être aussi rapide que son ascension. Leur relation subit un nouveau coup dur lorsqu'Anne donna naissance à une fille, la future reine Elizabeth Ière, et non au fils tant désiré par Henri. Selon l'ambassadeur vénitien, « le roi [était] fatigué de sa nouvelle reine ».

    Cependant, Henri dut mettre fin à toute opposition au mariage royal. En 1534, le Parlement adopta l'Acte de suprématie, qui proclamait le roi chef suprême de l'Église d'Angleterre. Cette décision politique rompit de manière décisive les liens entre Henri et le pape et assura la succession au trône à la princesse Elizabeth au lieu de Marie, la fille de Catherine. Toute forme de résistance à cet acte était dès lors considérée comme une haute trahison, et la tête de ses adversaires, comme celle de Thomas More, ne pouvait que finir tranchée.

    Anne Boleyn défaillit à la Tour de Londres en apprenant sa condamnation à mort. Peinture à l'huile de Pierre-Nolasque Bergeret.

    PHOTOGRAPHIE DE Art Archive

    Anne fit ensuite une fausse couche. Henri, frustré qu'Anne ne lui ait toujours pas donné d'héritier mâle, s'adonna plus que jamais aux danses et aux femmes, et était de plus en plus irrité par les plaintes que cela faisait naître chez la reine. À la fin de l'année 1535 débuta une romance royale avec Jane Seymour. 

    L'amour du roi pour Anne s'étant tari, celle-ci devint un problème politique. Au niveau national, Anne était impopulaire et, à l'échelle internationale, elle était un obstacle au rétablissement des liens avec l'empereur Charles Quint. La solution fut soufflée par Thomas Cromwell, le principal ministre d'Henri VIII. 

     

    LA MORT D'UNE REINE

    Le 30 avril 1536, après qu'Anne donna naissance à un fils mort-né, Henri décida qu'il en avait fini avec ce mariage. Thomas Cromwell l'aida à y mettre fin en tendant un piège à la reine et fit courir le bruit qu'elle avait séduit des membres de son conseil privé, y compris son propre frère. Qui plus est, Cromwell accusa également Anne de complot de régicide, arguant qu'elle fomentait d'assassiner Henri, d'épouser un de ses amants pour ensuite assurer la régence.

    La plupart des historiens considèrent comme non fondées les vingt-et-une accusations d'adultère formulées contre Anne. Il est peu probable qu'elle ait conspiré pour tuer le roi, qui était son principal protecteur et sa principale source de pouvoir. Cependant, sa réputation frivole, son penchant pour la compagnie d'autres hommes et son indulgence pour les jeux de l'amour courtois amenèrent le monarque à la croire coupable. 

    Au cours de son procès, il fut rapporté que la reine resta calme et posée, niant toutes les charges, y compris celles l'accusant de sorcellerie, mais cela ne servit à rien. Elle fut reconnue coupable d'inceste, d'adultère et de complot contre le roi et fut condamnée à mort. Son mariage avec Henri fut annulé et déclaré invalide. Avant son exécution à la Tour de Londres, Anne Boleyn fit la proclamation suivante :

    « Bon peuple chrétien, je suis venue ici pour mourir, parce que selon la loi et par la loi je dois mourir, alors je ne parlerai pas contre. Si j'ai été amenée à cette fin par la volonté de Dieu, je ne suis ici pour accuser personne, ou pour parler de ce dont je suis accusée et condamnée à mort, mais je prie Dieu pour sauver le roi et pour qu'Il lui accorde un long règne, car jamais il n'y eut de prince plus doux et clément, et, pour moi, il a toujours été un bon et doux souverain. Et si une personne s'intéresse à ma cause, je lui demande de juger pour le mieux. Sur ce, je prends mon congé du monde et de vous tous, et je vous demande du fond du cœur de prier pour moi. »

    Elle fut publiquement décapitée le 19 mai 1536. Henri VIII n'attendit que 11 jours avant d'épouser Jane Seymour, qui donna naissance à son seul fils légitime, le futur roi Édouard VI. Le règne d'Edouard fut court ; il mourut à l'âge de 15 ans. Lui succédèrent d'abord Lady Jane Grey, puis Marie Ière. Vint ensuite Elizabeth Ière, fille d'Anne Boleyn, qui régna sur l'Angleterre pendant quarante-cinq ans et conduisit le pays vers un glorieux âge d'or.

     

    Cet article a initialement paru en langue anglaise sur le site nationalgeographic.com.

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