Des dinosaures en Provence : un site unique abritait des milliers d’œufs fossilisés

Près d’Aix-en-Provence, au pied occidental de la Sainte-Victoire, des chercheurs ont découvert près d’un millier d’œufs de dinosaures fossilisés, âgés de 75 millions d’années.

De Romane Rubion
Publication 21 nov. 2025, 16:07 CET
Au cours des dix dernières années, une équipe de scientifiques a mis au jour près d’un ...

Au cours des dix dernières années, une équipe de scientifiques a mis au jour près d’un millier d’œufs fossilisés dans la Réserve naturelle de la Sainte-Victoire.

PHOTOGRAPHIE DE Prisma by Dukas Presseagentur GmbH Alamy banque d'images

Difficile d’imaginer que les falaises calcaires et les pins d’Alep de la Sainte-Victoire, immortalisés par Paul Cézanne, aient pu autrefois être des plaines humides peuplées de dinosaures. Pourtant, il y a 75 millions d’années, durant le Crétacé supérieur, le site se trouvait sur une île reliant l’Espagne au Massif central, à la latitude du Maroc actuel. Le climat y était tropical, les paysages modelés par des marécages et des lacs. C’est dans ces sols limoneux et argileux que les dinosaures venaient pondre des œufs pendant la saison des pluies.

Des traces de ces pontes sont encore visibles aujourd’hui. Au cours des dix dernières années, une équipe de scientifiques a mis au jour près d’un millier d’œufs fossilisés, certains atteignant trente centimètres de diamètre. Ces découvertes s’inscrivent dans une longue tradition paléontologique en Provence. À Rognac, à une trentaine de kilomètres, le paléontologue français Philippe Matheron décrivait dès 1846 le tout premier œuf de dinosaure fossilisé. Près de deux siècles plus tard, la Sainte-Victoire continue de révéler de nouveaux vestiges.

 

UN SITE EXCEPTIONNELLEMENT BIEN CONSERVÉ

Les fouilles de la Réserve naturelle de la Sainte-Victoire sont dirigées depuis 2015 par Thierry Tortosa, conservateur du site et docteur en paléontologie. Il souligne que ce gisement présente « un double intérêt, déjà pour sa richesse et sa conservation ». Sur un secteur d’à peine un hectare, près d’un millier d’œufs fossilisés ont été mis au jour en une décennie. Un chiffre impressionnant qui, selon lui, « permet d’extrapoler à quelques dizaines de milliers, voire millions si on voulait ». Il précise aussi que « des centaines de nids » ont été découverts, « dans des états de conservation [quasiment identiques à ceux dans lesquels ils étaient] au moment d’être recouverts par des sédiments ».

Cette préservation remarquable s’explique par un phénomène naturel répété au fil du temps. « Après chaque saison de ponte et de reproduction de ces animaux, sous l’effet de la météo et des aléas climatiques, des coulées de boue venaient recouvrir tous les sites, ce qui assurait leur protection », explique la paléontologue. Ce recouvrement rapide ralentissait la décomposition et empêchait les charognards d’accéder aux nids, offrant ainsi des conditions idéales à leur fossilisation.

Le second intérêt du site tient à sa longue histoire paléontologique. Les œufs de dinosaures y ont été découverts depuis les années 1930 et les premières études publiées datent de 1947. Le Muséum d’Histoire naturelle d’Aix-en-Provence s’est consacré à l’étude de ces œufs entre les années 1950 et 1970, avant que des chercheurs de l’Université de Montpellier ne développent une méthode de datation. Le surnom « Eggs-en-Provence », donné lors des premiers travaux scientifiques, est encore utilisé aujourd’hui pour désigner le gisement.

Depuis 2015, les fouilles sont menées conjointement par le département des Bouches-du-Rhône, gestionnaire du site, et le Muséum, avec un objectif clair : « comprendre la stratégie de ponte et de reproduction des dinosaures ». Pour Thierry Tortosa, l’avancée majeure des ces dernières années réside dans la possibilité de « récolter des données grâce au recensement 3D de pontes entières, et non plus à partir de simples collectes d’œufs en surface ».

Chaque année, les chercheurs explorent la même zone, en creusant progressivement en profondeur pour obtenir « une vision d’un instant d’une zone de ponte ». Ils comparent ensuite cette scène figée aux niveaux plus anciens afin de déterminer « si la stratégie de ponte est toujours la même, si on retrouve les mêmes espèces ». En dix ans, environ 1,50 mètre de couches de sédiments ont été dégagées, « ce qui représente cinq, six couches différentes ».

Jean-Marc Perrin, conseiller départemental délégué à la mise en valeur de la paléontologie et de l’archéologie, souligne que le département des Bouches-du-Rhône, « plus grand propriétaire foncier d’espaces naturels de toute la France », porte aujourd’hui un projet d’extension de la réserve naturelle. Sa superficie doit doubler d’ici 2026, passant de 140 à 280 hectares, afin de « mieux protéger le territoire » et assurer « une cohérence géographique », une partie de la zone à intégrer se trouvant sur un ancien terrain militaire. 

Selon Thierry Tortosa, cet agrandissement offrira l’accès à de nouvelles zones du Crétacé et ouvrira davantage de « fenêtres » sur les fossiles. L’extension inclut déjà un secteur particulièrement riche en œufs, aujourd’hui utilisé pour des fouilles participatives et destiné à devenir une zone pédagogique.

Classé réserve naturelle nationale à vocation géologique depuis 1994, le site bénéficie du plus haut niveau de protection en France. Jean-Marc Perrin rappelle qu’au-delà du gisement fossilifère, la réserve abrite un environnement remarquable où près de 1 500 espèces ont été recensées. Ce statut l’a largement préservé des pressions humaines, malgré quelques épisodes de pillages.

 

DES ŒUFS, MAIS PAS QUE !

Sur les mille œufs découverts, aucun ne renferme d’embryon. Plusieurs explications sont envisagées : certains œufs n’auraient jamais été fécondés, d’autres auraient vu leur contenu se dissoudre sous l’effet du sol et du climat, ou bien les juvéniles en seraient déjà sortis. Cette absence d’embryons complique fortement l’attribution des œufs à une espèce précise.

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    Surnommé « Baby Yingliang », ce fossile nouvellement décrit a été découvert recroquevillé dans une position pré-éclosion.

    PHOTOGRAPHIE DE Lida Xing

    Mais, « bonne nouvelle », certaines couches présentent simultanément des œufs et des ossements, « ce qui veut dire qu’on pourrait théoriquement trouver des embryons, soit près de l’éclosion, soit post-éclosion, comme cela a été trouvé ailleurs dans le monde », souligne Thierry Tortosa. Une telle découverte permettrait enfin d’identifier l’espèce pondeuse. Les spécimens fécondés connus restent extrêmement rares. Parmi les plus célèbres figure « Baby Yingliang », un fossile d’Oviraptorosaure daté d’au moins 66 millions d’années, retrouvé vers l’an 2000 à Ganzhou, en Chine. Pour l’instant, seule la forme sphérique des œufs de la Sainte-Victoire suggère qu’il s’agirait « préférentiellement d’œufs d’herbivores », parmi quatre familles possibles : les Titanosauriens, les Rhabdodontidés, les Hadrosauridés et les Nodosauridés. Les comparaisons avec d’autres sites fossiles, en France et à l’étranger, ouvrent plusieurs pistes mais ne permettent pas de trancher.

    À l’époque du Crétacé, le site offrait des conditions idéales pour la nidification. « Un herbivore qui pond au sol a besoin d’un environnement suffisamment protecteur », rappelle le paléontologue. La région formait alors un paysage tropical, traversé de rivières, de lacs et de vastes zones humides où poussaient roseaux, fougères et arbustes. Cette végétation dense jouait un double rôle. Elle « masquait les nids […] visuellement pour tromper les prédateurs » et l’humidité ambiante « masquait aussi l’odeur des œufs et des petits ». Une stratégie que l’on retrouve encore aujourd’hui chez leurs descendants, notamment chez de nombreux oiseaux observés en Camargue.

    Les fouilles n'ont pas seulement révélé des œufs. Le site se distingue aussi par l’abondance d’ossements exhumés. Les chercheurs ont ainsi mis au jour une couche regroupant près de 400 os attribués au Rhabdodon. « Ce qui nous a permis de reconstituer l’an dernier le premier squelette de ce dinosaure au monde […] avec un niveau d’authenticité d’environ 95 % », explique Thierry Tortosa. Cette reconstitution a été rendue possible en combinant virtuellement les os de nombreux individus issus d’une même population fossile. « Ce qui est amusant, c’est que Rhabdodon, c’est quand même le premier dinosaure décrit en Provence en 1869 ». 

    Les fouilles ont également mis au jour d’autres dinosaures : des carnivores comme Arcovenator, le plus grand prédateur local de l’époque, ainsi que des dents de petits dromaeosauridés tels que Variraptor. Du côté des herbivores, un titanosaure est en cours de dégagement depuis 2023. « On a des restes d’autres animaux : crocodiliens, tortues aquatiques et terrestres, […] gastéropodes », poursuit le scientifique. Plus récemment, une empreinte fossilisée de rhabdodon, âgée d’environ 80 millions d’années, a été mise au jour à Gréasque, une commune un peu plus au sud d'Aix-en-Provence. 

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