Pourquoi le peuple Chimú sacrifiait-il ses enfants et ses lamas ?

Au Pérou, un archéologue français a étudié les lamas retrouvés sur le site du plus grand sacrifice d’enfants de l’histoire du continent américain. Son travail permet de mieux cerner l’effroyable rituel et les pratiques d’élevage des peuples précolombiens.

De Julie Lacaze
Danila, 14 ans, tient un petit alpaga, près de Huaylillas, dans les hautes terres du nord ...
Danila, 14 ans, tient un petit alpaga, près de Huaylillas, dans les hautes terres du nord du Pérou. Les analyses des squelettes des enfants sacrifiés révèlent qu’ils étaient âgés de 5 à 14 ans, et qu’ils venaient de tout l’empire des Chimú, y compris des montagnes.
PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark

Pour contenter leurs divinités, les sociétés précolombiennes pratiquaient des rituels terrifiants. Parmi leurs offrandes : des enfants et des lamas. Ceux-ci étaient sacrifiés aux dieux dans des espaces dédiés, comme les grandes pyramides appelées huacas. Au Pérou, les archéologues ont ainsi découvert les traces du plus grand massacre connu d’enfants de l’histoire du continent. Celui-ci a été pratiqué par le peuple chimú, une civilisation installée à partir de l’an 900 le long de la côte du Pacifique.

« Depuis 2011, deux sites ont été redécouverts, dans la ville de Huanchaco, précise l’archéologue français Nicolas Goepfert (CNRS), spécialiste des camélidés, qui a participé aux premières fouilles : celui de Huanchaquito-Las Llamas, situé sur une dune, face à l’océan, qui n’a servi qu’à ce rituel ; et celui de Pampa La Cruz, un peu plus à l’ouest du précédent, un lieu de culte doté d’une architecture monumentale. » En tout, 269 enfants et 466 lamas ont été exhumés sur l’ensemble des deux sites. Les sacrifices auraient eu lieu dans la première partie du 15e siècle, peu avant la chute de la civilisation des Chimú, conquise par les Incas en 1470.

 

LE CŒUR ARRACHÉ

Concernant le rituel, on peut établir un parallèle entre celui réalisé sur les animaux et celui subi par les enfants. Tout d’abord, l’âge des victimes : « 80 % des lamas du site de Huanchaquito-Las Llamas avaient moins de 1 an, et n’avaient donc pas atteint l’âge adulte », remarque le scientifique. Le procédé pour donner la mort était également comparable, avec l’extraction du cœur des victimes.

Les restes d’un enfant et d’un lama émergent du sol, à Huanchaquito. La majorité des enfants furent inhumés tournés vers la mer, et les lamas, vers les cimes. Fournissant des fibres textiles, de la nourriture et un moyen de locomotion, les lamas constituaient aussi des offrandes de valeur.
PHOTOGRAPHIE DE Gabriel Prieto

« Les prêtres pratiquaient la ch’illa, précise Nicolas Goepfert, une technique traditionnelle qui consiste à effectuer une incision sous le sternum, puis à introduire la main dans la cage thoracique pour couper l’aorte et arracher le cœur. Cette mort, qui paraît atroce, était néanmoins plus rapide que celle résultant d’autres méthodes, comme l’égorgement. »

Si les analyses récentes de l’ADN montrent que les enfants sacrifiés n’étaient pas choisis en fonction de critères particuliers (le sexe notamment), les camélidés, eux, étaient sélectionnés selon la couleur de leur pelage. Ils devaient être soit bruns soit beiges, ou d’un mélange des deux couleurs, mais n’étaient jamais noirs, gris ou blancs.

Pourquoi une telle sélection ? « Chez les Incas, qui ont soumis les Chimú, adoptant au passage certaines de leurs pratiques, le sacrifice d’animaux blancs était dédié à Inti, le Soleil. Les animaux bruns étaient destinés à Viracocha, le Dieu créateur. Les animaux tachetés, quant à eux, étaient offerts à Illapa, le dieu de la Foudre. » Était-ce pour calmer ces derniers qu’enfants et animaux ont été si froidement sacrifiés ? C’est possible.

Les scientifiques ont trouvé de nombreuses traces de pas près des lieux des massacres. La preuve que des pluies diluviennes se sont abattues au moment des rituels. Des intempéries probablement liées au phénomène climatique El Niño, connu de nos jours pour provoquer des inondations meurtrières.


DES ÉLEVEURS HORS PAIR

Selon les analyses isotopiques menées par Elise Dufour, chercheuse au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), les lamas sacrifiés provenaient de zones côtières et de vallées de basses altitudes, contrairement aux enfants chimú, qui étaient acheminés de tout le royaume — y compris des montagnes.

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    Un squelette de camélidé retrouvé sur le site de Huanchaquito-Las Llamas. L’Agence nationale de la recherche (ANR) a financé le projet Camelandes. Celui-ci vise à mieux comprendre les pratiques pastorales et le rôle qu’occupaient les camélidés dans les civilisations précolombiennes.
    PHOTOGRAPHIE DE Nicolas Goepfert

    « La quantité d’animaux présents sur les deux sites archéologiques permet d’avancer que les Chimú étaient des agriculteurs et des éleveurs hors pair, capables de maîtriser des cheptels de milliers d’individus, explique Nicolas Goepfert. En effet, 95 % de l’apport protéique était tiré de ces animaux, qui servaient également aux transports, à l’habillage et à la fabrication d’outils en os. »

    L’élevage de lamas et d'alpagas a commencé dans les Andes autour de 4 000 av. J.-C., puis les troupeaux ont progressivement migré vers la côte Pacifique. Il a fallu près de quatre millénaires pour qu’ils s’adaptent à des altitudes et climats différents. Or ces animaux ont aujourd’hui totalement disparu de cette zone.

    Comment les Chimú sont-ils parvenus à faire vivre ces espèces originaires des montagnes andines dans ces régions côtières au climat aride ? « Les analyses isotopiques sur les ossements et les dents, mais aussi archéobotaniques (amidons et phytolithes) des restes intestinaux, présents chez les animaux sacrifiés à Huanchaquito-Las Llamas, montrent que les troupeaux étaient nourris avec du maïs », explique l’archéologue. La preuve que, dans ces régions arides, les Chimú utilisaient du fourrage pour nourrir le bétail et que les animaux servant aux rituels bénéficiaient peut-être d’un traitement particulier.

    Une chose est sûre : lamas et enfants ont dû être sacrifiés conjointement à plusieurs reprises dans l’histoire du peuple chimú. Reste à découvrir d’autres sites attestant une pratique similaire.

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