Ce qui a vraiment décimé l’armée de Napoléon : de nouvelles pistes scientifiques

Une nouvelle analyse génétique de dents provenant d’une fosse commune en Lituanie révèle les maladies cachées qui ont frappé les soldats de l’empereur français alors qu'ils battaient en retraite, en 1812.

De Tim Vernimmen
Publication 1 nov. 2025, 09:08 CET
Des chercheurs ont récemment découvert que certains soldats morts lors de la retraite de Moscou de ...

Des chercheurs ont récemment découvert que certains soldats morts lors de la retraite de Moscou de Napoléon auraient pu souffrir de fièvre récurrente, causée par la bactérie Borrelia recurrentis, ainsi que de fièvre paratyphoïde, provoquée par une souche de Salmonella.

PHOTOGRAPHIE DE Adolph Northen (1828-1876), Barbieri et al., Current Biology

Alors que Napoléon Bonaparte rentrait de sa désastreuse Campagne de Russie en 1812, son armée perdit des dizaines de milliers d’hommes, pour la plupart conscrits de force, victimes d’un mélange fatal de froid extrême, d’épuisement, de famine et de maladies.

D’après les récits de l’époque, les principales maladies responsables de ces décès auraient été la « fièvre des camps » (aujourd’hui connue sous le nom de typhus exanthématique) et la « fièvre des tranchées ». Pourtant, lorsque des chercheurs ont récemment analysé l’ADN ancien de treize dents prélevées sur différents soldats enterrés dans une fosse commune à Vilnius, en Lituanie, quelle ne fut pas leur surprise de ne trouver aucune trace de ces deux fléaux.

Au lieu de quoi, ils ont découvert des fragments d’ADN appartenant à deux autres bactéries, suggérant que l’armée napoléonienne fut assiégée, lors de sa retraite, par davantage de pathogènes qu’on ne le pensait. Les résultats ont été publiés récemment dans la revue Current Biology.

« Pour être honnête, nous avons choisi d’étudier ces échantillons parce que nous nous attendions à y trouver du typhus », explique Nicolás Rascovan, paléogénéticien travaillant à l’Institut Pasteur, à Paris, auteur principal de l’étude. « Mais les meilleurs résultats sont souvent les plus inattendus. »

L’une des bactéries identifiées appartient au genre Borrelia, une parente des bactéries transmises par les tiques responsables de la maladie de Lyme. Celle-ci, transmise par les poux, provoque une affection invalidante appelée fièvre récurrente, aujourd’hui rare en Europe.

L’autre agent pathogène découvert est une souche de Salmonella provoquant la fièvre paratyphoïde. Bien qu’elle présente des symptômes similaires à ceux du typhus, fièvre, éruptions cutanées et diarrhée, elle n’est pas transmise par les poux. L’infection se contracte plutôt par la consommation d’eau ou d’aliments contaminés par des matières fécales.

Alexandra Buzhilova, anthropologue à l’Université d’État Lomonossov de Moscou, qui avait pris part à une précédente étude sur les dents de soldats napoléoniens enterrés à Kaliningrad (Russie), mais qui n'a pas participé à la récente étude, s’est dite « intriguée » par le fait que les chercheurs aient réussi à identifier deux pathogènes jusqu’ici inconnus.

« C’est une preuve supplémentaire que le séquençage de l’ADN ancien est un outil extrêmement puissant pour enquêter sur les maladies du passé, » souligne-t-elle.

Des scientifiques ont analysé l’ADN ancien extrait de treize dents appartenant à différents soldats de l’armée ...

Des scientifiques ont analysé l’ADN ancien extrait de treize dents appartenant à différents soldats de l’armée de Napoléon, enterrés dans une fosse commune en Lituanie.

PHOTOGRAPHIE DE Michel Signoli, Aix-Marseille Université

 

DES PATHOGÈNES PIÉGÉS DANS LES DENTS

Étant donné que les chercheurs ont analysé les dents de seulement treize individus sur plus de trois mille inhumés dans la fosse commune, Nicolás Rascovan souligne que ces résultats ne signifient pas que ces deux pathogènes ont été la principale cause de décès des soldats de l'armée napoléonienne, ni que le typhus n’en ait pas été une. Selon lui, l’étude apporte plutôt un nouvel éclairage sur d’autres maladies qui ont pu contribuer à l’état de santé dégradé des soldats, voire à leur mort.

« Je pense que cette étude ouvrira la voie à de nouvelles observations sur les espèces bactériennes responsables de fièvres dans le passé », déclare Lucy van Dorp, généticienne à l’University College London, qui n’a pas participé à l’étude en question, mais a contribué à identifier des bactéries apparentées sur d’autres sites archéologiques.

Rimantas Jankauskas, ostéologue à l’Université de Vilnius, qui a dirigé l’équipe lituanienne chargée de l’étude des restes exhumés, regrette de ne pas avoir été informé ni impliqué dans la nouvelle recherche. Il reconnaît toutefois que ces découvertes n’excluent pas le typhus comme cause majeure de mortalité.

« Ces résultats ajoutent simplement des détails à ce que l'on sait de la tragédie qui s’est déroulée en décembre 1812 », affirme-t-il.

 

LA GRANDE ERREUR DE NAPOLÉON

Le médecin militaire Joseph Romain Louis de Kirckhoff, qui publia en 1836 un ouvrage relatant ses expériences de terrain durant la campagne de Russie, décrivit les hôpitaux où affluaient les malades et les blessés comme des « cloaques de misère et d’infection ».

Il attribuait les maladies à la saleté des vêtements, à la mauvaise nourriture, à l’épuisement et à la promiscuité. Dans un passage intriguant, il évoquait aussi les betteraves fermentées que les soldats réquisitionnaient dans les maisons locales, les accusant d’être à l’origine d’une diarrhée incessante.

« Je lisais ce rapport ancien et j’ai trouvé fascinant qu’il évoque cela, car il est très rare de voir formulée une hypothèse sur l’origine d’une infection », explique Rémi Barbieri, microbiologiste à l’Institut Pasteur et coauteur de l’étude.

Rémi Barbieri a lu de nombreux textes contemporains sur le sujet. Mais lui et ses collègues pensent qu’il est tout aussi probable que les soldats aient été rendus malades par leur propre manque d’hygiène.

En 1812, on ignorait encore que les maladies infectieuses étaient causées par des micro-organismes. La majorité des savants pensaient qu’elles naissaient spontanément de la saleté avant de se propager par un « air vicié », une idée que Louis Pasteur, fondateur de l’institut dans lequel travaillent Nicolás Rascovan et Rémi Barbieri, réfuta plusieurs décennies plus tard. Joseph Romain Louis de Kirckhoff nota néanmoins que de nombreux habitants de la ville de Lyozna tombèrent malades après l’arrivée de l’armée.

Et pour les survivants ayant quitté Vilnius, les souffrances étaient loin d’être terminées.

« Partout où nous passions durant les mois de janvier et février, nous semions la panique et la mort », écrivit Joseph Romain Louis de Kirckhoff. Les habitants locaux, « forcés de nous loger et de nous nourrir, furent non seulement accablés par notre passage, mais devinrent la proie d’une contagion meurtrière, un souvenir fatal que nous leur laissions ».

La campagne de Russie, l’une des plus désastreuses entreprises militaires de l’histoire, reste pour les historiens un symbole du gâchis monumental de vies humaines provoqué par la quête de gloire personnelle d’un dirigeant égaré et impitoyable. Joseph Romain Louis de Kirckhoff, devenu plus tard un fervent défenseur des hôpitaux publics et de la médecine pour les pauvres, la qualifia sans détour de « grande erreur », ajoutant que c’était là une entreprise que « nul homme de bonne foi n’oserait tenter de justifier ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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