Ces géants de pierre veillaient sur les nécropoles de Sardaigne il y a 3 000 ans

Ces dizaines de statues vieilles de 3 000 ans découvertes sous un champ de Mont-Prama, en Sardaigne, avaient été détruites par des envahisseurs. En les reconstituant fragment par fragment, des archéologues ont ressuscité un morceau de la culture nuragique

De Francesca Mulas
Publication 4 nov. 2021, 17:03 CET
Boxer

Des cercles parfaitement concentriques et une structure orbito-nasale en forme de T donnent leur allure caractéristique à ces géants de pierre qu’on peut admirer au musée national archéologique de Cagliari, en Sardaigne.

PHOTOGRAPHIE DE Paul Wiliams/Alamy/ACI

À l’été 1974, des agriculteurs sardes qui labouraient leurs champs se sont subitement interrompus. Ils venaient de heurter ce qui avait tout l’air d’un gros rocher. Mais en l’inspectant de plus près, ils ont découvert une chose à laquelle ils ne s’attendaient pas : une tête sculptée dans la roche. Grâce à leur trouvaille, on a pu mettre au jour un des sites les plus importants de l’âge du fer en Méditerranée occidentale.

Le bloc de roche calcaire dont il est question a été exhumé à Mont-Prama, village situé sur le littoral occidental fertile de la Sardaigne. Et ce n’était que le premier d’une série de milliers de fragments que devaient recouvrer les archéologues au cours des décennies suivantes. En assemblant ces fragments un à un, on s’est aperçu qu’il s’agissait en fait de statues colossales.

Initialement sculptés dans blocs individuels de calcaire, les géants de Mont-Prama sont plus grands que la plupart des humains. Certains font près de 2,10 mètres. Ils ont des traits hautement stylisés, un visage triangulaire, des sourcils et un nez en forme de T. La caractéristique la plus distinctive est leur regard : leurs yeux sont représentés par de grands cercles concentriques regardant droit devant eux. Certaines portent un bouclier et d’autres un arc. En s’appuyant sur ces caractéristiques, les chercheurs ont regroupé les géants de Mont-Prama en trois catégories principales : archers, pugilistes et guerriers.

Bien que les historiens cherchent toujours à comprendre ce que ces géants représentaient exactement, tous s’accordent à dire que leur fonction était d’unir une communauté antique par leur symbolisme impressionnant. Ils témoignent d’une culture extraordinaire de l’âge du fer qui s’est épanouie il y a près de 3 000 ans avant de succomber aux invasions carthaginoises.

 

QUI EN SONT LES AUTEURS ?

Tout au long de son histoire, la Sardaigne a été animée par le mouvement des peuples. Son positionnement entre péninsules italienne et ibérique lui a longtemps offert une place de choix dans le commerce méditerranéen.

Quand on a découvert les géants de Mont-Prama, les chercheurs pensaient qu’ils faisaient partie d’un temple carthaginois ; la puissance commerciale de Carthage était partie d’Afrique du Nord et avait conquis l’île au 6e siècle av. J.-C.

En plus des milliers de fragments de statues, les fouilles réalisées à Mont-Prama entre 1977 et 1979 ont permis de mettre au jour trente tombes dans cette nécropole nuragique. Dans ces caveaux cylindriques scellés par des blocs de grès gisent des hommes et des femmes enterrés en position assise ou à genoux.

PHOTOGRAPHIE DE ART Collection, AGE Fotostock

Mais en effectuant davantage de recherches, les archéologues se sont aperçus que les fragments de pierre étaient bien plus anciens que les Carthaginois eux-mêmes. Après avoir examiné les fragments, Giovanni Lilliu, que beaucoup considèrent comme le père de l’archéologie sarde, est arrivé à la conclusion qu’ils ressemblaient à des statuettes de bronze de la civilisation nuragique, originaire de Sardaigne.

La culture nuragique, qui s’est épanouie du 18e au 8e siècle av. J.-C., est connue pour son travail du métal et de la pierre. Dans toute l’île, le peuple nuragique a bâti des structures mégalithiques reconnaissables entre mille : les nuraghes éponymes. On compte aujourd’hui près de 6 000 nuraghes qui émaillent le paysage de l’île. C’est un nombre ahurissant pour ce territoire qui ne fait que 24 000 km2 (soit peu ou prou la superficie de l’Auvergne).

Souvent dominées par une tour renfermant une chambre circulaire, ces structures ne sont présentes qu’en Sardaigne. Leur fonction exacte demeure une énigme : servaient-elles de forts, d’habitations ou de palais ? Peut-être était-ce un peu des trois à la fois… La construction de nouveaux nuraghes semble avoir cessé vers 1 200 av. J.-C. même si on a continué à s’en servir pendant des siècles.

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    Le nuraghe de Palmavera (15e à 9e siècle av. J.-C.) est un exemple caractéristique des structures mégalithiques érigées par le peuple nuragique en Sardaigne à l’âge du bronze tardif.

    PHOTOGRAPHIE DE Alinari, RMN Grand Palais

    Quelque temps après que ces géants ont été sculptés, le système tribal nuragique a commencé à faillir et à décliner. Les Grecs et les Phéniciens se sont disputé les ressources minérales abondantes de l’île et ces derniers ont fini par prendre le dessus. Au 6e siècle av. J.-C., leurs cousins carthaginois (Carthage avait été fondée par des Phéniciens) ont fini par conquérir la Sardaigne.

    Il semble que les géants aient été détruits à un moment donné après le déclin de la culture nuragique. Il s’agit selon toute vraisemblance d’un acte de profanation délibéré. D’après les chercheurs, ce serait le fait de colons phéniciens ou carthaginois qui cherchaient à imposer leurs us et coutumes en rabaissant ceux qui avaient eu cours jusqu’alors.

     

    LES IMPOSANTES STATUES DE MONT-PRAMA

    Ces statues massives réassemblées par des archéologues de 2007 à 2011 ont été réparties en trois catégories : pugilistes, archers et guerriers. Bien que certains éléments manquent parfois à l’appel, les archéologues croient que lorsqu’elles étaient encore intactes, ces sculptures étaient dotées d’un ensemble de traits caractérisant leur appartenance à une catégorie particulière.

    Les pugilistes, catégorie la plus nombreuse à ce jour, sont torse-nu et trapus. Chaque sculpture tient un bouclier au-dessus de la tête. Les archéologues ont aussi déduit à partir d’autres fragments que ces statues portaient également un gant de combat traditionnel à la main droite. Elles ont des yeux faits de deux cercles concentriques. Selon certains historiens, il s’agirait d’athlètes de combat ayant pu jouer un rôle religieux voire même sacerdotal.

    Au milieu des statues géantes mises au jour à Mont-Prama, on a également découvert des modèles miniatures de nuraghes comme celui-ci.

    PHOTOGRAPHIE DE Paul Williams, Alamy, ACI

    Les archers sont représentés le bras droit levé en guise de salut et la main gauche gantée tenant un arc qui repose sur l’épaule. De longues nattes leur retombent sur les épaules. On n’a pour le moment pas retrouvé de tête d’archer en bon état de conservation mais les archéologues pensent qu’elles étaient dotées des mêmes traits que celles des guerriers. Les guerriers qu’on a retrouvés sont dans un état déplorable. Leur casque comporte une crête au milieu et deux cornes sur le dessus. Ils portaient aussi vraisemblablement des boucliers circulaires quand on les a sculptés.

     

    UNE TACHE COLOSSALE

    Des fouilles réalisées dans les années 1970 ont permis de confirmer que Mont-Prama renfermait bien une nécropole nuragique antique. Les plus anciens tombeaux datent du 11e siècle av. J.-C. L’origine nuragique du site ne fait aucun doute, car on y a découvert d’autres fragments de statues et des modèles miniatures de nuraghes en pierre.

    Mises bout à bout, les fouilles ultérieures réalisées à Mont-Prama montrent que les géants de pierre ont été sculptés à un moment donné entre le 10e et le 8e siècle av. J.-C., vers la fin de l’apogée nuragique.

    À Mont-Prama, le travail archéologique s’est principalement axé sur la nécropole, sur ses tombeaux, et sur la collecte et l’analyse patientes d’une multitude de fragments extraits de la terre. Il n’est pas usurpé de dire que la tâche de l’équipe archéologique a été colossale : depuis les années 1970, des milliers de fragments assortis se sont accumulés.

    En 2007 a commencé un travail méticuleux de reconstitution des sculptures. En 2011, les chercheurs avaient réussi à reconstituer vingt-quatre statues grâce aux fragments de pierre, mais beaucoup demeurent incomplètes. Désormais, ces chefs-d’œuvre de l’âge du fer peuvent être admirés au musée archéologique national de Cagliari et au musée Giovanni Marongiu, à Cabras, tout près du site de Mont-Prama.

    En 2015, trois sculptures supplémentaires ont été restaurées, et notamment deux archers découverts à Mont-Prama l’année précédente. Le style de ces statues est sensiblement différent de celui de celles découvertes jusqu’alors. En plus de ces vestiges, l’équipe s’attèle à restaurer une multitude de modèles de nuraghes.

        

    DES QUESTIONS SANS RÉPONSES

    Trois mille ans après, la raison pour laquelle le peuple nuragique a érigé ces statues laisse les archéologues perplexes. Et la façon dont elles ont été disposées aussi. Selon certains, ces sculptures représentent les catégories militaires et religieuses de l’élite nuragique qui gît peut-être encore sous la nécropole.

    Une autre hypothèse est que ces statues représentaient des figures héroïques du passé nuragique, possiblement celles qui avaient bâti les nuraghes. Selon cette théorie, on aurait disposé les sculptures de manière à former un hérôon, terme grec désignant un temple ou un monument dédié à un ou plusieurs héros. Placer ces ancêtres héroïques près de la nécropole était un moyen de garder à l’esprit les valeurs traditionnelles et l’héritage qui unifiaient le peuple nuragique.

    Aujourd’hui encore, certains Sardes aiment à s’identifier à ces symboles du passé. Les géants de Mont-Prama sont devenus si célèbres que, pour beaucoup, ce ne sont plus les nuraghes qui symbolisent le passé antique de l’île mais leur visage.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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