Comment des colons blancs ont renversé la dernière reine hawaïenne

Un coup d’État brutal mais sans violence a mis fin à la monarchie hawaïenne et a ouvert la voie à la création d’un État américain. Mais la souveraineté de l’archipel fait encore débat aujourd’hui.

De Erin Blakemore
Publication 19 mai 2021, 14:44 CEST
Liliuokalani, Queen of Hawaii

Liliʻuokalani, la dernière reine d’Hawaï, pose pour un portrait plus de deux décennies après qu’une alliance de propriétaires de plantations a renversé son gouvernement en 1895. Liliʻuokalani s’est battue pendant des années pour la restitution. En 1911, le territoire de Hawaï lui a accordé une compensation à vie.

PHOTOGRAPHIE DE Librairie du Congrès

Dans son palais à Honolulu, Liliʻuokalani hésitait face au morceau de papier qui, une fois signé, lui ôterait son titre de reine du pays. Si elle abdiquait, six de ses plus fervents partisans seraient relâchés de prison, où ils attendaient d’être exécutés pour trahison. Ces hommes avaient rallié une petite armée de moins de cent personnes pour défendre son statut de souveraine à Hawaï. Après quelques malheureuses escarmouches, ils s’étaient retirés.

« En ce qui me concerne, j’aurais choisi la mort plutôt que de le signer », a-t-elle écrit dans son autobiographie. « Imaginez ma position... Le flot de sang était prêt à couler si je ne l’arrêtais pas avec mon stylo. »

Avec sa signature le 24 janvier 1895, des générations de monarques hawaïens touchaient à leur fin. Les îles que Liliʻuokalani avait un jour gouvernées allaient bientôt être annexées aux États-Unis sur ordre des colons blancs qui s’étaient installés à Hawaï, pensant que l’archipel n’était autre qu’une poule aux œufs d’or. L’héritage de cette perte au profit d’une minorité aisée retentit encore aujourd’hui.

 

UNE CRISE POLITIQUE ENTRAÎNÉE PAR L’EXPLOSION DES PLANTATIONS

Par le passé, chaque île de l’archipel était gouvernée par un chef, et ce, de manière héréditaire. Après l’arrivée des premiers explorateurs européens en 1778, le contact avec le monde extérieur donna naissance à des opportunités commerciales et des avancées, notamment le langage écrit. Un guerrier de la Grande île, nommé Kamehameha, profita des armes que les colons avaient apportées pour dérober le pouvoir des îles de la majorité des chefs. Il unifia le royaume d’Hawaï en 1795, régi par une monarchie constitutionnelle. Cet évènement mit ainsi fin à des années de conflit entre les îles. Hawaï était mieux protégée contre une éventuelle prise de pouvoir de la part d’intérêts étrangers maintenant qu’elle formait une nation unie.

En 1893, le président américain Grover Cleveland a nommé James H. Blount pour enquêter sur le coup d’État à Hawaï. Le Representative Committee of Delegates of the Hawaiian People, ci-dessus, a adressé une pétition à Blount pour la restauration de la monarchie sous la reine Liliʻuokalani.

PHOTOGRAPHIE DE Librairie du Congrès

Lesdits intérêts avaient d’ailleurs décimé la société hawaïenne traditionnelle. Les maladies qu’ils apportèrent avec eux ravagèrent les Hawaïens natifs. En 1840, leur population avait décliné de 84 %, une chute dévastatrice. La nouvelle monarchie constitutionnelle, basée sur les modèles de gouvernement européens, redéfinit elle aussi les structures sociales établies de longue date.

Les îles étaient de plus en plus peuplées par des Européens, mais aussi des missionnaires ou encore des entrepreneurs américains qui avaient commencé à y acquérir des terres pour leur plantations de canne à sucre. Ces dernières nécessitaient une main-d’œuvre importante. Les propriétaires commencèrent alors à faire venir des travailleurs contractuels payés à bas prix du monde entier, en particulier d’Asie de l’Est. Rapidement, Hawaï commença à produire d’énormes quantités de sucre. En 1874, l’archipel exportait plus de 11 300 tonnes de sucre aux États-Unis.

Hawaï était plus qu’une simple puissance économique. De par son emplacement entre l’Asie et les États-Unis, il s’agissait d’un territoire stratégique pour ce pays qui cherchait à s’implanter dans le Pacifique. Les planteurs de canne à sucre payaient des frais de douanes élevés sur leurs importations aux États-Unis. Le roi Kalākaua, récemment intronisé, consentit à céder certaines terres hawaïennes, notamment Pearl Harbor à Oahu et un îlot connu aujourd’hui sous le nom de l’île de Ford. En échange, il obtint la signature du traité de réciprocité entre les États-Unis d’Amérique et le Royaume d’Hawaï en 1875. Il s’agissait d’un accord de libre-échange qui supprimait les taxes sur le sucre et autres importations hawaïennes.

L’investissement des États-Unis dans le sucre explosa. Seulement, il en fut de même pour les interventions du pays dans les affaires hawaïennes. En 1887, un groupe de planteurs de canne à sucre influents, dirigé par les avocats Lorrin Thurston et Sanford B. Dole, tira profit d’un scandale financier impliquant le roi Kalākaua. Ils exigèrent ainsi, à bout portant, qu’il signa une nouvelle constitution, dépossédant la monarchie hawaïenne de la plupart de ses pouvoirs.

Connu sous le nom de Bayonet Constitution, le document autorisait les résidents étrangers à voter. De plus, il limitait le droit de vote des travailleurs asiatiques et de ceux dont le salaire était bas ou qui ne possédaient pas de terres. Aussitôt, trois Hawaïens natifs sur quatre avaient perdu leur droit de vote. Bien qu’ils fussent encore une minorité, les planteurs blancs, qui se réunissaient sous le nom de Hawaiian League, avaient en réalité le contrôle des îles.

Dans les années 1890, les crises économiques et politiques ébranlaient l’archipel. Les États-Unis adoptèrent une mesure qui supprimait les frais de douane sur le sucre en provenance des concurrents de l’industrie sucrière d’Hawaï. De fait, le prix du sucre chuta de façon spectaculaire. Dans l’espoir de stabiliser l’économie et de regagner leur avantage compétitif, les planteurs commencèrent à réclamer l’annexion d’Hawaï aux États-Unis.

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    Sur cette illustration d’époque, Lili’uokalani accompagne sa prédécesseure Kapi’olani, reine consort de Kalākaua, à la Maison-Blanche le 4 mai 1887. Lili’uokalani demandera plus tard au gouvernement américain d’intercéder et de lui rendre le pouvoir, en vain.

    PHOTOGRAPHIE DE J. H. Moser, Corbis/Getty Images

     

    UN COUP D’ÉTAT SANS EFFUSION DE SANG

    En 1891, Kalākaua mourut et sa sœur, Liliʻuokalani monta sur le trône. En 1893, elle tenta de remplacer la Bayonet Constitution. Elle souhaitait mettre en place une autre constitition, qui retirait le droit de vote aux résidents étrangers et qui renforçait le pouvoir du monarque.

    En réponse, Thurston ainsi qu’un groupe d’hommes armés composé d’étrangers et de sujets hawaïens, se rassemblèrent tous devant le palais de la reine pour demander son abdication. Le diplomate américain John Stevens envoya des hommes de la Marine à Oahu afin de défendre les intérêts des États-Unis. Liliʻuokalani ordonna à sa garde royale de se rendre et les meneurs du coup d’État déclarèrent l’abolition de la monarchie. Ils établirent une loi martiale et hissèrent le drapeau américain au-dessus du palais.

    C'était là d’un coup d’État sans effusion de sang. Au départ, on pouvait croire que ce gouvernement provisoire, dirigé par Dole, assurerait une annexion rapide de Hawaï. Le président Benjamin Harrison signa même un traité d’annexion en février 1893.

    Toutefois, lorsque Grover Cleveland fut élu président, moins d’un mois plus tard, il annula le traité et envoya James H. Blount, un commissaire spécial, à Hawaï pour enquêter sur le coup d’État. « Le sentiment incontestable du peuple va en faveur de la reine, contre le gouvernement provisoire et contre l’annexion », écrivit Blount dans son rapport.

    Estimant que le coup d’État représentait un « sérieux embarras », Cleveland demanda à Stevens de revenir aux États-Unis et ordonna à son nouveau ministre de redonner le pouvoir à la reine. Convaincue qu’elle serait soutenue par les États-Unis, Liliʻuokalani insista pour que les participants au coup d’État fussent punis en vertu des lois du royaume. Dole soutenait que son gouvernement provisoire était légitime et que seule la force pourrait le renverser. Il refusa d’abdiquer. Les États-Unis ne prirent aucune autre mesure contre les insurgés. Bien que l’accès au trône fusse maintenu pour la reine, elle ne s’opposa pas davantage à Sanford Dole.

    En décembre 1893, le Congrès des États-Unis décida de mener sa propre enquête à propos du coup d’État. Le Morgan Report, leur réponse au rapport de Blount, était incontestablement en faveur de l’annexion. Selon les écrits de l’historien Ralph S. Kuykendall, il « parvenait à ôter la responsabilité de tout le monde, sauf de la reine ». Le Congrès ne donna pas suite au rapport et le gouvernement provisoire de Dole s’empressa de consolider son pouvoir. En juillet 1894, la république d’Hawaï vit le jour avec Dole à sa tête.

    Six mois plus tard en janvier 1895, un groupe de rebelles royalistes dirigés par Robert W. Wilcox, un Hawaïen, tenta de rétablir la monarchie, sans succès. Ils avaient espéré rassembler au moins mille Hawaïens natifs ainsi que d’autres résidents mais ne réussirent à recruter qu’une centaine d’entre eux. Cette contre-révolution était désorganisée et vouée à l’échec. Les hommes organisèrent trois brèves batailles avant de se rendre à la police. Cent-quatre-vingt-onze conspirateurs présumés furent arrêtés après que la contre-révolution eut touché à sa fin. Liliʻuokalani fut elle aussi arrêtée et jugée pour avoir conspiré avec le groupe après la découverte d’armes à son domicile. Elle abdiqua officiellement en échange de la liberté de ses six partisans qui avaient été condamnés à mort. Bien qu’elle eût écopé de cinq ans de travaux forcés couplés à une amende, elle fut assignée à résidence surveillée. En 1896, Dole la gracia.

     

    L’ANNEXION AUX ÉTATS-UNIS

    L’administration de Cleveland ne souhaitait pas recourir à la force pour reprendre Hawaï aux mains des Américains qui s’en étaient emparés. Lorsque la guerre hispano-américaine éclata en 1898, le nouveau président William McKinley souhaitait se conférer un avantage stratégique en permettant à la Marine américaine de se ravitailler dans les eaux lointaines. Il tint alors sa promesse électorale d'annexer les îles. Il demanda une résolution commune au Congrès et en août 1898, Hawaï devint un territoire des États-Unis. Pendant soixante-et-un ans, l’archipel demeura sous le statut de territoire. Ce n’est qu’en 1959 qu’il devint le 50e État des États-Unis.

    Qu’en était-il de la reine Liliʻuokalani ? Pendant des années après son abdication, elle tenta de récupérer les terres de sa famille et de recevoir la restitution du pouvoir par le gouvernement américain. En 1911, près de vingt ans après le renversement de la monarchie, le territoire de Hawaï lui accorda une compensation à vie.

    En 1993, le Congrès des États-Unis adopta une résolution commune reconnaissant que les Hawaïens natifs « n'avaient jamais renoncé directement » à leur souveraineté. Ces excuses ne changèrent pas pour autant la politique du pays. Les Hawaïens sont le seul peuple indigène aux États-Unis dépourvus de souveraineté politique.

    Aujourd’hui, les descendants d'Hawaïens natifs ne comptent que pour 10 % des habitants. Les Hawaïens natifs doivent faire face à de nombreuses disparités sanitaires et sociales, notamment un niveau d’éducation plus faible, des taux de chômage et de pauvreté plus élevés ainsi que des taux de tuberculose, de tabagisme et d’obésité plus élevés en comparaison avec les Hawaïens blancs. 

    Pour autant, la fierté de leur culture est inébranlable. Dans les années 1970, les Hawaïens natifs lancèrent un mouvement pour conserver leur langage et leurs pratiques traditionnelles. Cette démarche nourrit le mouvement de souveraineté qui demande encore aujourd’hui la reconnaissance du gouvernement. « Nous sommes une nation indépendante et souveraine », a exprimé le professeur Kealii Holden de l’île Kaua’i lors d’une audience publique sur la question tenue en 2014. « Il existe un groupe de personnes de plus en plus grand qui prennent conscience de la vérité. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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