Découverte d’une statue de Bouddha dans un temple d’Isis

En février, 2022, des chercheurs ont découvert une impressionnante statue de Bouddha au cœur de l’antique port égyptien de Bérénice, central à l’époque romaine. Cette découverte remet en question les frontières connues des civilisations antiques.

De Marie Zekri
Publication 8 juin 2023, 10:31 CEST
Tête d'une statue de Bouddha datant de la fin du Ier siècle, découverte dans un temple ...

Tête d'une statue de Bouddha datant de la fin du Ier siècle, découverte dans un temple d'Isis, au coeur de la ville portuaire romaine de Bérénice, sur les côtes égyptiennes de la mer Rouge

PHOTOGRAPHIE DE Steven E. Sidebotham

« Tous les chemins mènent à Rome ». Le fameux adage fait référence à la centralité de la puissance romaine aux premiers siècles de notre ère. Mais Rome n’est jamais que la destination. Les chemins qui parcourent l’Empire, entremêlent une multitude de biens, de savoirs, et de cultures. Le port antique de Bérénice, situé sur la côte égyptienne de la mer Rouge, est l’un de ces points de convergence des cultures du monde antique, qui ont contribué à façonner l’un des empires les plus puissants de l’Histoire. 

 

UNE STATUE DE BOUDDHA PRÈS D’UN TEMPLE D’ISIS

Parue le 27 avril 2023, une publication révèle la mise au jour fin 2022 de deux fragments d’une tête de Bouddha dans un temple d’Isis du port antique de Bérénice, par les équipes de Mariana Castro, archéologue à l’Université de New York, sous la direction de Steven E. Sidebotham, Rodney Ast et Olaf Kaper. Cette découverte, datée de la fin du 1er siècle de notre ère (entre l’an 90 et 140), rappelle à quel point les routes commerciales et culturelles reliaient l’Empire romain au reste de l’Europe, ainsi qu’à l’Afrique et à l’Asie, via la mer Méditerranée, la mer Rouge et l’Océan Indien. 

Illustration des vestiges du port antique de Bérénice, extraite de la page 829 du volume 2 de Travels in Arabia, 1838. 

PHOTOGRAPHIE DE WELLSTED, James Raymond the British Library

« Je travaillais main dans la main avec Hassan Mohammed, un ouvrier égyptien, quand nous l’avons découvert », confie Mariana Castro. « Le soleil venait juste de se lever, et la lumière qui se réfléchissait sur la surface brillante du marbre blanc était tout à fait saisissante quand nous avons vu le visage de Bouddha. La première chose qui est sortie du sol ce jour-là était la tête du Bouddha. Nous étions très touchés. Toutes ces années de recherches, matérialisées en une seule découverte, cela n'arrive qu'une fois dans une vie. »

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    Reconstitution des différentes parties retrouvées depuis 2018 de la statue de Bouddha du temple d’Isis dans le port antique de Bérénice en Egypte 

    PHOTOGRAPHIE DE S.E. Sidebotham et reconstitution par S. Popławski

    Cette statue de 71 centimètres de haut, faite d’un marbre importé de Turquie, probablement du sud de Constantinople, a été progressivement mise au jour en quatre fragments distincts, dans la cours d’un temple d’Isis, en 2018 et 2022, période à laquelle les recherches se sont alors focalisées sur ce site précis. Cette découverte s’inscrit dans la lignée de recherches américano-polonaises menées depuis 1994, avec la permission du Conseil suprême égyptien des antiquités, et l’intermédiaire du Centre polonais d’archéologie méditerranéenne au Caire, représenté par Mariusz Gwiadza (PCMA). 

    Steven E. Sidebotham, professeur spécialisé en ancienne économie et échanges culturels entre l’Europe, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Inde à l’Université de Delaware, également co-directeur du projet initial de fouilles à Bérénice, aux côtés de Rodney Ast, chercheur senior à l’Institut de papyrologie de l’Université de Heidelberg, et d’Olaf Kaper, professeur en égyptologie à l’Université de Leiden, explique que cette découverte n’est pas la seule du genre sur le site. On comptabilise trois effigies de Bouddha, une statuette en terre cuite d'origine indienne représentant un guerrier, une inscription en sanskrit (langage indo-européen), ainsi que des inscriptions en grec. 

     

    À LA CROISÉE DES ROUTES ENTRE L’INDE ET L’ÉGYPTE

    En l’an 275 avant J.-C., le basileus Ptolémée II lance la construction du port antique de Bérénice, en hommage à sa mère, sur la côte égyptienne de la mer Rouge. Il mène alors un règne prospère sur le royaume de Lagide hérité de son père Ptolémée Ier, ancien général macédonien d’Alexandre Le Grand. Ce royaume hellénistique est gouverné par une lignée de rois-pharaons pendant une période de la Grèce antique qui s’étend de la fin de l’époque classique, marquée par la mort d’Alexandre le Grand en 323 avant notre ère, à l’avènement du règne de l’empereur romain Octave Auguste, qui assoit sa domination sur l’Égypte après la défaite de la reine Cléopâtre VII et de Marc Antoine à la bataille d’Actium, en 31 avant notre ère. Érigé sur une terre à la culture hybride, ce port avait pour fonction d’importer des éléphants d’Inde, puis de plusieurs régions d’Afrique, afin de mener des batailles au Proche-Orient.

    Avec l’essor de l’Empire romain, l’Égypte, ramenée au statut de riche province, représente alors un atout commercial stratégique. Le port de Bérénice, point de convergence entre l’Égypte et le Soudan, reste le principal carrefour du commerce sur les côtes de la mer Rouge jusqu’au 6e siècle de notre ère, en reliant l’Empire romain à l’Inde. À partir du 1er siècle, les navires indiens y déchargeaient des denrées rares : épices, myrrhe, encens, perles, textiles, pierres semi-précieuses, ivoire, avant d'emprunter les routes d’Alexandrie et du reste de l’Empire romain. Les marchandises traversaient alors le désert du Nil à dos de chameaux, ou étaient transférées sur d’autres navires. 

    Carte des routes commerciales de Bérénice à l’époque romaine (fin du 1er siècle après J.C.) 

    PHOTOGRAPHIE DE Carte de Martin Hense

    Tout indique, selon les scientifiques, que la statue retrouvée dans la cour du temple d’Isis, réhabilité au 1er siècle par les Romains, a été commandée par un ou des riches marchands indiens, suffisamment influents pour importer du marbre blanc de Turquie, et de « le faire sculpter sur place, à Bérénice », explique Rodney Ast. « Il existe d’autres preuves de multiculturalisme à d’autres endroits du site. Il ne s’agit pas non plus du seul Bouddha mis au jour, bien que celui-ci soit le plus spectaculaire. [...] De plus, le temple d’Isis, était un point central du site. »

    Sur la base des différentes expressions religieuses qui y ont été retrouvées, les scientifiques confèrent au site ceci de particulier qu’il était un sanctuaire religieux où avaient lieu des rituels multi-ethniques. « Il y avait une route qui s’y rendait, en partant du port en contrebas. Et, quand les marchands descendaient des navires, ils se dirigeaient probablement vers ce temple. […] Cette découverte indique que des personnes [impliquées dans des affaires commerciales au niveau du port], pratiquaient le bouddhisme. Mais on n'a retrouvé aucune trace d’une quelconque institution bouddhiste », ajoute Steven Sidebotham. Ce manque de données ne permet pas de déterminer si oui ou non, il y avait une véritable implantation religieuse dans la ville, voire la région. 

    « Les commerçants venaient d’Inde, et c’est dans ce temple romain qu’ils pratiquaient leur religion. C’est pourquoi cet endroit est si intéressant ». Le temple d’Isis était particulièrement symbolique dans la ville. Les nombreuses inscriptions grecques font en effet mention du nom de la déesse. « Elle est la déesse protectrice des marins », c'est une figure de bonne fortune pour les marchands d’où qu’ils viennent, précise en effet Steven Sidebotham. De plus, « il y avait un grand nombre de temples et lieux de cultes différents », du temple gréco-romain au temple égyptien ou encore bouddhiste. « Il y avait même une église » explique-t-il. Or la « proximité de ces lieux, à environ 200 m de distance, qui opéraient au même endroit au même moment », indique qu'il y avait une certaine « tolérance » dans les pratiques culturelles de chacun. 

    Les recherches indiquent que malgré cette harmonie culturelle et l'importante activité économique qui fit vivre la ville pendant plusieurs siècles, elle aurait été désertée après le 6e siècle. Selon Steven Sidebotham, trois hypothèses peuvent l'expliquer : la peste, qui aurait pu apparaître à cause de la présence de rats à bord des navires marchands, la modification topographique du port au fil des siècles, le rendant inaccessible, ou encore une compétition économique avec d’autres ports, notamment éthiopiens. 

    L'histoire de ces marchands venus des confins du monde antique a façonné ces carrefours commerciaux, qui ont indirectement fourni richesses et pouvoir à l’Empire romain. Selon Steven Sidebotham, le monde interrelié que nous connaissons aujourd’hui n’est pas inédit. Les nombreuses civilisations qui ont occupé les différentes régions du monde commerçaient entre elles. Elles ont interagi les unes avec les autres au cours de l'Histoire, et parfois de façon plus étroite et étendue qu’on ne l’imagine.

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