Faust, l'alchimiste qui vendit son âme au diable

C’est la vie d’un humaniste allemand du 16e siècle, mort dans l’explosion d’une expérience occulte, qui a inspiré l’un des personnages les plus célèbres de la littérature européenne.

De Isabel Hernández
Publication 24 sept. 2021, 10:00 CEST

Anton Kaulbach, Faust et Mephisto.

PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia Commons

Personnage central d’innombrables récits, pièces de théâtre, opéras et films, Faust est sans conteste l’une des figures les plus célèbres de la culture européenne. Si son histoire a adopté diverses variantes, Faust apparaît le plus souvent comme un érudit humaniste versé dans toutes les sciences, mais frustré car les livres n’arrivent pas à rassasier sa soif de connaissances. Pour accéder par ses propres moyens à tous les savoirs et plaisirs du monde, il a recours à la magie et aux forces surnaturelles. Ainsi, une nuit, il trace un cercle magique et invoque Méphistophélès, un ange déchu au service de Lucifer.

Méphistophélès propose un pacte à Faust : il pourra profiter pleinement de la vie pendant un certain nombre d’années – les versions les plus courantes parlent de 24 ans – au terme desquelles il devra donner son âme à Lucifer et passer l’éternité en enfer. Faust accepte et signe le pacte de son propre sang, convaincu que Méphistophélès sera incapable de satisfaire tous ses désirs. Dès lors, conseillé par le Malin, le mage jouit de tous les plaisirs de la vie, connaît l’amour et la beauté, et voyage dans l’espace et le temps. Mais, en fin de compte, il prend conscience de la vanité de ses actes et interroge le démon sur la mort et l’enfer qui l’attendent inévitablement. Seule la version de Goethe raconte l’intervention de Dieu pour le sauver in extremis.

 

UN ÉTUDIANT COMME LES AUTRES

Ce personnage légendaire, qui revêt différents aspects selon les auteurs, est probablement inspiré d’un personnage réel. Les premiers documents le mentionnant situent sa naissance entre 1460 et 1470 à Helmstadt, une ville située près d’Heidelberg, bien que des versions postérieures parlent de Kundling, l’actuelle Knittlingen, dans le Wurtemberg. De par son origine modeste (il était probablement fils de paysans), Faust est sans doute l’un de ces autodidactes qui voyageaient dans les différents territoires allemands pour apprendre un métier. Il s’intéressait vraisemblablement à la magie, afin de comprendre les mystères du monde physique et métaphysique, comme beaucoup d’érudits de l’Europe de la Renaissance qui, en plus d’étudier la théologie, les mathématiques ou la médecine, se consacraient également à l’astrologie, à l’alchimie et aux pratiques magiques.

Certaines universités, comme celles de Salamanque, Tolède ou Cracovie, possédaient des écoles de sciences occultes réputées. Le Faust historique aurait suivi, pour sa part, des études de magie à Cracovie, même si d’autres documents rapportent qu’un certain Johannes Faust s’inscrivit à l’université d’Heidelberg en 1509, où il obtint, selon le registre, le titre de bachelier. Son nom, Faustus, est en réalité un surnom bénéfique, signifiant « le bienheureux ». Il l’a probablement adopté pour se faire passer pour un humaniste éduqué.

 

LE DIABLE ENTRE EN SCÈNE

Faust ne réussit pas à finir ses études à Heidelberg et, s’il se donne le titre de « docteur », c’est uniquement pour se valoriser en société. Il est attesté que plusieurs personnes importantes ont recherché ses faveurs. Ainsi, Franz von Sickingen (1481-1523), ami d’Ulrich von Hutten, l’un des adeptes de Luther, lui confie pendant un temps l’éducation de ses enfants, même s’il finit par l’expulser de ses terres pour son manque de morale. Nous savons également que l’évêque Georg III de Bamberg l’a consulté pour un horoscope dont le reçu a été conservé. Mais Faust finit par être accusé de nécromancie et, fuyant d’une ville à l’autre, se met à vagabonder en Allemagne. Il serait mort à Staufen entre 1536 et 1539, dans l’explosion d’une expérience alchimique ayant mal tourné. L’Église vit dans cette mort, qui mutila atrocement son corps, l’œuvre du diable qui aurait pris la vie du célèbre nécromancien. 

Très vite, une légende se forge autour du personnage. Un premier livre, De maître Faust, est publié à Metz de son vivant en 1530. Mais c’est après sa mort que prend corps la légende du docteur ayant fait un pacte avec le diable. La Chronique des Zimmer (1564-1566) raconte que le diable étrangla Faust dans la ville de Staufen. Même Luther – qui, comme tous ses contemporains, est persuadé que la sorcellerie et la magie poussent les hommes à pactiser avec le Malin – se réfère à lui dans ses Propos de table comme à un allié du diable.

Entre 1570 et 1575, Christoph Rosshirt publie une série de récits connus sous le nom de Faust, le mage, dans lesquels Faust est représenté comme un charlatan se servant du diable pour ses tromperies. Peu après, entre 1572 et 1585, un greffier de la région de Nuremberg rédige une Histoire et faits du docteur Johann Faust, qui est actuellement considérée comme le tout premier livre populaire dédié à l’alchimiste. Cet ouvrage décrit avec justesse la vie et la mort de Faust, ainsi que la manière dont il s’est fourvoyé avec le diable pour une durée déterminée, ce qu’il est advenu de lui et comment il en a justement été puni. Dans la région de Thuringe, entre 1580 et 1585, circulent des récits dans lesquels Faust apparaît comme un nécromancien expert en arts divinatoires, qui fit notamment un voyage nocturne sur le dos d’un cheval ailé. Toutes ces œuvres ont inspiré un autre ouvrage populaire anonyme, Histoire du docteur Johann Faust, paru en 1587, et qui sera déterminant dans la diffusion du mythe. 

 

GOETHE REVISITE LA LÉGENDE

La transmission populaire de ses aventures étoffe l’histoire de Faust d’anecdotes diverses. On raconte, par exemple, qu’il aida l’empereur d’Allemagne à régler des problèmes financiers et à gagner une bataille cruciale pour unifier l’Empire. Lors de ses voyages, il rencontre la belle Hélène de Troie et assiste à des fêtes avec des êtres fantastiques, griffons, sirènes ou nymphes. Les lecteurs s’identifient à ce personnage doté de pouvoirs surnaturels. Faust est présenté sous un jour favorable, comme un humaniste avide de savoir et qui n’a pas peur de l’interdit. Or, si la tradition orale fait de Faust un héros admiré de tous, la littérature le présente au contraire comme un nécromancien allié du diable, à qui sont même attribués des faits liés à d’autres personnages historiques. 

La réputation de Faust franchit les frontières allemandes. Entre 1589 et 1593, le dramaturge anglais Christopher Marlowe adapte son histoire pour le théâtre dans La Tragique Histoire du docteur Faust. La popularité du mage est telle que, très vite, les comédiens ambulants s’emparent de son histoire et la jouent dans toute l’Europe. Traduit dans plusieurs langues, le conte connaît de nombreuses adaptations. La plus célèbre est sans conteste celle de Goethe, dont le premier volume paraît en 1808. Son succès est en grande partie dû à l’introduction du personnage de Marguerite (ou Gretchen), la jeune fille que Méphistophélès jette dans les bras de Faust. De cette rencontre naît une histoire d’amour tragique, qui s’achèvera par la mort de Marguerite, de sa mère, de son frère et de son propre fils. C’est cette version du célèbre écrivain allemand qui assurera la plus grande postérité au malheureux alchimiste. 

Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine.

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