L'hygiène au Moyen Âge : nos ancêtres étaient-ils vraiment sales ?
Les clichés sur le Moyen Âge ont la vie dure. Nos ancêtres vivaient-ils vraiment couverts de crasse, vêtus de haillons ? Leur bouche cachait-elle des dents pourries ? En réalité, il n'en était rien et l'hygiène était omniprésente.

Un couple dans son bain, au Moyen Âge - Fresques de Memmo di Filippuccio dans la Chambre du Podestat (appartements du Podestat) du Palazzo Comunale dans le centre historique de San Gimignano, classé au patrimoine mondial de l'humanité.
« Jour ! Nuit ! Jour ! Nuit ! Jour ! Nuit », lorsque Jacquouille la Fripouille découvre l’électricité et s’amuse à allumer et éteindre la lumière du salon de Béatrice de Montmirail, la scène devient l’une des plus cultes du cinéma français. Et pour beaucoup d’entre nous qui avons vu le film, l’image de l’homme médiéval reste d’ailleurs difficile à dissocier de ce personnage caricatural des Visiteurs avec ses dents noires, ses habits sales et ses manières grossières.
Pourtant, loin des idées reçues, les hommes et les femmes du Moyen Âge accordaient une réelle importance à leur hygiène corporelle (y compris dentaire !). Ils savaient déjà qu’une bonne santé passait par une bonne hygiène. De nombreux traités de médecine et livres de bonnes manières de l’époque rappellent d’ailleurs l’importance de la propreté. Le bain tenait une place essentielle dans la société, l’eau étant alors considérée comme purificatrice. Si l’on ne se lavait pas encore le corps en entier, on se nettoyait toutefois le visage, les mains et les pieds chaque jour.
À l'ère médiévale, on veillait également à la propreté de son intérieur. Mais une fois le seuil des foyers franchi, la réalité était tout autre. Faute de gestion des déchets et d’un système d’égouts, les rues et les places publiques regorgeaient de matières fécales et d’immondices, sources de nombreuses maladies.
DES CLICHÉS ANCRÉS DANS L'IMAGINAIRE COLLECTIF
L’hygiène au Moyen Âge fut « récusée littéralement, sans aucune preuve, par [certains] historiens du 19e siècle », explique Danièle Alexandre-Bidon, historienne médiéviste et chercheuse émérite à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Parmi eux, elle cite Jules Michelet qui écrit dans La Sorcière : « La guerre que le Moyen Âge déclara et à la chair, et à la propreté, devait porter son fruit. Plus d’un saint est vanté pour ne s’être jamais lavé même les mains. Et combien moins le reste ! ».
Derrière l’idée reçue selon laquelle nos ancêtres médiévaux se souciaient peu de leur hygiène, « il y a une réalité du très lointain Moyen Âge, des premiers siècles, où la saleté existait effectivement, [mais] qui n'était déjà plus valable à l’époque carolingienne, à laquelle l’on trouvait des bains dans tous les monastères », souligne l'historienne. Cette réalité très ancienne, limitée à quelques saints ou ermites isolés, fut « projetée sur mille ans de Moyen Âge […] et sur toute la population », poursuit-elle.
Ces clichés furent ensuite renforcés par une certaine méconnaissance de la vie quotidienne médiévale. Il fallut attendre les années 1960 et 1970 pour que les historiens et les archéologues commencent à s’y intéresser, à travers la « culture matérielle » et l’examen des accessoires d’hygiène. Plus tard, dans les années 1980, apparurent les premières études sur la médecine, la propreté et le thermalisme à l’époque médiévale, révélant l'importance que tenait l'hygiène à l'époque.

Mur de briques d'un ancien château, avec toilettes donnant sur la façade.
L’HYGIÈNE ÉTAIT PARTOUT…
Au Moyen Âge, « la propreté était absolument partout et tout le temps, les bains étaient habituels », assure Danièle Alexandre-Bidon. « L’idée d’être sale ou de sentir mauvais répugnait absolument au monde médiéval, notamment les gens de qualité et la bourgeoisie des villes », précise-t-elle.
« Le chevalier devait se purifier, se baigner avant d’être adoubé, le prêtre devait se laver les mains avant de servir la messe, [tout comme] le chirurgien avant de pratiquer une opération chirurgicale. Les chirurgiens se lavaient les mains pour honorer Dieu, parce qu'ils travaillaient en son nom ». À cette époque, la religion faisait de la propreté une marque de pureté. « Les deux concepts étaient vraiment synonymes et équivalents. Aujourd’hui, on parle encore d'une eau pure, pour dire qu'elle est potable, propre », souligne l’historienne.
« Tout le monde n’avait pas les mêmes capacités à disposer de lieux d’hygiène chez soi », constate toutefois la spécialiste. « Dans les châteaux, il y avait des latrines, des bains, des thermes, des petites piscines, etc. ». Parmi les classes plus modestes, « on pouvait se faire un bain dans un cuveau à lessive », ou se rendre de temps en temps dans les bains publics de la ville. En effet, « dès le 13e siècle, tous les grands quartiers [urbains possédaient] leur bain public et il était signe de bonnes mœurs et de bonne sociabilité d’aller s’y baigner, ce que l’on faisait une fois par semaine », poursuit-elle.
« Le bain était le traitement favori des médecins dès qu’on avait la moindre maladie », souligne Danièle Alexandre-Bidon. Au-delà de ses vertus nettoyantes et désodorisantes, le bain contribuait au soin et au maintien de la santé, tant chez les personnes malades que chez les femmes enceintes. De même, « les bébés étaient lavés à chaque fois qu’on les allaitait, c’est-à-dire plusieurs fois par jour ».
Tout le monde ou presque possédait des objets consacrés à l’hygiène. Chez les aristocrates, ces accessoires étaient nombreux : « des peignes, des pinces à épiler [ou encore] de petites piquettes pour nettoyer les dents et les ongles ». Dans le monde rural, on se contentait le plus souvent de peignes et de linge de toilette. Hommes et femmes considéraient « la beauté et la santé de la chevelure [comme] absolument essentielles, […] surtout pour séduire ». Les cheveux étaient ainsi lavés une fois par semaine. « Pour se savonner, les paysans n’achetaient pas de pains de savon, contrairement aux nobles, mais cueillaient des plantes saponaires au bord des rivières », ajoute la chercheuse.
… SAUF EN VILLE !
Au Moyen Âge, « on n’arrivait absolument pas à maintenir les villes propres », reconnaît l’historienne. « On n’y arrivait pas parce que justement [chacun] voulait garder sa maison propre et pour [la] garder propre, on jetait tout ce qui était sale dehors, dans la rue », y compris les matières fécales. Les latrines, ou toilettes d’antan, étaient d’ailleurs souvent construites en encorbellement et donnaient directement sur la voie publique.
Au-delà des odeurs pestilentielles, l’insalubrité des villes favorisait la propagation de nombreuses maladies, dont la peste. Selon la pensée médicale médiévale, « on tombait malade à cause des miasmes, [ces émanations] transportées par l’air et notamment les mauvaises odeurs, qui pénètraient dans la peau », explique Danièle Alexandre-Bidon. Peu à peu, cette conception fit naître l’idée que l'amélioration de la propreté urbaine pourrait contribuer à réduire les maladies et la mortalité. Les premières mesures concrètes d’assainissement, comme la création de collecteurs d’ordures professionnels, n'apparurent toutefois qu’à la fin du 15e et au début du 16e siècle.
LA RENAISSANCE MARQUA « UN EFFET D’INVERSION »
À la Renaissance, la compréhension des maladies et la place du bain évoluèrent profondément. Alors qu’au Moyen Âge on croyait que l’eau aidait le corps à évacuer les maladies par les pores, « on finit par penser le contraire : si on se baignait, les pores de la peau s’ouvraient bel et bien mais pour laisser entrer tous les miasmes », souligne la chercheuse.
En moins d'un quart de siècle, les bains publics des villes, considérés comme des foyers de contagion, fermèrent les uns après les autres. « C’est par peur de la maladie, dans le souci d'être en bonne santé, qu'on interdit les bains », insiste Danièle Alexandre-Bidon. Dans les milieux modestes, plus personne ne se baignait puisque la plupart des habitants ne disposaient pas de baignoire et que les logements étaient souvent exigus. Paradoxalement, chez les aristocrates, la fascination pour l’Antiquité et les thermes romains ne cessait de croître.
« De plus en plus, on renonça à la toilette mouillée, celle qui consistait à prendre un bain, pour aboutir à ce qu’on appela, au 17e siècle, la toilette sèche », poursuit la spécialiste. « On se lavait en se frottant avec des tissus, à sec », précise-t-elle. À cette époque, le souci d’hygiène restait toutefois intact. « On continuait à avoir envie d’être propre et de sentir bon, mais on était contraint par de nouveaux concepts qui proposaient plutôt de se frotter et de mettre des eaux parfumées que de prendre un bain », conclut l'historienne.