Le Cap de Bonne-Espérance, la dangereuse alternative au canal de Suez

Le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud, a eu raison de plusieurs milliers de navires et reste à ce jour un passage redouté des navigateurs.

De Daniel Stone
Publication 31 mars 2021, 15:27 CEST
Indiaman In A Storm

Un trois-mâts essuie une tempête en contournant le cap de Bonne-Espérance au large de l'Afrique du Sud, l'un des passages les plus périlleux au monde.

PHOTOGRAPHIE DE Chronicle, Alamy Stock Photo

Avant que le canal de Suez ne soit finalement débloqué ce lundi, un certain nombre de navires en attente s'étaient déjà tournés vers le plan B. Au lieu de risquer un retard supplémentaire très coûteux, certains cargos ont opté pour le long trajet en contournant l'Afrique du Sud.

Cette alternative ajoute au bas mot 10 jours de voyage et des milliers de kilomètres selon la destination. En outre, l'itinéraire est nettement plus dangereux : les vents violents, les affleurements rocheux et la densité du trafic maritime ont contribué à faire du cap de Bonne-Espérance l'une des voies maritimes les plus tourmentées au monde.

« Pendant des siècles, le cap a été le théâtre de nombreux naufrages, » indique Bruno Werz, archéologue maritime et directeur de l'African Institute for Marine and Underwater Research de Cape Town. « Cet itinéraire est indéniablement plus dangereux, c'est donc un risque à calculer. »

Werz et d'autres chercheurs ont étudié en profondeur les accidents maritimes survenus au large de l'Afrique australe et estiment que les eaux sud-africaines dissimuleraient au moins 2 000 épaves, soit en moyenne une épave par kilomètre de littoral. Pour la plupart, ce sont les vestiges des grandes explorations européennes ou des expéditions au destin tragique à destination de l'Inde et de l'Asie.

L'un des plus anciens incidents portés à notre connaissance, le naufrage de Soares, fut le premier des centaines de navires portugais du 16e siècle à se heurter aux rochers de l'Afrique du Sud alors qu'il reliait l'Atlantique aux colonies plus à l'est. Un autre naufrage toujours à l'étude, celui du Nieuwe Haarlem, est survenu en Afrique du Sud dans la baie de la Table en 1647 ; l'avant-poste établi par les survivants a été le précurseur de l'actuelle ville du Cap.

 

LE CAP DES TEMPÊTES

Son surnom, la région l'a bien entendu hérité des conditions extrêmes qui la caractérisent. En 1488, l'explorateur portugais Bartolomeu Dias se lance dans un voyage qui doit l'emmener jusqu'en Inde après avoir contourné la pointe sud de l'Afrique. D'après une histoire dans laquelle le mythe et la réalité sont devenus inséparables, lorsque Dias regagne le Portugal pour rendre compte au roi Jean II, il l'informe que les conditions autour du cap sont si capricieuses qu'il lui a donné le nom de Cabo das Tormentas, ou cap des Tempêtes.

Le Hollandais volant, le plus célèbre des vaisseaux fantômes, se serait échoué au large du cap de Bonne-Espérance. La légende a fait l'objet de nombreuses illustrations publiées par des magazines tels que Harpers's Monthly.

Le Hollandais volant, le plus célèbre des vaisseaux fantômes, se serait échoué au large du cap de Bonne-Espérance. La légende a fait l'objet de nombreuses illustrations publiées par des magazines tels que Harpers's Monthly.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration de Howard Pyle, DELAWARE ART MUSEUM

Le roi Jean, qui n'était pas à bord du navire de Dias ballotté par les vents, était si réjoui par la découverte du navigateur qu'il lui préféra l'appellation cap de Bonne-Espérance car il ouvrait une voie prometteuse vers de nouveaux marchés en Inde.

Ils seraient probablement des milliers de capitaines à se ranger du côté de Dias. À l'époque moderne, les statistiques montrent que les navires ont coulé plus fréquemment autour du cap que dans de nombreuses autres zones en haute mer. En 1911, un an avant le naufrage du Titanic dans l'Atlantique, le paquebot SS Lusitania, à ne pas confondre avec le RMS Lusitania torpillé au large de l'Irlande, a percuté la terre après avoir confondu le phare du Cap avec le point le plus au sud du continent, ce qui l'a poussé à tourner trop tôt. Dans les années qui ont précédé l'incident, des dizaines d'autres navires ont également mal interprété la côte, c'est pourquoi le phare a été déplacé plus au sud.

En 1942, le SS Thomas Tucker, un navire américain de transport de troupes, a fait naufrage au large de Cape Point lors de son voyage inaugural avant d'être rejeté par la mer dans une zone baptisée le sentier des épaves. En 1965, lors du naufrage d'un cargo hollandais transportant du whisky, le capitaine a pris une décision restée dans les annales : se rapprocher du rivage afin de sauver la cargaison. Plus récemment, en 1994, une immense barge française transportant une grue s'est échouée sur les rochers après avoir brisé l'amarre qui la reliait à son remorqueur. Bien trop grande pour être récupérée, elle a été abandonnée sur place.

 

LES QUARANTIÈMES RUGISSANTS

La météo féroce autour de la péninsule du Cap provient d'un courant d'air austral qui souffle tout autour de la Terre à partir de la latitude 40°Sud. Sans aucune masse de terre pour les freiner à une latitude aussi basse, les vents donnent à la région son surnom vieux de plusieurs siècles, les « Quarantièmes rugissants. » Plus au sud, la situation se dégrade encore pour les navires avec les « Cinquantièmes hurlants » puis les « Soixantièmes déferlants ».

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    Des passants réunis sur les rives du cap de Bonne-Espérance observent l'épave d'un navire brûler dans les années 1950.

    PHOTOGRAPHIE DE Jorgehsen, Three Lions/Getty Images

    Au cours de l'Histoire, le vent a pu être une aubaine ou un fardeau pour les marins en fonction de la direction qu'ils prenaient. Des vents intenses pouvaient par exemple pousser les navires à pleine vitesse vers l'est à travers le Pacifique. En revanche, le voyage dans l'autre sens pouvait prendre des semaines voire des mois. Après un long périple en haute mer, la soudaine apparition d'une masse de terre comme le cap de Bonne-Espérance (ou le cap Horn en Amérique du Sud) peut entraîner un comportement erratique des vents et rapidement dérouter les navires.

     

    CARGOS MODERNES

    De nos jours, le nombre de naufrages autour du cap de Bonne-Espérance est bien inférieur à celui des siècles passés. Lors de l'achèvement des travaux en 1869, le canal de Suez a offert une route alternative plus sûre, plus courte et moins onéreuse pour les grands navires ou les bateaux transportant de précieuses cargaisons.

    De manière générale, il est moins risqué de s'aventurer sur les eaux agitées grâce à différents facteurs : la navigation par GPS, les prévisions météo, l'ancrage automatique et sur certains navires un système connu sous le nom de positionnement dynamique qui utilise des moteurs synchronisés pour éviter la dérive.

    Néanmoins, il se produit encore des naufrages, parfois à cause d'une erreur humaine ou d'une météo capricieuse. En 2003, un cargo nommé Sealand Express transportait 33 conteneurs, un volume modeste comparé aux géants des mers capables d'en embarquer plus de 10 000. Le cargo a heurté une bande de sable au large de la ville du Cap après avoir affronté des vents violents, un incident imputé au manque de réactivité de l'équipage. Le naufrage s'est produit au mois d'août vers la fin de l'hiver dans l'hémisphère sud, une période pendant laquelle se lèvent des vents particulièrement intenses. Dans la région, la saison des vents commence dès le mois de mars.

     

    Daniel Stone est rédacteur pour National Geographic. Son prochain livre, SINKABLE, sur le monde fascinant des épaves et la chasse à la plus célèbre d'entre toutes, paraîtra en 2022.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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