Le visage de cette femme morte il y a 4 000 ans vient d'être reconstitué

Cette femme qui vivait dans les forêts du nord de la Suède a été enterrée à l’Âge de Pierre. Des archéologues ont reconstitué son visage.

De Nina Strochlic
Publication 1 mars 2022, 12:33 CET

Cette femme a vécu il y a environ 4 000 ans dans l’actuel nord-est de la Suède. Oscar Nilsson, pionnier de la reconstruction faciale archéologique, lui a redonné un visage.

PHOTOGRAPHIE DE Oscar Nillson

Pendant 4 000 ans, cette femme a reposé en paix dans une tombe en pierre au milieu des forêts du nord-est de la Suède. De son vivant, elle se déplaçait vraisemblablement au gré des routes migratoires animales, entre les arbres, le long des rives de l’Indalsälven. Vers l’âge de trente ans, elle est morte d’une cause inconnue et a été enterrée avec un garçon âgé d’environ sept ans qui pourrait être son fils.

Avance rapide jusqu’en 2020. Cette année-là, Oscar Nilsson, archéologue dont le travail consiste à reconstruire méticuleusement des visages millénaires avec de l’argile, a été approché par les conservateurs du Västernorrlands, musée suédois en possession de deux squelettes excavés il y a un siècle dans le hameau de Lagmansören.

Une réplique du crâne de la femme a été créée grâce à une imprimante 3D. Les couches d’argiles représentent ses muscles faciaux. Les chevilles indiquent la profondeur des tissus et seront recouvertes d’une couche d’argile fine qui fera office d’épiderme.

PHOTOGRAPHIE DE Oscar Nilsson

Il s’agit des plus anciens squelettes jamais découverts dans cette région suédoise où les conditions rudes se prêtent mal au jeu de la préservation. Le musée était alors en train de planifier une exposition revenant sur 9 500 ans d’occupation humaine en Suède et voulait montrer aux visiteurs à quoi ressemblait le plus ancien visage nordique connu : la femme de Lagmansören. De quoi pouvait-elle bien avoir l’air ?

Depuis une vingtaine d’années, Oscar Nilsson est un pionnier de la reconstruction faciale archéologique et a « ramené à la vie » plus d’une centaine de nos ancêtres préhistoriques. Ces visages sont pour lui et les millions de personnes qui ont la chance de les observer autant de fenêtres sur le passé.

Son travail commence toujours par la superposition d’une bonne dizaine de muscles faciaux en argile sur une réplique en 3D du crâne récupéré. Il y insère ensuite de petites chevilles pour indiquer la profondeur du tissu (qui varie selon le sexe, l’âge, le poids et l’ethnicité de l’individu). On dépose ensuite sur ces chevilles une couche épidermique faite d’argile fine.

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    Les restes de la femme et ceux d’un jeune garçon ont été découverts il y a un siècle dans une tombe en pierre dans un hameau du nom de Lagmansören.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy

    Les archives contenues à l’intérieur des os permettent de prédire correctement un certain nombre de caractéristiques. Quand Oscar Nilsson a entrepris de reconstituer le visage de cette femme de l’Âge de Pierre, il est parti de ce qu’il savait déjà. Elle mesurait environ 1,50 mètre (ce qui à cette époque déjà était petit). Elle avait les dents en avant, ce qui donnait à sa bouche un aspect caractéristique. Son nez était légèrement asymétrique ; de profil il avait un aspect retroussé. Elle avait les yeux bas et la mandibule (la mâchoire inférieure) masculine. Elle était selon lui dotée d’un mélange intéressant de traits masculins et féminins.

    Depuis qu’il a commencé à habiller ces visages, l’impression 3D et la génétique ont fait des progrès. Cela lui a permis d’atteindre un niveau de détail inégalé. Grâce à l’ADN prélevé sur les os bien préservés on peut connaître la couleur des cheveux, de la peau et des yeux, trois traits autrefois purement spéculatifs. Désormais, ce sont les plus fiables.

    Mais l’ADN de la femme de Lagmansören était illisible. Oscar Nilsson a donc dû analyser des schémas migratoires historiques pour connaître ces traits. Cette dernière a vécu à l’époque où la Scandinavie a vu arriver ses premiers paysans et où ceux-ci se sont mélangés aux groupes de chasseurs-cueilleurs. Résultat, elle avait la peau claire et les cheveux bruns.

    Après ce protocole, qui a selon lui été rigoureusement testé, Oscar Nilsson sort du royaume des probabilités génétiques et entame la deuxième phase : l’étape imaginative. À l’inverse du sexe, de la couleur de peau et des dents, une expression faciale ne peut pas être conservée dans un crâne. « Je dois donner vie au visage pour que vous ayez vraiment l’impression qu’il y a quelqu’un qui vous regarde à l’intérieur de ces yeux », indique-t-il.

    Mais il se retient d’être trop créatif ; montrer un sentiment trop fort comme la colère est hors de question, affirme-t-il. En revanche, il ne se gêne pas pour tisser des émotions ensemble afin de donner l’impression que le visage est animé, et donc en vie. Une fois achevé, le visage est remoulé dans du silicone ayant la teinte de la peau et Oscar Nilsson commence à y ajouter les détails.

    Quand il a fallu s’atteler aux yeux de la femme, il a pensé au garçon enterré à ses côtés. Le squelette du garçon était trop endommagé pour être recomposé, mais il voulait l’inclure. Il a fait comme si le garçon était le fils de la femme de Lagmansören et que celle-ci le regardait s’éloigner en courant. Il s’agissait probablement de chasseurs-cueilleurs qui suivaient les animaux dans leurs migrations. Peut-être faisaient-ils route vers leur campement d’hiver…

    « Elle n’est pas en danger, elle se sent à son aise et elle regarde ce garçon, imagine Oscar Nilsson. C’est un sentiment de sécurité, elle est peut-être même un peu trop sûre d’elle-même. Même si elle est petite, vous n’auriez pas intérêt à lui chercher des noises. »

    Oscar Nilsson a étudié des schémas migratoires historiques pour parvenir à la conclusion que cette femme avait certainement une peau claire et des cheveux bruns. Elle est vêtue de peaux d’animaux tannées fabriquées par une chercheuse grâce à des techniques de l’Âge de Pierre.

    PHOTOGRAPHIE DE Oscar Nillson

    Quand ses reconstructions sont exposées dans un musée, il sait qu’il a bien fait son travail quand un visiteur se penche sur le visage pour l’examiner en détail et que celui-ci a un mouvement de recul soudain tant la ressemblance est étrange. Cela se produit souvent quand les deux paires d’yeux (la vivante et la reconstruite) se trouvent à 60 centimètres de distance. « Ça créé une collision dans le cerveau, commente-t-il. La partie logique du cerveau vous dit que c’est faux, mais le vécu émotionnel vous dit qu’il y a vraiment quelqu’un en face de vous. »

    Il aura fallu 350 heures de travail à Oscar Nilsson pour venir à bout de cette reconstruction. Quand il a terminé, il a vêtu la femme de peaux d’animaux tannées fabriquées par sa collègue Helena Gjaerum avec des techniques de l’Âge de Pierre. Il y a 4 000 ans de cela, elle se déplaçait entre les arbres avec une griffe d’oiseau autour du cou et un chignon serré pour éviter que ses cheveux ne lui retombent sur le visage.

    Oscar Nilsson connaît bien ces forêts. Jeune, il vivait à Stockholm et passait les vacances en famille dans un cottage situé à quelques kilomètres de l’endroit où l’on a découvert sa tombe. Il crapahutait entre les arbres, cueillait des champignons et se mettait à l’affût d’un élan ou d’un ours, peut-être sur les mêmes chemins qu’avait fréquentés la femme de Lagmansören.

    « L’ADN et l’impression 3D c’est sympa, lance Oscar Nilsson. Mais le plus important c’est ce lien émotionnel dont nous faisons l’expérience avec un certain nombre de personnes lorsque nous regardons un visage reconstruit. C’est cette connexion qui prime. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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