Le volcan Tambora, une éruption monstre qui bouleversa la planète entière

Difficile de trouver meilleur exemple de l’effet papillon. L’éruption de ce volcan indonésien en 1815 causa des famines de Chine jusqu’en France, et provoqua l’apparition de nouveaux variants du choléra, décimant des millions de personnes.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 1 juil. 2023, 10:02 CEST
Photographie de la caldera sommitale du mont Tambora, en Indonésie. Cette caldera est immense, avec 6 ...

Photographie de la caldera sommitale du mont Tambora, en Indonésie. Cette caldera est immense, avec 6 km de diamètre et 1000 m de profondeur. Sa formation date de l'éruption de 1815, qui est l'éruption volcanique la plus importante de l'histoire. Avant l'éruption, le Tambora formait un pic d'une altitude d'environ 4000 m. Aujourd'hui, les lèvres de la caldera sont à 2500 m d'altitude. Le fond de la caldera est occupé par un lac temporaire, des coulées de laves provenant d'éruptions mineures et des fumeroles.

PHOTOGRAPHIE DE NASA Expedition 20 crew., Public domain

C’est tout simplement la plus grande éruption volcanique des 10 000 dernières années. 

Le 10 avril 1815, la terre se met à gronder. Le mont Tambora, situé en Indonésie, entre en éruption. Il noircit le ciel et déverse un impressionnant flot de lave. Le panache de fumée fait 43 km de haut : assez pour envoyer la poussière volcanique (des dizaines de millions de tonnes de soufre, de chlore et de fluor) jusque dans la stratosphère. 

La violence de l’éruption va même jusqu’à décapiter le volcan ! Alors qu’il culminait auparavant à plus de 4000 m, selon les estimations des spécialistes, le mont Tambora atteint aujourd’hui tout juste 2580 m d’altitude. Bien sûr, le volcan cause des milliers de morts sur le lieu de l’éruption, enIndonésie actuelle. 

Ce n’est pas tout : il chamboule complètement le climat mondial. De Chine jusqu’en France, en passant par la côte est des Etats-Unis, une pluie torrentielle s’abat sur la terre et inonde les cultures : les pommes de terre pourrissent, le blé ne pousse plus et les habitants meurent de faim.

Retour, avec l’historien Gillen D’Arcy Wood, professeur à l’Université de l’Illinois, auteur d’un livre sur le sujet – Tambora, l’année sans été - paru aux éditions La Découverte, sur les conséquences en cascade de cette éruption monstre. Au coeur de l’effet papillon.

 

À l’époque de l’éruption, les territoires qui deviendront plus tard l’Indonésie sont administrés par le Royaume-Uni. Le lieutenant-gouverneur de l’île, entendant les explosions, pense alors à une attaque.. Comment décrire la violence de cette éruption ?

Pour donner un exemple, son index d’explosivité volcanique est de 7. En comparaison, celui du volcan islandais Eyjafjallajökull qui avait chamboulé notre quotidien européen en 2010, n’était que de 2… Sur place, l’éruption causaprobablement la mort de plus de 70 000 personnes sur les îles de Sumbawa et de Lombok. Les dégâts principaux viennent de la lave, qui détruit tout sur son passage. Ensuite, ceux qui ont survécu à la première nuit de l’éruption sont probablement morts empoisonnés. Le fluor dégagé dans les fumées a pénétré l’eau – à haute dose, il est toxique ! Mais ce n’est pas tout : cette éruption a bouleversé le climat à une échelle planétaire.

 

Pourquoi a-t-elle eu des conséquences mondiales ?

D’abord, parce que c’était une éruption plinienne, c’est à dire que le panache de fumée est crachée verticalement : les aérosols pénètrent loin dans l’atmosphère, et dans le cas de Tambora, jusque dans la stratosphère. Ensuite, parce que ce volcan est situé sur l’équateur. Ainsi, vous avez cette énorme masse de nanoparticules dans l’atmosphère et la stratosphère qui se met à dériver vers les pôles. Voilà comment une bonne partie de la planète se retrouve couverte par ce nuage de poussière volcanique qui bloque le soleil et fait chuter les températures.

Comprendre : les supervolcans

Pourquoi a-t-elle eu des conséquences mondiales ?

D’abord, parce que c’était une éruption plinienne, c’est à dire que le panache de fumée est crachée verticalement : les aérosols pénètrent loin dans l’atmosphère, et dans le cas de Tambora, jusque dans la stratosphère. Ensuite, parce que ce volcan est situé sur l’équateur. Ainsi, vous avez cette énorme masse de nanoparticules dans l’atmosphère et la stratosphère qui se met à dériver vers les pôles. Voilà comment une bonne partie de la planète se retrouve couverte par ce nuage de poussière volcanique qui bloque le soleil et fait chuter les températures.

 

En Europe, 1816 est surnommée « l’année sans été ».

Oui, le monde est privé de soleil, les températures baissent, et à cause de cela, la pression de l’air change, ce qui affecte les précipitations. Des dépressions qui restaient bloquées tout au nord de l’Europe se retrouvent vers le sud, c’est à dire en Irlande, en Allemagne ou encore en France. Conséquences : des pluies torrentielles inondent une partie du Vieux Continent durant l’été. Les cultures meurent. À l’époque, les paysans pouvaient survivre à une mauvaise année de récolte. Sauf que la poussière du volcan est restée bloquée deux voire trois ans dans les airs, avant que la gravité ne la fasse redescendre et que la vie normale reprenne son cours. En réalité, il faudrait parler des années sans été ! Des millions d’agriculteurs se sont retrouvés sur les routes, obligés de mendier pour de la nourriture. Ils devaient ressembler à des armées faméliques en haillons. De nombreuses communes apeurées fermaient leurs portes à ces réfugiés. D’ailleurs, selon moi, le monstre créé par Mary Shelley, Frankenstein, est l’incarnation de ces réfugiés européens. Elle était en Suisse en 1816. Elle a vécu le pire de la crise, les inondations, les tempêtes, les milliers de mendiants sur les routes. Frankenstein est aussi, à sa manière, un réfugié sans abri, rejeté par tous. En tout, les victimes de la faim causées par ces changements climatiques se comptent en centaine de milliers, même s’il est compliqué d’avoir des données exactes.

 

Les conséquences de cette éruption ne se limitent pas à l’Europe. La Chine, la côte est des États-Unis, et l’Inde sont aussi touchés... De quelle manière ?

Pendant deux années, les paysans du Yunnan, une province chinoise, connaissent des conditions climatiques similaires à l’Europe ; des températures basses et des inondations qui détruisent les récoltes. Nombreux sont ceux qui meurent de faim, vendent leurs enfants ou bien se lancent dans la culture du pavot à opium, moins sensible que le riz aux variations climatiques. Du côté du sous continent indien, l’éruption va avoir une autre conséquence : des épidémies de choléra. L’éruption de Tambora a complètement perturbé le système de la mousson. L’Inde connaît alors des sécheresses et d’intenses vagues de chaleur, suivies par des inondations dantesques. Ce sont précisément les conditions qui permettent l’apparition de nouveaux variants du choléra. En 1818, en Inde, des centaines de milliers de personnes sont mortes du fait de cette bactérie. Puis, comme avec le Covid, ces nouveaux variants s’internationalisent dans les années 1820, en empruntant les grandes routes du commerce mondial, et s’installent en Europe et en Amérique. Les morts se comptent alors en dizaines de millions ! C’est la première crise sanitaire véritablement mondiale – la peste noire, au Moyen-âge, n’était pas arrivée jusqu’en Amérique.

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    Quelles sont les réactions des élites de l’époque ?

    Au début du XIXe siècle, en Europe, la plupart des États se bornaient à collecter l’impôt, gérer l’armée et construire des routes. Il n’y avait pas d’État providence. Mais avec la crise, les prix des aliments comme le pain ont bondi. Les États craignent le chaos et la révolte. En Angleterre, par exemple, les politiques se sentent pour la première fois responsables de leur population et créent une sorte de ministère de la Santé. Il est décidé que le gouvernement pourra, en cas de crise alimentaire, créer des emplois pour les habitants afin qu’ils aient de quoi se nourrir. C’est complètement nouveau pour l’époque.

    Mais les efforts pour aider les populations viennent surtout d’initiatives privées. À titre d’exemple, la baronne de Krüdener, femme de lettres allemande, vend ses bijoux et ses beaux vêtements pour récolter de l'argent et nourrir les pauvres à sa porte. Ils sont parfois 4000 par jour ! Elle attire les foules partout où elle passe et en profite pour délivrer un message religieux et apocalyptique. Craignant sa popularité et son discours, les autorités suisses (pays où elle vivait alors) finissent par l’expulser… De riches aristocrates organisent la livraison de céréales depuis l’Ukraine actuelle. Ce territoire a été épargné par la poussière volcanique et les récoltes suivent leurs cours sans problème. C’est le premier exemple de l’histoire où une aide internationale s’organise de la sorte.

     

    Ce n’est qu’à partir des années 1970 que l’on comprend l’ampleur des conséquences de cette éruption. Autrefois, elle était simplement pensée comme un événement local. Pourquoi ?

    D’abord, parce qu’on développe dans les années 1970 les outils pour étudier les carottes de glace en Arctique. Quel choc pour les volcanologues de découvrir, dans la glace, d’épaisses bandes de sulfates au niveau des années 1816 et 1817 ! Aucune autre éruption n’avait laissé de telles traces.

    Ensuite, parce qu’avec la Guerre Froide, des scientifiques ont cherché à comprendre le fonctionnement des énormes nuages créés par les bombes atomiques. Les connaissances développées alors ont permis aux volcanologues de décortiquer le mouvement des aérosols dans l’air. Ils ont ensuite modélisé l’éruption du mont Tambora. Auparavant, ils n’avaient simplement pas les moyens de saisir l’ampleur de l’événement.

     

    Qu’est ce qui vous a mis personnellement sur la piste de cette éruption et ses conséquences ?

    Je suis historien, spécialiste du XIXe siècle, et intéressé par le changement climatique. J’ai pris des cours de climatologie à l’université, et le professeur nous expliquait l’effet des éruptions sur le climat. Il a passé beaucoup de temps à parler du mont Tambora. Or, j’ai beau être un spécialiste du XIXe siècle, je n’en avais jamais entendu parler! Il y a un vrai divorce entre l’histoire et les sciences de la terre. Pourtant, on voit ici combien les deux disciplines sont liées. Lors de mon enquête, je me suis rendu en Inde, en Chine, en Arctique... Et je n’ai eu aucune difficulté à trouver des archives qui relataient les évènements climatiques extrêmes des années 1816 , 1817 et 1818.

     

    Certains partisans de la géo-ingénierie voudraient reproduire les effets d’une telle éruption en envoyant d’énormes quantités d’aérosols dans l’air pour atténuer les effets du changement climatique. Qu’en pensez vous ?

    C’est une idée catastrophique. Certes, l’opération pourrait contribuer à faire baisser les températures. Mais l’éruption du mont Tambora montre bien une chose : nous ne pouvons pas contrôler tout ce qui advient ensuite.

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