Les hôtels réservés aux femmes, vecteurs d'émancipation

Des « maisons de chasteté » aux résidences glamour de l’après-guerre, ces hôtels offraient liberté et sororité aux femmes qui redéfinissaient leur place dans la société.

De Erin Blakemore
Publication 8 avr. 2021, 14:59 CEST
Charities, Y.W.C.A. Building, Margaret Louisa Home.

New York, 1907 : des femmes lisent et discutent dans la salle de réception de la Margaret Louisa Home. Cet hôtel réservé aux femmes a été construit par la Young Women’s Christian Association (YWCA) en 1891 pour offrir un logement aux nombreuses femmes qui arrivaient en ville pour travailler.

PHOTOGRAPHIE DE Byron Company, Musée De La Ville De New York

En 1929, une organisation new-yorkaise organisait un concours avec à la clé un voyage de six jours aux Bermudes à la « femme d’affaires » qui trouverait le meilleur nom pour un nouvel hôtel réservé aux femmes. Les propositions affluaient : le Diana, le Patrician, Broad View. L’organisation finit par choisir le Sutton. Une autre contribution résumait toutefois ce que représentait la résidence pour les femmes qui y séjournaient : Paradise.

Pendant plus d’un siècle, ces hôtels réservés aux seules femmes faisaient office de lieu de répit et de résidence principale pour des femmes de tout âge. Créés à l’époque victorienne, ces hôtels accueillaient des milliers de femmes ambitieuses qui redéfinissaient l’idée que les États-Unis se faisaient de leur place dans la société.

Los Angeles, 1925 : des membres du Hollywood Studio Club posent devant un panneau de collecte de fonds pour la construction d’un foyer pour les jeunes actrices. Lorsque les jeunes femmes s’aventuraient dans les villes en quête d’emploi, les femmes plus âgées et plus riches s’inquiétaient pour leur vertu et finançaient la construction de « maisons de chasteté » afin qu’elles y séjournent.

PHOTOGRAPHIE DE the Security Pacific National Bank Photo Collection, Bibliothèque Publique De Los Angeles

Au début du 19e siècle, voyager seule n’était généralement pas envisageable pour la plupart des femmes. Les femmes de la classe moyenne et haute ne devaient pas s’intéresser aux voyages ni à la vie urbaine. Le foyer était considéré comme la sphère qui leur était destinée. Si les femmes voyageaient, elles étaient étroitement surveillées et dirigées vers des quartiers privés aussi vite que possible.

La plupart des lieux publics ne se contentaient pas de désapprouver la présence des femmes, ils l’interdisait. Les villes étaient diabolisées, considérées comme des lieux où la morale n’existait pas et comme impropres à la gent féminine. Les femmes qui travaillaient en dehors du foyer étaient jugées dangereuses et impudiques. Bien que les femmes de la classe ouvrière, les immigrantes et les femmes de couleur s’aventuraient à l’extérieur de leur foyer, hébergées dans la maison de leur employé en tant que domestiques, elles étaient souvent considérées avec méfiance.

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    New York, entre 1915 et 1925 : des femmes attendent à l’hôtel Martha Washington. Il accueillait les femmes de la nouvelle génération qui, contrairement à leurs mères, avaient accès à l’éducation supérieure et souhaitaient faire carrière avant de se marier.

    PHOTOGRAPHIE DE Bain News Service, Librairie du Congrès

    1903 : une liftière s’occupe de la porte d’un ascenseur à l’hôtel Martha Washington.

    PHOTOGRAPHIE DE Bain News Service, Librairie du Congrès

    Les temps ont changé à mesure que les femmes de la classe ouvrière affluaient dans les villes en quête d’un emploi, quand d'aucun(e)s s’inquiétaient pour leur vertu. Elles répondirent à la crise immobilière en amorçant la construction de « maisons de chasteté », comme l’histoire Nina E. Harkrader les appelle. Ces pensionnats réservés aux femmes attiraient les femmes actives dont le salaire précaire ne leur permettait pas une vie confortable. Ils étaient la parfaite occasion pour elles d’apprendre les valeurs de la classe moyenne. Ces femmes n’y vivaient pas totalement seules. Elles étaient surveillées par des « mères de maison », des femmes plus âgées qui contrôlaient leur comportement.

    Ces maisons fleurissaient dans les centres urbains de tout le pays. En 1898, le département du Travail des États-Unis (DoL) recensait quarante-six villes pourvues de maisons pour les femmes actives dont la plupart étaient gérées par des groupes chrétiens. À l’origine, elles étaient censées être des logements temporaires. La Margaret Louisa Home à New York, gérée par la Young Women’s Christian Association (YWCA), fut construite afin d’offrir un logement aux nombreuses femmes qui affluaient dans la ville en 1891. Selon le DoL, ses occupantes étaient chapelières, gouvernantes, bibliothécaires ou encore vendeuses. Parmi les conditions d’admission, on retrouvait des critères tels que « bonne conduite », « autonomie » et « respectabilité ».

    À mesure que les mœurs sociales évoluaient, et ce, en partie grâce au mouvement pour le suffrage féminin et à la participation des femmes aux deux guerres mondiales, les femmes de la classe moyenne et au-delà commencèrent à faire carrière elles aussi. Les hôtels réservés aux femmes devenaient monnaie courante. Il y en avait pour tous les goûts, des plus simples aux plus luxueux. Les femmes y séjourneraient pendant de courtes périodes ou pendant des années. Elles bénéficiaient d’un service de ménage et de restauration et elles pouvaient sympathiser avec les autres résidentes.

    Washington D.C., env. 1942 : des employées du gouvernement américain de la Seconde Guerre mondiale se détendent au Slowe Residence Hall. Il était le premier hôtel réservé aux femmes actives Noires construit par le gouvernement

    PHOTOGRAPHIE DE Farm Security Administration, Librairie du Congrès

    La troisième officier Ina Mae McFadden de la Women’s Army Auxiliary Corp, agent de recrutement pour la Third Service Command était l’une des premières locataires à emménager au Lucy D. Slowe Residence Hall.

    PHOTOGRAPHIE DE Farm Security Administration, Librairie du Congrès

    Ces hôtels accueillaient les femmes de la nouvelle génération qui, contrairement à leur mère, avaient accès à l’éducation supérieure et souhaitaient faire carrière avant le mariage. À leur apogée, des années 1920 aux années 1970, ils étaient des lieux où les femmes ambitieuses pouvaient rencontrer des camarades partageant les mêmes idées, faire leurs premiers pas dans la ville et profiter de leur vie

    « Ces hôtels représentaient la liberté », déclare l’écrivaine et historienne Paulina Bren. Son livre, The Barbizon: The Hotel That Set Women Free (Le Barbizon : l’hôtel qui a libéré les femmes) retrace l’ascension et la chute de ce prestigieux hôtel. Les femmes qui n’avaient jamais mis les pieds à New York y trouvèrent un refuge et un tremplin. À une époque où les e-mails, les téléphones portables et les appels interurbains de longue durée peu chers n’existaient pas, les nouveaux arrivants dans la ville étaient coupés de leurs anciens liens sociaux. Les femmes en tissaient de nouveaux dans les hôtels qui leur étaient réservés. Elles y vivaient dans une atmosphère de sécurité et de familiarité parmi les inconnues.

    Pour y résider, les critères étaient stricts. Si une femme souhaitait vivre au Barbizon, « il fallait avoir l’air jeune, volontaire, séduisante et blanche », explique l’auteure. Le bâtiment grouillait de mannequins, d’actrices et de femmes de carrière, dont la plupart étaient belles et aisées. Les résidentes devaient apporter des lettres de recommandation et rechercher un activement un emploi. Les hommes n’étaient pas autorisés à se rendre aux étages supérieurs.

    Toutefois, à l’étage, une ambiance de dortoir régnait. Pour certaines résidentes, le Barbizon en était bel et bien un. Les étudiantes de la prestigieuse école de secrétariat Katharine Gibbs y séjourneraient. Les femmes qui y vivaient participaient à de nombreuses activités universitaires. Grace Kelly dansait seins nus dans les couloirs et l’histoire de l’hôtel est parsemée de fêtes secrètes, de liaisons interdites et de plaisanteries nocturnes.

    L’hôtel Barbizon à New York, où ont résidé Grace Kelly et Sylvia Path notamment, était le reflet d’une époque plus glamour pour les hôtels réservés aux femmes dans l’après-guerre. Si une femme souhaitait vivre au Barbizon, « il fallait avoir l’air jeune, volontaire, séduisante et blanche », explique Pauline Bren, auteure d’un livre récemment paru sur l’histoire de cet hôtel.

    PHOTOGRAPHIE DE Sara Krulwich, T​he New York Times, Redux

    1977, hôtel Barbizon : des femmes discutent dans le hall. Grâce à l'avancée des droits des femmes et à la légalisation de la contraception, l’engouement pour les hôtels réservés aux femmes a commencé à décliner dans les années 1970. Le Barbizon a ouvert ses portes aux hommes en 1981 et a été converti en copropriété en 2006.

    PHOTOGRAPHIE DE Sara Krulwich, T​he New York Times, Redux

    « Ce n’est pas comme si les femmes étaient enfermées dans le Barbizon », explique Mme Bren. « À l’extérieur, le monde était unisexe. » Même si les restrictions de l’hôtel énervaient certaines femmes, le monde proposé à l’extérieur de ses murs était marqué par le harcèlement sexuel, le sexisme et les méthodes de recrutement discriminatoires.

    Bien qu’ils tiraient leurs racines des craintes entourant la pureté sexuelle [des femmes], ces hôtels normalisaient l’idée qu’une femme puisse être un membre indépendant, et même ambitieux, de la société. À mesure que les femmes gagnaient leurs droits et que l’accès à la contraception légale changeait la vision du sexe, l’engouement pour les hôtels commençait à décliner. Les femmes souhaitaient socialiser et vivre parmi les hommes. Nombre d’entre elles ne souhaitaient pas du tout se marier.

    Vers les années 1970, les hôtels réservés aux femmes étaient désaffectés. Même si le Barbizon n’avait pas fermé ses portes, il les a ouvertes aux hommes en 1981. Lorsqu’il fut transformé en copropriété de luxe en 2006, seules quatorze femmes y vivaient à l’année.

    « Les habitations privées réservées aux femmes pourraient être quelque chose d’intéressant et d’utile », affirme Paulina Bren. Aujourd’hui, les femmes actives n’ont plus besoin de « protection » lorsqu’elles débutent leur carrière. Selon Mme Bren, de nos jours, « nous, les femmes, nous créons nous-mêmes ces espaces de manière informelle ». Même si leur temps est sûrement révolu, le sentiment de liberté et de camaraderie pour les femmes qui se dégageait de ces hôtels mérite toujours d’être revendiqué.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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