Les sites sacrés de Jérusalem, mélange explosif entre religion et politique

Le devenir des quartiers palestiniens et des sites sacrés de Jérusalem est à l'origine des dernières effusions de sang.

De Andrew Lawler
Publication 2 juin 2021, 10:57 CEST, Mise à jour 3 juin 2021, 10:22 CEST
Temple Mount Ariel

Le flamboyant dôme du Rocher, situé dans l’acropole de Jérusalem, est appelé Noble Sanctuaire par les musulmans et mont du Temple par les juifs. Il surplombe les murs de la vieille ville de Jérusalem. Ce lieu sacré, ainsi que d’autres comme la porte de Damas ou le quartier de Cheikh Jarrah, a été le théâtre de scènes sanglantes ces dernières semaines.

PHOTOGRAPHIE DE Craig F. Walker, The Denver Post/ Getty Images

Les roquettes, les émeutes et les frappes aériennes qui ont secoué Israël et les territoires palestiniens voisins ces dernières semaines ont de nouveau propulsé l’un des conflits les plus épineux du monde à la une des journaux. Plus de 250 Palestiniens et une douzaine d’Israéliens y ont perdu la vie. Des milliers d’entre eux ont été blessés avant le cessez-le-feu, déclaré le 20 mai dernier.

La violence a d’abord éclaté le long d’un ensemble de tombes, de portes et de sanctuaires antiques à Jérusalem. Il s’agit là d’éléments qui sont chers aux yeux de beaucoup de juifs et de musulmans. Situés dans la partie est de la ville, annexée par Israël en 1980 et considérée comme territoire occupé par la communauté internationale, ces sites sont au cœur de la lutte menée par les Palestiniens. Ces derniers tentent d’empêcher les juifs de s’installer au sein des territoires traditionnellement arabes.

Les conflits ont commencé le 13 avril, au début du mois sacré du Ramadan. Une mesure de sécurité apparemment mineure s’est avérée avoir des répercussions majeures et sanglantes.

La police des frontières israélienne a restreint l’accès à la porte de Damas, un passage situé dans la vieille ville érigée dans les années 1530 par Soliman le Magnifique, le sultan de l’Empire ottoman. La structure originale qui repose en dessous de ce site a été excavée en 2013 et date de plusieurs siècles av. J.-C. Il s’agissait de l’entrée monumentale vers la ville de Jérusalem à l’époque de l’Empire romain, qui s’ouvrait sur une cour intérieure où surplombait une statue de l’empereur romain Hadrien. La statue a disparu depuis de nombreuses années mais sa mémoire a été conservée avec le nom arabe du monument : la porte de la colonne. En hébreu, elle porte le nom de porte de Shekhem.

Des barrières ont été installées le long de la porte de Damas, l’entrée vers la vieille ville de Damas. Cette décision a provoqué la colère des Palestiniens en plein mois du Ramadan et a engendré des conflits violents avec la police de la frontière israélienne.

PHOTOGRAPHIE DE Mahmoud Illean, Associated Press

La porte ne représente pas un site sacré, mais Nazmi Al Jubeh, archéologue et historien à l’université de Beir Zeit, relève qu’il s’agissait « d’un symbole de la lutte nationale des Palestiniens ». En effet, c’est le principal lien entre les quartiers musulmans de la vieille ville, les marchés et les quartiers arabes du nord. « Elle a une valeur folklorique et sentimentale aux yeux de nombreux Palestiniens. »

Ces dernières années, la porte est devenue l’entrée principale des juifs ultra-orthodoxes, également appelés les haredim, vers la vieille ville. Aussi, Israël a imposé une forte présence des forces de l’ordre après une série d’attaques au couteau. En 2020, la municipalité a renommé la petite place en face de la porte en hommage aux officiers de police israéliens tués dans l’exercice de leur fonction.

Depuis longtemps, elle constitue un lieu de rassemblement pour les jeunes et les familles palestiniennes après le coucher du Soleil lors du Ramadan. Cette année, la place était bordée de barricades qui empêchaient les pratiquants de se regrouper. Les Palestiniens ont protesté contre ces restrictions. Ces plaintes se sont transformées en de violents affrontements avec la police qui patrouillait dans les rues environnantes. Des vidéos de jeunes Palestiniens attaquant des haredim ont alimenté la colère des juifs.

Le 22 avril, plus d’une centaine de Palestiniens ont été blessés lors de rixes avec la police israélienne. Cette dernière a également eu du mal à retenir une foule de juifs extrémistes qui tentaient de rejoindre la porte en criant « Mort aux Arabes ». Selon les dires d’un journaliste israélien sur place, la zone était devenue « un amphithéâtre de violence ».

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    Des manifestations ont éclaté en Israël et au sein des territoires palestiniens après la menace d’expulsion des résidents arabes du quartier de Cheikh Jarrah. Ici, on peut voir un rassemblement dans la ville portuaire de Haïfa, en Israël.

    PHOTOGRAPHIE DE Mati Milstein, Associated Press

    Au même moment, le Hamas, parti palestinien qui gouverne la bande de Gaza, a commencé à tirer des roquettes en direction d’Israël. Il considérait les actions des Israéliens à Jérusalem comme des provocations. Le 25 avril, la police israélienne a enlevé les barrières autour de la porte mais les protestations ont continué.

    Les tensions étaient déjà montées dans le quartier majoritairement arabe situé juste au nord de la porte de Damas appelé Cheikh Jarrah.

     

    UN CONFLIT AUTOUR D’UN CIMETIÈRE

    Jarrah était le médecin de Saladin, le sultan qui a expulsé les croisés chrétiens de Jérusalem en l’an 1187 et qui a fondé la dynastie ayyoubide. Le médecin a été enterré dans la périphérie nord de la ville. Sa tombe est devenue un sanctuaire qui attirait les sûfis de tous les pays musulmans. Un petit village arabe a décidé de porter son nom et s’est développé autour du site.

    À l’époque romaine, cette région avait déjà été utilisée comme cimetière. Le Tombeau des Rois, le complexe funéraire le plus majestueux de Jérusalem, s’y trouve également, ainsi que de nombreuses tombes de sages juifs et de figures sacrées. Une tradition médiévale veut que l’une de ces sépultures, creusées dans la roche près de la Tombe des Rois, soit celle de Siméon le Juste, un Grand prêtre juif. Selon le Talmud, il aurait rencontré Alexandre le Grand.

    En 1871, un archéologue qui examinait cette même tombe y a trouvé une inscription. Elle a révélé que cette sépulture était en réalité un site funéraire du 2e siècle qui renfermait les vestiges de la femme ou la fille d’un centurion romain nommé Julius Sabina.

    Des groupes juifs, soucieux de préserver le caractère sacré du site, l’ont acheté cinq ans plus tard. Une communauté de quelques dizaines de familles juives s’est installée autour de la tombe un peu plus tard. À cette époque, le quartier était parsemé de propriétés appartenant à de riches familles arabes. Jérusalem commençait à s’étendre hors de ses murs.

    Lorsque l’État d’Israël a été déclaré en 1948, la guerre avec les nations arabes a éclaté. Cheikh Jarrah est passé sous le contrôle jordanien au sein de ce qui est ensuite devenu Jérusalem-Est. Les résidents juifs ont fui. Les Palestiniens, chassés par les conflits, se sont installés dans des maisons abandonnées. En 1967, Israël est parti à la conquête de Jérusalem-Est avant de l’annexer.

    Depuis, les juifs tentent de se servir des tribunaux israéliens pour évincer les résidents arabes des propriétés qu’ils revendiquent. Souvent, les poursuites des juifs aboutissent. Aucune loi n’a été établie pour donner le droit aux Palestiniens de récupérer les maisons qu’ils possédaient avant les tensions de 1948.

    Le dôme du Rocher scintille derrière les musulmans, en pleine prière lors de Laylat al-Qadr, aussi appelée la Nuit du Destin. Elle marque la nuit où le Coran a été envoyé par Dieu aux Hommes pour la première fois. Ce sanctuaire a été le théâtre de conflits sanglants entre la sécurité israélienne et les musulmans, avant et après les célébrations du 8 mai.

    PHOTOGRAPHIE DE Mahmoud Illean, Associated Press

    « Cheikh Jarrah a une valeur historique pour l’identité nationale et religieuse des Palestiniens et des Juifs », assurent Lior Lehrs et Yitzhak Reiter, deux universitaires israéliens qui ont étudié ce quartier. Les conflits entre les deux groupes « reflètent un schéma d’implantation juive croissant au cœur des quartiers arabes de Jérusalem-Est », ont-ils ajouté.

    Depuis quelques années, les fidèles juifs ont commencé à se rendre plus fréquemment et en plus grand nombre sur la tombe pour s’y recueillir. Ce mélange explosif de partage des terres, de religion et de politique a rapidement atteint un point de rupture.

    Au printemps, alors que la Cour suprême d’Israël s’apprêtait à rendre sa décision quant à l’expulsion de cinquante-huit Palestiniens de leurs maisons à Cheikh Jarrah, les manifestations hebdomadaires contre ces prises de décisions ont pris de l’ampleur. Au cours d’une marche le 9 avril, la police israélienne a passé à tabac un membre de la Knesset, le parlement israélien, qui participait au rassemblement pacifique.

    Le 6 mai, les membres du parti juif d’extrême droite et des locaux palestiniens ont commencé à s’insulter en pleine rue à Cheikh Jarrah. Ils ont fini par se lancer des chaises et des pierres. Cette petite mêlée s’est rapidement transformée en une grande manifestation musulmane au centre du mont du Temple, une zone du sud-est de la vieille ville qui s’étend sur près de 150 000 m².

     

    LE POUVOIR D’UN MONUMENT

    Il n’existe que peu d’endroits sur Terre aussi chargés en histoire, en politique, en religion et en légendes. De temple en temple, la ville a été le lieu de culte le plus important du judaïsme jusqu’à ce que les Romains détruisent le complexe tentaculaire en l’an 70.

    Avec la venue de la religion islamique au 7e siècle, les premiers dirigeants musulmans ont ordonné la construction du dôme du Rocher et de la mosquée al-Aqsa. Ces deux sites permettaient de marquer le lieu où ils estimaient que le prophète Mahomet avait réalisé son séjour nocturne au paradis.

    2011 : des nationalistes israéliens agitent le drapeau de leur nation au cours d’une manifestation dans les rues de Cheikh Jarrah. Ils célèbrent la prise de contrôle des Israéliens de 1967.

    PHOTOGRAPHIE DE Marco Long, AFP/Getty Images

    Les deux constructions, érigées au sein d’une atmosphère verdoyante, avec des cours, des jardins et de splendides vues, font partie des structures islamiques les plus vieilles et les plus vénérables du monde. Ce que les musulmans appellent le Noble Sanctuaire, ou plus simplement al-Aqsa, représente le troisième principal site sacré de l’Islam après La Mecque et Médine.

    En 1967, Israël s’est emparé de l’acropole et l’a déclaré comme partie intégrante de la capitale israélienne. La plateforme en elle-même est restée sous l’autorité musulmane mais a été placée sous le contrôle des Israéliens. Fréquemment, des tensions entre les pratiquants et la sécurité israélienne éclataient. Elles surviennent régulièrement pendant le Ramadan, lorsque des dizaines de milliers de musulmans se rendent à al-Aqsa.

    À la suite des manifestations de la porte de Damas et de Cheikh Jarrah, des milliers de fidèles palestiniens se sont rassemblés sur l’acropole pour prier et manifester contre les expulsions. Un grand contingent de soldats israéliens était également présent et la violence a rapidement éclaté. Le 7 mai, plus de deux-cents Palestiniens ont été blessés, notamment par des balles en acier recouvertes de caoutchouc ou par des grenades assourdissantes. Dix-sept policiers ont souffert de blessures causées par des bouteilles, des chaussures et des pierres.

    Le 10 mai a marqué le 54e anniversaire de la prise de pouvoir de Jérusalem-Est par les Israéliens. Ce jour-là, la Cour suprême devait statuer sur le cas des évictions de Cheikh Jarrah. La manifestation a été annulée et la décision de justice a été reportée mais la violence était déjà hors de contrôle. Le Hamas a tiré des roquettes vers Gaza. En réprésailles, Israël a bombardé la zone.

    Les émeutes se sont rapidement propagées aux villes partagées entre les juifs et les musulmans ainsi qu’à la Cisjordanie. Ce territoire, occupé par les Israéliens, abrite l’Autorité nationale palestinienne mais aussi plus d’une centaine d’établissements juifs, considérés comme clandestins aux yeux de la légalisation internationale.

    Le 18 mai, un dirigeant palestinien a appelé aux manifestations et aux grèves. Les forces israéliennes de Cisjordanie ont abattu un Palestinien et blessé plus de soixante-dix individus. Deux soldats israéliens ont été également blessés. Au même moment, à Cheikh Jarrah, la police dirigeait ses canons à eau vers les protestants arabes, qui eux, se battaient avec la sécurité israélienne à la porte de Damas.

    L’Égypte a négocié le cessez-le-feu, signé le 20 mai par Israël et le Hamas. Osama Hamdan, un haut représentant du Hamas, a déclaré qu’Israël avait « [garanti] que les agressions israéliennes à la mosquée al-Aqsa et à Cheikh Jarrah cesseront ». Cette affirmation a été rejetée et considérée comme un « véritable mensonge » par les autorités israéliennes. Rares sont ceux qui pensent que la paix est possible.

    À la question portant sur l’existence d’une solution durable à la crise, M. Reiter a donné une réponse que l’on entend souvent à Jérusalem. « Je ne suis pas sûr ; c’est compliqué. »

     

    Andrew Lawler est un journaliste et un auteur qui a écrit pour National Geographic au sujet des fouilles controversées à Jérusalem. Son dernier livre, Under Jerusalem (Sous la ville de Jérusalem) est à paraître en novembre.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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