Palmyre, le joyau antique détruit par l'État Islamique

En 2015, Palmyre est devenu le symbole des destructions de l’État islamique contre le patrimoine. Mais il y a 2 000 ans, cette riche cité caravanière était un modèle de syncrétisme et un point de confluence des grandes civilisations antiques.

De Francis Joannès, professeur d’histoire ancienne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Publication 29 sept. 2021, 11:00 CEST, Mise à jour 29 sept. 2021, 14:58 CEST
Une vue aérienne de Palmyre prise avant que DAESH n'occupe le site en 2015. Lla ville ...
Une vue aérienne de Palmyre prise avant que DAESH n'occupe le site en 2015. Lla ville a été dominée par son beau théâtre (centre). À l'extrême droite se trouve le Tetrapylon et à l'arrière-plan, à droite, se trouvent les tombes de la ville.
PHOTOGRAPHIE DE Ed Kashi, Ngs

Le monument appelé « temple de Bêl », qui avait été consacré le 6 avril 32 apr. J.-C., a été rasé à l’explosif par l’État islamique à la fin du mois d’août 2015. Près de deux mille ans d’Histoire ont été réduits en poussière, sans véritable réaction de la communauté internationale. Le site monumental de Palmyre, classé au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1980, disparaît ainsi par pans entiers, tandis que Khaled Al-Asaad, qui en avait assuré la direction durant 40 ans, a été assassiné dans des conditions inhumaines.

Or, Palmyre est peut-être le modèle par excellence d’une confluence harmonieuse de plusieurs civilisations de l’Antiquité. Le seul cas du temple de Bêl, qui fait référence au dieu majeur du panthéon de Babylone, Bêl-Marduk, mais qui était avant tout dédié à la triade divine locale de Bêl, Iarhibôl et Aglibôl, est parfaitement représentatif de cet état de fait. Il s’élevait sur la partie la plus ancienne du site et associait des éléments d’architecture clairement gréco-romains, tels que ses colonnes à chapiteau corinthien, à d’autres éléments de tradition syro-mésopotamienne : le toit était décoré de merlons triangulaires et comportait une terrasse d’inspiration babylonienne ; le temple, doté de deux cellae (les espaces sacrés abritant les statues divines), s’ouvrait sur son long côté selon un plan dit « barlong » et se dressait à l’intérieur d’un vaste espace clos de 205 sur 210 mètres, comprenant plusieurs installations cultuelles.

 

UN GRAND CARREFOUR CULTUREL ET ÉCONOMIQUE

La pluralité des cultes, qui fut l’une des caractéristiques de Palmyre, s’explique aussi bien par son rôle de carrefour économique et culturel, que par la prise en charge de certains sanctuaires par les membres des grandes familles de notables qui dominaient la cité. Elles tenaient les leviers de commande du commerce terrestre (contrôle des itinéraires, des animaux de transport et des escortes) et participaient aussi au commerce international par voie de mer en affrétant des bateaux qui se rendaient, via le golfe Persique, jusqu’au royaume indo-scythe, à l’embouchure de l’Indus.

Le magnifique théâtre de Palmyre datant du 2e siècle était probablement plus utilisé pour des présentations rhétoriques que pour des pièces de théâtre. L'image est antérieure à la prise du site par DAESH en mai 2015.
PHOTOGRAPHIE DE Michele Falzone, AGE Fotostock

Les jeux d’influence et de pouvoir qui s’exerçaient à Palmyre reposaient également sur l’appartenance des notables à un système de tribus, hérité du fonds syro-araméen local. Dans le même temps, la cité d’époque romaine était régie par des institutions politiques calquées sur le modèle grec, avec une assemblée (la Boulè, attestée à partir de 74 apr. J.-C.) assistée de magistrats éponymes (les archontes, puis les stratèges), d’un secrétaire et d’agoranomes (chargés de la police des marchés).

Ce rôle de lieu de passage et de contact entre nomades et sédentaires, entre les influences mésopotamiennes et celles venues de Syrie occidentale, est partie intégrante de l’histoire de Palmyre, même si la période d’appartenance à l’Empire romain sera celle de sa plus grande splendeur. C’est au début du IIe millénaire av. J.-C. que l’oasis de Palmyre, sous son nom traditionnel de « Tadmor », commence à jouer un rôle clé dans les relations entre la vallée de l’Euphrate et la Syrie occidentale.

Le lieu se situe au croisement des itinéraires reliant la région de Mari et la haute Mésopotamie à la Méditerranée par l’ouest (via Émèse – l’actuelle Homs – et la vallée de l’Oronte) ou par le sud-ouest (via Damas, la vallée du Jourdain et la mer Rouge). Les caravanes, militaires et commerciales, qui empruntent à cette époque les routes du désert depuis la vallée de l’Euphrate en direction des royaumes de Syrie occidentale passent donc par Palmyre. Cette fonction de contact perdure pendant tout le IIe millénaire et le début du Ier millénaire av. J.-C., lorsque l’oasis est englobée dans les empires de Ninive, de Babylone et enfin de la Perse achéménide.

 

UN « PORT DU DÉSERT » EN ORIENT

Palmyre connaît une expansion remarquable avec le développement des transports chameliers. Elle devient alors un véritable « port du désert » sous le gouvernement de la dynastie séleucide (305-64 av. J.-C.), qui domine l’Orient après sa conquête par Alexandre le Grand au cours des années 331-330 av. J.-C. Mais la période séleucide reste mal connue à Palmyre, car la zone d’occupation de cette époque, située au sud de l’oasis, n’a pas fait l’objet de fouilles aussi développées que celle des 2e et 3e siècles apr. J.-C. On constate cependant que c’est par rapport à l’orientation générale de cette ville d’époque séleucide que le temple de Bêl et une partie de la Palmyre monumentale actuelle ont été construits.

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    Le temple de Baalshamin à Palmyre a été attaqué en août 2015 par les combattants de l'EI avec des explosifs improvisés. Le groupe a publié des photos de la destruction, et des images satellites ont confirmé la démolition de l’édifice romain.
    Photo Kyodo, Ap

    Après la mainmise romaine sur le Proche-Orient (la Syrie est occupée à partir de 64 av. J.-C.), la ville romaine s’est développée avec ses propres monuments : le temple réaménagé de Nabou, le théâtre, une grande agora carrée, bordée de murs et de portiques à colonnes corinthiennes. C’est là qu’étaient conservées les archives de la cité et l’ensemble s’ornait de statues honorifiques des personnages éminents de Palmyre.

    Les autres vestiges de la ville romaine des 3e et 3e siècles sont bien connus : le temple dédié au dieu Baalshamin, le « Maître des cieux », d’origine syrienne (détruit en août 2015), le temple de la déesse Allat (originaire de la péninsule Arabique), près du « camp de Dioclétien », où fut découverte en 1977 une grande statue de lion de 3,5 mètres de haut (détruite en juin 2015), et surtout la grande avenue à colonnade scandée par le tétrapyle, un monument composé de quatre ensembles de quatre colonnes chacun. Les autres célébrités de Palmyre, ce sont bien évidemment ses nécropoles à hypogées (tombes souterraines) et les tours de la Vallée des tombeaux, dont au moins trois (celles d’Elahbel, de Jamblique et de Khitot) ont été rasées au début du mois de septembre par l’État islamique.

     

    LA REINE ZÉNOBIE FAIT SÉCESSION

    Cette période des 2e et 3e siècles apr. J.-C. est celle de l’apogée commercial de Palmyre, qui met en relation la Méditerranée avec la vallée de l’Euphrate, et, plus au sud, les ports du golfe Persique donnant accès au sous-continent indien. Non seulement, les caravanes palmyréniennes assurent le transport des produits de luxe à travers le désert, mais les agents commerciaux palmyréniens sont également présents dans de nombreux comptoirs lointains. Palmyre assure ainsi le transit à travers la steppe syro-arabique, entre les territoires contrôlés par les Parthes à l’est et les provinces orientales de l’Empire romain.

    La ville est partie prenante de réseaux commerciaux de très grande amplitude : on y a retrouvé par exemple des restes d’étoffes en soie chinoise et en cachemire indien. La richesse ainsi acquise produit une synthèse remarquable entre le substrat des nomades de la steppe syro-arabique, l’influence de la civilisation mésopotamienne et un habillage gréco-romain, propre aux agglomérations urbaines du monde hellénistique, qui permet de multiplier les marques de prestige à travers des constructions en pierre d’ordre public comme privé : plusieurs grandes demeures ont été dégagées par les fouilles archéologiques au centre de la ville romaine.

    Cette puissance commerciale a eu également une expression politique et militaire, quand un très haut notable palmyrénien nommé Odénat s’est trouvé investi entre 260 et 267 apr. J.-C. par les empereurs romains Valérien, puis Galien, de la défense militaire des provinces romaines d’Orient contre les attaques ravageuses des Sassanides, qui avaient remplacé les Parthes en Iran. Mais il fut assassiné avec son fils Hairan à Émèse, et sa veuve Zénobie, issue également d’une famille de notables mais élevée selon les canons de la culture gréco-romaine, tenta de reprendre ses charges, avec les honneurs qui y étaient attachés, pour les transmettre à un autre de ses fils, Wahballat.

    Zénobie entra ainsi en conflit avec Aurélien, le nouvel empereur de Rome, dont elle récusa l’autorité. S’étant emparée de l’Égypte, elle envisagea, semble-t-il, de disputer la partie orientale de l’Empire à Aurélien. En 270, Wahballat prit le titre d’« Auguste », et Zénobie, celui d’« Augusta ». Mais leurs armées furent vaincues en 272, et Zénobie, repliée à Palmyre, fut arrêtée et emmenée à Rome après le saccage de la ville. De ce moment, Palmyre redevint un poste clé dans le dispositif militaire de défense des frontières orientales de l’Empire romain, avant de connaître un lent déclin.

    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine.

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