Premières pyramides : un génie technique vieux de 5000 ans

Les édifices de Kheops et Khephren ont relégué dans l’ombre la créativité architecturale de Snefrou. C’est pourtant à ce souverain que l’on doit, voici 4 500 ans, une invention révolutionnaire : l’emblématique pyramide à faces lisses.

De Damien Agut-Labordère

Cet article a paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner 

 

Les pyramides de Gizeh sont trompeuses. Leur perfection géométrique ainsi que l’harmonie de leur agencement incitent en effet à croire que, comme Athéna sortie tout armée du crâne de Zeus, elles surgirent, déjà achevées, de l’esprit d’architectes de génie.

Cette impression puissante n’a cessé d’inspirer les divagations ésotériques qui, depuis plusieurs siècles, attribuent leur construction à l’œuvre d’initiés, détenteurs d’une sagesse supérieure, ou d’extraterrestres venus fort complaisamment dispenser leur science aux pharaons. Plus simplement, comme leurs collègues de toutes les époques, les ingénieurs du 3e millénaire av. J.-C. durent, pour parvenir à bâtir la première pyramide à faces lisses, multiplier les prototypes et essuyer des échecs proprement monumentaux.

L’histoire des pyramides remonte, au moins, au règne de Djéser (2667-2648), qui fit ­bâtir l’édifice à degrés qui domine son complexe funéraire à Saqqarah. Les progrès techniques les plus spectaculaires eurent lieu toutefois quelques décennies plus tard, sous Houni (2637-2613), mais surtout sous son successeur, Snefrou (2613-2589). C’est en réalité sous le règne de celui-ci que la totalité des solutions techniques mises en œuvre pour construire les pyramides à faces lisses furent découvertes. Solutions que s’empressa de reprendre Kheops (2589-2566), le commanditaire de la première des célèbres pyramides de Gizeh.

C’est en effet sous Snefrou que l’on passa d’un empilement de structures rectangulaires de plus en plus petites, comme c’est le cas dans la pyramide à degrés, à la réalisation d’un solide pyramidal de base carrée, aux proportions cyclopéennes. Cette transformation de la forme des tombes royales ­entraîna tout naturellement son lot de tâton­nements et de ratages. Des errements dont témoignent les trois pyramides qui se dressent toujours à Dahchour et à Meidoum, respectivement à 25 et 60 kilo­mètres au sud du Caire.

 

MEIDOUM, L'ESSAI RATÉ

Énorme tour surgissant d’un chaos de pierres, la pyramide de Meidoum apparaît, saisissante, au détour de la route qui conduit du Caire au Fayoum, comme si, remontant des entrailles de la terre, la pyramide à degrés avait perforé la surface du sol en sortant d’un cratère. À l’origine, il s’agissait d’un édifice très proche de celui bâti par Djéser à ­Saqqarah, à la différence près qu’il comportait non pas six, mais sept ou huit degrés.

C’est sur cette matrice que furent réalisées les premières tentatives de lissage des faces. Les maçons s’employèrent alors à combler les « marches » en agençant des blocs de pierre, avant de procéder à la pose d’un appareil extérieur de bonne qualité destiné à parer l’édifice en donnant à ses faces un aspect uni.

Hélas, très vite, vraisemblablement dans les années qui suivirent l’achèvement du chantier, remplissage et parement commencèrent à dégrin­goler, formant peu à peu les hauts terrils pierreux d’où émerge aujourd’hui la pyramide à degrés. L’analyse architectonique de ces ruines a montré que cet effondrement était dû à au moins deux facteurs.

La pyramide de Meidoum.
PHOTOGRAPHIE DE Kurohito, Wiki Commons

Le premier est directement lié à l’histoire de l’édifice. Comme les architectes royaux s’étaient appliqués à lisser la pyramide à degrés parfaitement achevée, le parement calcaire de grande qualité recouvrant cette dernière n’offrait pas de prises aux blocs ajoutés pour remplir les « marches ». Mal soudés au cœur de la pyramide, ces derniers finirent par glisser d’autant plus que, composé de pierres grossièrement taillées et agencées sans soin, cette maçonnerie était elle-même d’une grande fragilité. Il est très probable que la pyramide à degrés avait été initialement commandée par le roi Houni. Mais c’est à Snefrou que nous devons la tentative malheureuse d’habiller cet édifice pour en faire une pyramide à faces lisses. Il est donc possible que la dernière demeure d’Houni ait servi à son successeur pour expérimenter à peu de frais un projet qu’il destinait à son propre tombeau.

 

UNE HAUTEUR JAMAIS ATTEINTE

C’est le plateau de Dahchour, situé 35 kilo­mètres plus au nord, qui fut choisi pour accueil­lir celui-ci. L’objectif initial assigné par Snefrou à ses architectes était ambitieux : il s’agissait d’édifier une pyramide à faces lisses dont la hauteur ferait presque le double de celle de Djéser à Saqqarah. Mais, pour des raisons qui nous échappent, à la moitié de la hauteur prévue, la pente des faces fut ­réduite par les maçons, passant de 54° à 43°.

Ce changement donna à cette construction une forme unique, qui lui vaut d’être qualifiée de « rhomboïdale » (du grec rhombos, « losange »). ­Malgré cette étrangeté, la première pyramide de ­Snefrou constitua, notamment du point de vue de la hauteur atteinte (105 mètres contre 62 mètres pour celle de Djéser à Saqqarah), un premier pas significatif. Un peu plus loin au nord-est, sur les bords du Nil, se dressait le temple associé à la pyramide.

Les bas-­reliefs qui ornaient ses murs représentaient notamment une procession de femmes qui personnifiaient les domaines agricoles servant à alimenter le culte du roi défunt et à rémunérer le clergé attaché à la pyramide.

 

LA FORME PARFAITE EST TROUVÉE 

Est-ce la bizarrerie de la forme de la pyra­mide rhomboïdale qui poussa Snefrou à commander la construction d’un autre tombeau ? La question est, dans l’état actuel de nos connaissances, impossible à trancher. Quoi qu’il en soit, le cahier des charges vraisemblablement imposé par le roi ne facilita pas la tâche des architectes royaux.

La pyramide de ­Snefrou.
PHOTOGRAPHIE DE Kristina - Magdebourg / WikiCommons

En donnant à la ­nouvelle pyramide une base de 220 mètres de ­côté, soit 76 mètres de plus que celle de Meidoum, le roi ajoutait une difficulté supplémentaire en compliquant leurs calculs. Construire une pyramide à faces lisses impli­que en ­effet d’établir de façon très précise l’angle des faces de manière que ­celles-ci se recou­pent parfaitement au sommet de l’édifice.

C’est en puisant dans ce que leurs échecs précédents leur avaient appris que les archi­tectes royaux parvinrent à leurs fins. Non seulement la forme de la pyramide était ­enfin ­parfaite, mais, à l’exception de la chute du pare­ment de calcaire blanc qui ­dévoila les pierres rouges employées pour ­bâtir les pentes, l’édifice est toujours debout et constitue la plus ancienne pyramide à pentes lisses d’Égypte. C’est donc à Snefrou que nous devons cette réussite, dont les résultats furent ­repris et magnifiés par ses successeurs immédiats : Kheops, Khephren et ­Mykérinos. 

Si la ­perfection des trois pyra­mides de Gizeh a jeté aujourd’hui sur Snefrou et ses prototypes une ombre épaisse, la situa­tion était toute différente dans ­l’Antiquité. Ce n’est pas sur le plateau de Gizeh, mais bien à Dahchour que les pharaons du Moyen ­Empire (2033-1786 av. J.-C.) Amenemhat II, Sésostris III et Amenemhat III choisirent en effet d’établir, près de sept siècles plus tard, leurs sépultures, inscrivant ainsi leur règne dans la continuité de celui de Snefrou.

Plus encore, à cette époque, ce ­dernier avait été divinisé et recevait un culte en Moyenne-Égypte. La ferveur régnant ­autour du dieu Snefrou était telle que de nombreux parents donnaient alors à leurs enfants un nom composé sur le sien : plus d’un millénaire après sa mort, des petits Snefrouménou (« Snefrou-demeure »), Snefrouhotep (« Snefrou-est-apaisé ») couraient ainsi sous le soleil d’Égypte.

De manière plus officielle, associé aux mines et aux carrières, le dieu Snefrou fut aussi adoré par les ouvriers royaux qui ­extrayaient de la turquoise sur le site du ­Sérabit ­el-Khadim, dans le Sinaï. C’est toutefois la littérature qui assura sa postérité au sein de la culture égyptienne. Snefrou joue en effet un rôle central dans l’un des contes du papyrus Westcar daté du milieu du 2e millénaire av. J.-C. Ce récit met en scène le roi se promenant paisiblement dans une barque aux rames manipulées par des jeunes filles.

Or, au milieu des rires et des jeux, la plus belle de ces rameuses laissa filer à l’eau un bijou en forme de poisson. Convoqué par le roi, un magicien parvint à ouvrir les eaux du lac en deux et à retrouver le précieux objet qui gisait par le fond. Le roi put alors reprendre ses activités et « passer la journée entière en réjouissances ». Léger, recourant volontiers à la magie, le Snefrou des contes égyptiens n’a décidément rien à voir avec la redoutable opiniâtreté que l’on devine chez celui qui parvint, à force d’efforts, à reposer au cœur de la première pyramide à faces lisses d’Égypte. 

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