À quoi ressemblait vraiment Jésus de Nazareth ?

Brun, barbu, traits fins... Pour représenter Jésus de Nazareth, les artistes ont été influencés par les premières icônes byzantines datant du IVe siècle.

De Julie Lacaze

Dans les Évangiles, pas une ligne sur l’aspect physique de Jésus. Une physionomie a fini par se répandre et s’imposer, qui perdure jusqu’à nos jours : un homme mature, au nez fin, barbu, portant des cheveux longs et la raie au milieu. Ce portrait sort, en fait, de l’imagination d’artistes byzantins du IVe siècle.

À partir du Ve siècle, des légendes autour de tissus censés avoir conservé la trace de la figure du Christ et, sept siècles plus tard, une lettre redécouverte d’un contemporain de Jésus (Publius Lentulus) détaillant son aspect physique, conforteront cette représentation. Mais les artistes ont, malgré tout, laissé libre cours à leur créativité, faisant évoluer le portrait du sauveur chrétien au gré des époques. 

Retour sur l’histoire de la représentation de Jésus en sept œuvres d’art, commentées par François Bœspflug, théologien, historien de l’art et des religions, auteur d’un livre de référence sur le sujet, Dieu et ses images. Une histoire de l’Éternel dans l’art (Bayard).

 

LE DIEU SOLEIL

Mosaïque de pavement, mausolée des Julii, nécropole préconstantininenne, IIIe siècle, Rome, Vatican, basilique Saint-Pierre.
PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia, CC0

François Bœspflug : Le christianisme s’est répandu dans le Bassin méditerranéen sans recourir aux images. Les raisons ? La religion émergente voulait se distinguer de l’idolâtrie romaine. Le judaïsme, auquel était affilié les premiers chrétiens, interdisait également les représentations de Dieu. Le Christ n’étant plus sur terre, son portrait devait rester inaccessible. Les premiers chrétiens considéraient également que l’important était de suivre son enseignement, et non d’en faire le portrait. Enfin, la situation économique précaire et la clandestinité des premières églises ne permettaient pas de financer les œuvres d’art.

Les premières représentations de Jésus, peu nombreuses, datent donc du IIIe siècle. On retrouve des peintures murales ou sur des sarcophages, et des mosaïques dans les catacombes de Rome (de Domitille, de saint-Calixte, etc). Dans ces représentations, Jésus ressemble à un Romain : rasé de près, cheveux court, habillé d’une toge, visage juvénile. Sur la mosaïque, il prend les traits d’une divinité romaine : une sorte de dieu Soleil triomphant sur son char. Sur d’autres fresques, il est représenté tantôt en bon berger, tantôt en guérisseur. Et souvent en action : c’est l’avènement du genre narratif. Les mosaïques de pavement avec le Christ, comme ci-dessus, sont très rares.

Il en existe également une au British Museum, retrouvée à Hinton St Mary, aux Royaume-Uni, datant du IVe siècle. Mais les figures de Christ sur le sol vont progressivement disparaître : l’idée de marcher sur lui étant déplaisante pour les premiers chrétiens. 

 

LE SAGE GREC

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    L'Icône du monastère de Sainte-Catherine du Sinaï (Égypte) est l’une des premières icônes byzantines (VIe siècle) rescapée de la crise iconoclaste, période d’interdiction des représentations de Dieu, du Christ, de la Vierge et des saints.
    PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia, CC0

    François Bœspflug : Le christianisme aurait pu rester aniconique ou presque, comme le souhaitait notamment saint Augustin (354-430). Pourtant, une représentation du Christ va triompher et se propager dans le monde byzantin : l’icône hiératique du Christ Pantocrator (du grec : « maître de tout »). Jésus est représenté de face, le regard droit, immobile, digne et solennel.

    Dans sa main gauche, il tient le livre des Évangiles, et lève la main droite, un geste typique du rhéteur grec pour prendre la parole en public. Cette représentation emprunte l’image du philosophe grec enseignant à ses élèves. L’icône ci-dessus, datant du VIe siècle, est l’une des premières du genre, rescapée de la crise iconoclaste (autre exemple : le Christ et l’Abbé Mena, icône conservée au Louvre).

    Vers 730, constatant que ce type d’images se répand dans tout l’Empire byzantin, l’empereur Léon III l’Isaurien, probablement influencé par la culture islamique naissante, qui s’oppose aux représentations de Dieu, lance une guerre contre les icônes. On assimile alors la pratique à de l’idolâtrie. Durant plus de cinquante ans, les icônes sont détruites, et les artistes persécutés, exilés, torturés ou tués. Les rescapés fuient en Italie, dans le nord des Pouilles et en Sicile, où l’on retrouve encore aujourd’hui leurs œuvres dans de petites chapelles de style byzantin.

     

    LE PANTOCRATOR

    Mosaïque de la Déisis (XIIIe siècle) de la basilique Sainte Sophie, à Istanbul, représentant le Christ, est considérée comme le symbole de la renaissance de l’art pictural byzantin, après la crise iconoclaste.
    PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia, CC0

    François Bœspflug : Cette mosaïque est le chef de file d’une immense série de représentations artistiques de Jésus. Pour mettre fin au conflit iconoclaste, Irène, régente de l’Empire byzantin, convoque, en 787, un concile œcuménique (le deuxième concile de Nicée). Celui-ci légitime par décret la vénération des icônes. Commence alors une période faste, allant jusqu’au XIVe siècle, de représentation du Christ Pantocrator.

    Sur cette mosaïque, le livre de l’Évangile est fermé. Sur d’autres représentations, il est ouvert avec une phrase de l’évangile de Jean écrite en grec ou en latin : Ego sum via, veritas et vita (« Je suis la voie, la vérité, la vie »). À partir du Ve siècle, on invoque les légendes des voiles de Véronique et d’Abgar, semblables au suaire de Turin, laissant entendre que Jésus a laissé une impression miraculeuse (une image dite acheiropoïète : c’est à dire non faite de main d’homme) de son visage sur des tissus, pour justifier son apparence dans les icônes.

    Sur ces œuvres d’art, censément conformes aux voiles, un portrait se dessine : cheveux abondants, châtain roux, une raie au milieu, tombant sur les épaules, petite moustache et collier de barbe, petite bouche et belle arête nasale. Une lettre détaillant son apparence physique, censément écrite par Publius Lentulus, gouverneur de Judée au temps de Jésus, apparue au XIIe, va conforter l’idée d’une telle apparence du Christ. Émergent aussi d’autres formes artistiques reprenant les traits du Pantocrator : les Saintes Faces, des icônes représentant le visage de Jésus miraculeusement imprimé (à partir du VIe siècle), les Majestas Domini, des Christs trônant en majesté dans l’Au-delà (au Xe siècle) et les Salvador Mundi (vers le VIIIe siècle), un thème repris par Léonard de Vinci à la Renaissance.

     

    UN ADOLESCENT ANGÉLIQUE

    Le Salvador Mundi, peint par Léonard de Vinci vers 1500, a eu une influence considérable sur les peintres de la Renaissance.
    PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia, CC0

    François Bœspflug : Léonard de Vinci (1452 - 1519), génie de la Renaissance, ne laisse derrière lui qu’une vingtaine de peintures. Des œuvres peu nombreuses, mais qui ont considérablement influencé son époque. Ici, le Salvador Mundi (ce qui signifie « le Sauveur du monde »). Cette peinture a été achetée en décembre 2017 à New York par le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed ben Salamane, pour 450 millions de dollars, une vente record dans le monde de l’art.

    Dans cette représentation, Jésus tient dans sa main une fragile boule en verre à la place du livre des Évangiles. Celle-ci représente la totalité du cosmos, en même temps que la fragilité du monde, prêt à sombrer dans le néant sans son soutien. L’originalité de ce portrait ? Jésus a toujours un visage hiératique (regard fixe, dirigé droit devant lui), mais son regard donne l’impression d’une attention dirigée au-dedans.

    Léonard de Vinci l’a également représenté plus jeune. Il le dessinera, dans d’autres œuvres, adolescent, charmant et d’allure presque féminine, participant au rajeunissement de Jésus dans toute la peinture de la Renaissance. Sous l’influence de Léonard de Vinci, d’autres grands maîtres italiens ou français du Cinquecento ou du siècle suivant le dessineront en jeune homme libre, au regard très humain, entouré d’angelots, dans des décors naturalistes d’arbres et de ciel bleu. Émergera également une série de portraits de l’Enfant Jésus nu en Salvador Mundi, globe à la main et bénissant les foules. Mais, globalement, les représentations du Christ en croix (de Grünewald, par exemple) ou de la Trinité sont bien plus fréquentes à la Renaissance que les portraits de Jésus en Salvador Mundi.

     

    UN HOMME COMME LES AUTRES

    Tête du Christ (1648). Rembrandt aimait à peindre Jésus en homme ordinaire. Au sommet de son art, il exécutera plus de vingt portraits de ce type.
    PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia, CC0

    François Bœspflug : Rembrandt (1606 – 1669) a peint une vingtaine de portraits de Jésus. Sa vision du Messie est singulière. Celui-ci est représenté affranchi de tous ses attributs habituels et de son prestige : il n’a pas de nimbe (disque de lumière entourant habituellement son visage), pas de livre, pas de boule, et ne fait pas de geste de bénédiction. Son regard se porte sur le côté, contrairement au portrait hiératique. Le peintre souhaite montrer le Christ comme l’un de nous, un homme qu’on pourrait croiser au détour d’une rue ou dans un café.

    Pour être le plus proche possible du « vrai » visage de Jésus, Rembrandt a pris comme modèles, en les payant pour qu’ils posent dans son atelier, des juifs ashkénazes d’Amsterdam, où il vivait. On quitte complétement la figure impressionnante de Jésus des premières icônes. Le Christ de Rembrandt a une position modeste, passe inaperçu ou, par charité, évite de planter son regard dans le nôtre. Peut-être est-ce pour qu’on ne se sente pas jugé par lui ? Parmi tous les portraits de Jésus par Rembrandt, un seul regarde droit devant lui, celui d’un Christ ressuscité. Pour dessiner les traits de son visage, il reprend, malgré tout, les codes habituels (cheveux longs et bruns, barbe) en y ajoutant les caractéristiques de l’homme ordinaire, très poilu et doté d’un nez plus épaté.

    Globalement, à partir du XVIIe, il y a un foisonnement des représentations religieuses. En Europe occidentale, de plus en plus d’artistes parviennent à vivre de leur peinture, grâce à l’émergence d’une classe bourgeoise, qui développe un goût particulier pour les œuvres d’art (portraits, scènes religieuses ou mythologiques, paysages de ruines, intérieurs paysans...). Les peintures de Marie et de la Vierge à l’enfant ont également beaucoup de succès. Et, à l’image des portraits de Rembrandt, les œuvres s’éloignent de plus en plus de la représentation hiératique de Jésus.

     

    LE VISAGE DE L’ABSTRACTION

    Face du Christ Sauveur (1920), par Jawlensky, peintre russe (1864-1941).
    PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia, CC0

    François Bœspflug : Au début du XXe siècle, il y a chez quelques peintres un regain d’intérêt pour l’inspiration religieuse et le visage du Christ, avec des références explicites à l’art de l’icône. Le Russe Alexej von Jawlensky a peint de nombreuses Saintes Faces jusqu’en 1937, quand l’arthrose l’oblige à cesser de peindre.

    Ces portraits voient le jour dans un contexte de conflit artistique entre la figuration et l’abstraction. Jawlensky fait ici un compromis : Jésus n’a pas beaucoup de chair (abstraction), mais est très expressif (figuration). On peut lire sur son visage la concentration et le recueillement. À la même époque, Georges Rouault, un peintre français, est également fasciné par le visage du Christ. Il peindra plus de cinquante portraits de style plus figuratif.

    Il est instructif de constater que, dans un monde secoué par une révolution intellectuelle et artistique (Marx, Freud ou Nietzche), globalement hostile à la religion, des artistes se sont passionnés pour la Face de Jésus. Comme par une sorte de retour du refoulé. Cela nous rappelle que l’art ne suit pas toujours les révolutions et les modes.

     

    SON VRAI VISAGE RECONSTITUÉ ?

    En 2002, reconstitution en 3D du visage du Christ par Richard Neave à partir d’un crâne datant du Ier siècle retrouvé à Jérusalem.
    PHOTOGRAPHIE DE GettyImages

    François Bœspflug : Richard Reave, un « artiste médical », a reconstitué en 3D le visage de Jésus à partir d’un crâne trouvé à Jérusalem, datant du Ier siècle. Résultat : un portrait robot assez banal d’un Palestinien de l’époque. Mais le procédé semble un peu artificiel et surtout il est permis de douter de sa pertinence. 

    En réalité, la société, au temps de Jésus, était tout aussi métissée qu’aujourd’hui, connaissant des migrations importantes de population. Il paraît donc assez vain de penser que l’on peut obtenir un faciès typique des hommes de l’époque à partir d’un crâne pris au hasard. S’il est plausible que les archéologues savent reconstituer une lampe à huile, une pièce de monnaie, et dater des objets, peut-on pour autant les croire quand ils prétendent retrouver un visage ?

    Quoi qu’il en soit, pour les croyants et les historiens qui s’intéressent à Jésus, savoir s’il était blond ou brun, petit ou grand, n’a pas vraiment d’importance, en comparaison à l’intérêt porté aux actes de sa vie, à ses gestes et à ses paroles, assurément plus originales que son allure. Celle-ci n’a pas frappé ses disciples, qui n’en disent mot. Ce sont ses enseignements et ses façons de faire et d’être qu’ils ont eu à cœur de transmettre, et non sa taille, ou la forme de son nez. 

     

    François BŒSPFLUG, théologien et historien de l’art et des religions, est professeur émérite de l’université de Strasbourg. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur Dieu dans l’art, depuis Dieu dans l’art (Ed. du Cerf, 1984), jusqu’à Dieu et ses images. Une histoire de l’Éternel dans l’art (Bayard, 2008, 3è éd. 2017).

     

    Dans le numéro de décembre 2017 du magazine National Geographic, l’histoire de Jésus, étudiée de près par des archéologues et des historiens.

     

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