Sur les traces d’Ibn Battuta : le Maroc

Le Maroc est le point de départ et d’arrivée des pérégrinations de l’explorateur Ibn Battuta. Il nous était donc indispensable, pour marcher dans ses pas, de commencer notre voyage au Maroc, où se mêlent influences berbères, arabes et européennes.

De Romy Roynard
Publication 22 nov. 2018, 17:26 CET
Depuis des siècles, les hautes murailles du fort d’Essaouira assistent impassibles à la danse quotidienne entre ...

Depuis des siècles, les hautes murailles du fort d’Essaouira assistent impassibles à la danse quotidienne entre les pêcheurs de crabes et les mouettes goulues.

PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

Comment conter l’histoire d’Ibn Battuta sans s’étendre sur son Maroc natal, terre de contrastes, de paysages riches et infinis, de couleurs dansantes et chatoyantes ?

À l’âge de vingt-et-un ans, Ibn Battuta, simple pèlerin en partance pour la Mecque, quitte en 1325 la ville de Tanger où il a passé toute son enfance et son adolescence sous la dynastie des Mérinides. Le Maroc est alors dirigé par cette puissante dynastie qui après quelques-unes des plus belles réalisations artistiques et culturelles de l’histoire du pays, est mise à mal par une série de querelles de succession, de mutineries et de révoltes populaires, notamment à Ceuta et Tanger.

Le jeune homme a étudié le droit coranique et en quittant Tanger pour faire le haji, le pèlerinage que font les musulmans pour se rendre dans les lieux saints de la ville de La Mecque, en Arabie saoudite, il a à cœur de ponctuer son voyage de rencontres au sein de la communauté musulmane. Au XIVe siècle, l’Afrique du Nord est considérée par les penseurs musulmans comme une région où la religion est demeurée unifiée et pure, préservée des divisions qui apparaissent dans le monde musulman, notamment en Arabie et en Perse.

C’est d’ailleurs son attrait pour l’unité de la pratique religieuse, sa maîtrise de la langue arabe, la place alors occupée par l’Islam et l’essor du commerce dans le monde musulman qui permettront à Ibn Battuta de parcourir une distance extraordinaire de 120 000 kilomètres au sein de contrées dans lesquelles des valeurs et des croyances communes lui donneront le sentiment d’être toujours le bienvenu. Une position favorable à faire pâlir d’envie Marco Polo, son contemporain, qui explorait des contrées éloignées avec lesquelles il ne partageait rien, et dans lesquelles il était un étranger.

Après vingt-quatre années de pérégrinations, Ibn Battuta revient au Maroc en 1349 pour quelques temps seulement, avant de partir pour Grenade où sa route finit par croiser celle d’Ibn Juzayy à Grenade. C’est à ce poète, historien et juriste de l'Al-Andalus qu’Ibn Battuta narre ses voyages dans le recueil Tuḥfat an-Nuẓẓār fī Gharāʾib al-Amṣār wa ʿAjāʾib al-Asfār (littéralement « Un cadeau pour ceux qui contemplent les splendeurs des villes et les merveilles des voyages »), communément désigné comme les Voyages.

De retour au Maroc en 1350, il réalise combien son propre pays lui est étranger. Il décide alors de le redécouvrir, avec ses yeux d’explorateur averti.

Illustration tirée du livre de Jules Verne "Découverte de la terre" réalisée par Léon Benett et représentant l'explorateur Ibn Battuta.
PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons, Léon Benett

Sept siècles plus tard, nous suivons le photographe Yan Bighetti de Flogny, qui s’est lancé sur les traces d’Ibn Battuta pour raconter le monde musulman moderne. Son reportage commence tout naturellement en mars 2018 à Tanger, ville de naissance d’Ibn Battuta et ville moderne rythmée par sa scène artistique et sa jeunesse. En déambulant dans la médina, sur la place du Grand Socco, il est bercé par le son des langues vivantes qui se croisent et s’entrelacent. L’anglais fait écho à l’arabe et au français, à la chaleur et la générosité des sourires partagés. Tenues traditionnelles et tenues plus modernes se juxtaposent pour former un tableau photographique singulier.

Un peu plus loin, des enfants courent, chahutent, jouent au foot près du café Baba, point de rendez-vous de la jeunesse bohème dans la médina. Le rose, le blanc, le bleu et le rouge apportent par touches de la vie et du mouvement aux photos prises comme autant d’instants volés.

Non loin de là se trouve la tombe d’Ibn Battuta, un petit mausolée perdu dans les rues de la médina. C’est un lieu de recueillement, auquel l’équipe espère revenir après son reportage au long cours dans les trente-huit pays visités par l’explorateur marocain.

Mais le Maroc du XIVe siècle ne se résumait pas à Tanger. L’équipe se rend donc à Chefchaouen, située dans les montagnes du Rif, au nord-ouest du Maroc. Célèbre pour les tons bleus vifs qui égayent la vieille ville, elle est devenue très touristique. Pour prendre le contrepied du rythme dicté par les nombreux touristes, Yan Bighetti de Flogny et Damien Steck, le réalisateur, décident de photographier Basma Azmate, Lamya Mellouk, Safae Houbbane, trois jeunes femmes vêtues de haïks traditionnels blancs. Leurs yeux nous sourient et nous invitent à les suivre dans le dédale de la medina.

Rencontre d’un autre temps dans les ruelles de Chefchaouen, la cité bleue. Lestrois femmes portent ici l’haïk, vêtement traditionnel maghrébin principalement répandu en Algérie. Cette mythique tenue vestimentaire est aujourd’hui en voie de disparition.
PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

À trois heures de route de là, Fès a su garder une énergie authentique. La ville ravit les cœurs de nos reporters qui choisissent de poser leurs trépieds dans la Madrasa Bou Inania, une médersa (université théologique musulmane) construite entre 1350 et 1355 pour le sultan Abou 'Inan Faris, membre de la dynastie des Mérinides. Des hommes sont en train de faire une ablution dans un bassin dans lequel se reflète l’architecture d’une élégance et d’une richesse rares. Le cadre est intimiste, comme hors du temps.

Groupe d’hommes au bord du bassin aux ablutions de la medersa Ali Ben Youssef. Construite dès le XIVème siècle, la madrasa fut agrandie sous le règne des Saadiens pour devenir le plus grand collège islamique du Maghreb. Jusqu’à 900 étudiants y auraient vécu pour étudier la théologie et le droit. Aujourd’hui les décors somptueux de zelliges, de stuc et de bois attirent les touristes du monde entier.
PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

Le lendemain, Yan et Damien ont rendez-vous avec l’imam de la mosquée de Karaouiyine, emblème de la ville de Fès et l’une des plus anciennes et des plus illustres du monde musulman. Citée par Ibn Battuta dans ses Voyages, elle est aujourd’hui encore considérée comme l’un des principaux centres spirituels et intellectuels de l’Islam. L’équipe a le privilège de pouvoir photographier ce lieu de culte pendant une heure, qu’elle passe à photographier les fidèles s’adonnant à la pratique de leur foi.

Héros ordinaires : le Maroc

Quelques heures de route plus tard, Ahmed Ouali Ibrahimi, un nomade de Merzouga, petite ville marocaine située dans le désert du Sahara, près de la frontière algérienne, nous ouvre les bras. Ahmed se présente comme héritier d’une tradition nomade, mais leur maison en dur donne à leur quotidien des aspects de sédentarisation au milieu du désert. Avec son fils Omar, ils circulent autour de cette maison pour nourrir leurs chèvres dans un rayon s’étendant sur deux ou trois jours de marche. Ahmed nous emmène chez lui, nous présente sa mère et son épouse. « Lassé du voyage, je me suis posé définitivement » sourit-il. « Au décès de mon père, j’ai beaucoup pleuré. J’étais perdu. Mais j’ai pris conscience que j’avais tout et que je n’avais aucune raison de pleurer. Même si la vie au village est difficile, nous y sommes habitués. C’est un endroit merveilleux ». Il se réjouit de la pluie qui cette année a mis fin à une longue sécheresse, comme si l’eau s’était aussi infiltrée dans les cœurs pour les adoucir.

Le voyage marocain se termine par des escales à Taroudant, Essaouira et Casablanca. Tour à tour les planches de surf des plages de Taroudant laissent place à la nature sauvage, aux essences de poissons et aux embruns si caractéristiques d’Essaouira, puis aux anciens abattoirs de Casablanca, transformés en espace culturel d’art urbain où se retrouvent les graffeurs et les jeunes générations, conscients de la nécessité d’ouvrir la voie à ceux qu’ils précèdent.

Hussein, Ayman et Ali, prêts à prendre la vague sur les rives de Taghazout, nouvel eldorado des surfeurs. Fréquenté par les hippies dans les années 70, le lieu est devenu une destination fétiche de la jeunesse marocaine attirée par les kilomètres de front de mer et les guest houses bobos qui éclosent sur la côte.
PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

Ibn Battuta a passé les premières années de sa vie au Maroc ; il y a aussi passé les dernières de son existence. Après avoir quitté l'Empire du Mali, il traverse le désert en 1353 pour rejoindre son Maroc natal, où il finit sa vie, enfin sédentaire et apaisé.

Il meurt à Marrakech en 1377. Il dépeignait ainsi l’actuelle capitale du Maroc, alors abandonnée par les Mérinides au profit de Fez : « C’est là l’une des plus belles cités que l’on connaisse ; elle est vaste, occupe un immense territoire et abonde en toutes sortes de biens.  On y voit des mosquées magnifiques, telle que sa mosquée principale appelée la mosquée des Libraires (Al Kutubiyya). On y voit aussi une tour extrêmement élevée et admirable ; j’y suis monté et j’ai aperçu de ce point la totalité de la ville.  Malheureusement, cette dernière est en grande partie ruinée, et je ne puis la comparer qu’à Bagdad sous ce rapport mais à Bagdad les marchés sont plus jolis ».   

Le début et la fin de l’histoire d’Ibn Battuta se rejoignent en un point final, que nous nous attacherons, nous aussi, de tracer en marchant dans ses pas.

 

« Sur les traces d'Ibn Battuta » est un projet d'exploration artistique porté par l’Association Al Safar en partenariat avec l’UNESCO et le Misk Art Institute. Le photographe et directeur artistique Yan Bighetti de Flogny et le réalisateur Damien Steck reconstituent le voyage légendaire de l'explorateur marocain du 14e siècle, Ibn Battuta, afin de témoigner en images de la diversité des cultures et des communautés d’Islam à travers 38 pays.

Le projet souhaite mettre à l'honneur la jeunesse, l'innovation et la création dans les pays traversés.

Retrouvez le projet sur FacebookInstagram et Twitter et sur les hashtags suivants : #IbnBattuta #AlSafar #FollowAlSafar

Directeur artistique et Photographe : Yan Bighetti de Flogny (Retrouvez-le sur Facebook)

Réalisateur : Damien Steck

 

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