Gabriela Hearst a fait rentrer la conscience climatique dans la haute couture
La créatrice de mode, qui a dirigé la maison de luxe Chloé de 2020 en 2023, est parvenue à ancrer son travail dans une démarche environnementale.

Gabriela Hearst photographiée par Joyce NG dans ses ateliers à Manhattan, à New York.
Cet article fait partie de la série de portraits National Geographic 33.
« Ces cintres en carton recyclé que vous voyez, indique Gabriela Hearst, le doigt pointé, nous avons été parmi les premiers à les élaborer. » L’aversion de la styliste pour le plastique vaut généralement la poubelle à l’indigne matériau.
Aujourd’hui, celle qui a grandi dans un ranch en Uruguay et lancé sa marque éponyme il y a dix ans, incarne le luxe tranquille. Celle qui a été à la tête de la maison parisienne Chloé pendant trois ans est souvent considérée comme la créatrice la plus soucieuse du climat. Elle fait plus que s’intéresser aux stocks dormants de tissus et utilise son statut dans les débats sur le climat.
En 2023, elle a pris la parole à la COP28 aux côtés de hauts responsables environnementaux et politiques, tel John Kerry, l’envoyé spécial pour le climat de l’ancien président américain Joe Biden. Si elle comprend bien le drapé d’un pull, elle débat aussi des sources alternatives d’énergie.

Gabriela Hearst photographiée par Joyce NG dans ses ateliers à Manhattan, à New York.
Gabriela Hearst a déménagé à New York quand elle avait une vingtaine d'années, pour y faire ses études, puis a cofondé une petite marque de vêtements appelée Candela. Elle a donné un nouvel élan à sa carrière de créatrice en 2015 en lançant sa marque éponyme, un label si haut de gamme qu’il a été comparé à des maisons comme Hermès. À mesure que son entreprise gagnait en taille et en notoriété, les questions liées à l’impact environnemental sont devenues plus pressantes.
Lors d’un voyage en 2017 dans une région du Kenya touchée par la sécheresse, elle s’est retrouvée confrontée à l’excès de la culture consumériste occidentale : « Vingt millions de personnes [en Afrique de l’Est] risquaient la famine, et cela ne faisait pas la une des journaux », se souvient-elle. « Ils paient le prix de notre mode de vie. Cette injustice m’est restée en tête, impossible ensuite de l'ignorer. » Elle a alors redoublé d’efforts pour ancrer son travail dans une démarche environnementale : en 2020, peu avant de rejoindre Chloé, elle a organisé le tout premier défilé de mode neutre en carbone de l’industrie.
Pour la plupart des créateurs, être nommé à la tête d’une grande maison européenne comme Chloé représente le but d'une vie. Mais pour Hearst, qui a été directrice artistique de la maison de 2020 à 2023, c’était aussi une occasion d’expérimenter et de mettre en pratique ses convictions au service une marque emblématique.
En moins d’un an, elle a contribué à transformer Chloé en entreprise certifiée B Corp — un label qui distingue les sociétés poursuivant des objectifs sociaux ou environnementaux, au-delà de la simple recherche de profit. Chloé a ainsi été la première maison de luxe à obtenir cette certification. Lorsqu’elle a présenté ses dernières collections pour la marque, chacune d’entre elles s’articulait autour de grands thèmes liés à la notion de « réussite climatique » : la première portait sur la régénération, la deuxième sur l’énergie (et plus précisément la fusion), la troisième sur l’autonomisation des femmes, et la quatrième sur la pleine conscience pour passer à l’action. Elle s’est habituée aux regards sceptiques ou moqueurs que ces choix suscitaient.
Ce pari s’est révélé payant : Hearst a réussi à augmenter le chiffre d’affaires de Chloé de 65 % durant son mandat et à ramener les pertes de l’entreprise à zéro. Elle a aussi introduit un nouveau système d’emballage pour la marque — un changement qui pourrait sembler symbolique, jusqu’à ce qu’on en mesure les répercussions. « Les cintres recyclés me rendent vraiment fière, car des personnes avec qui j’ai travaillé sont aujourd’hui dans d’autres postes, dans des entreprises qui valent plusieurs milliards, et elles changent aussi les cintres là-bas », raconte-t-elle.
Aujourd’hui, Gabriela Hearst se recentre sur sa propre marque, finalisant l’ouverture d’une nouvelle boutique à Paris et préparant l’ouverture de deux autres boutiques au Japon. Ces magasins suivront les mêmes principes qui ont toujours défini l’expérience Gabriela Hearst : pour limiter les excès, elle n’investit ni dans le marketing digital, ni dans les vitrines, ni dans les mannequins en magasin.
C’est ainsi qu’elle conçoit le luxe : une vision qui commence doucement à imprégner la conscience de ses clients. Des clients qui ne viennent pas seulement vers la marque pour convoiter un manteau en cachemire impeccable ou un sac Nina iconique. L’idéologie prend désormais le dessus. « Les anecdotes les plus gratifiantes, poursuit-elle, sont celles où j’entends une cliente dire au personnel qui s’apprête à utiliser un de nos magnifiques emballages : “Oh non, merci, Gabi préférerait qu’on ne prenne pas l’emballage en plus.” »
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic d'avril 2025. S'abonner au magazine.
