Pour l'entrepreneur turc Hamdi Ulukaya, "les réfugiés rendent les entreprises plus fortes"
Pour cet entrepreneur qui a quitté la Turquie pour les États-Unis avant de devenir un magnat du yaourt, faire le lien entre réfugiés et entreprises participe à un cercle vertueux.

Hamdi Ulukaya et sa fille, Leyla, photographiés par Jonas Fredwall Karlsson chez eux, à Norwich, dans l’État de New York.
Cet article fait partie de la série de portraits National Geographic 33.
Fils de bergers nomades et membre de la minorité ethnique kurde de Turquie, Hamdi Ulukaya fut le premier de sa famille à aller à l’université. C'était au début des années 1990, une époque marquée par des tensions accrues entre les forces gouvernementales et les séparatistes kurdes. Ulukaya fonda un journal dans lequel il dénonçait les abus des droits humains auxquels étaient confrontés ses compatriotes kurdes. Un jour, il se souvient avoir été emmené en garde à vue. Il n’a été détenu qu'une nuit, mais cette expérience l'a convaincu qu'il devait quitter le pays. « J'ai été forcé de partir », dit-il. « Je ne suis pas parti parce que je rêvais d’aller en Amérique. »
Il s'est rendu dans une agence qui l’a aidé à être transféré à l’Université Adelphi, à Long Island, dans l'État de New York, où il a appris l'anglais. Finalement, il a commencé son parcours entreprenarial en important du fromage feta produit par sa famille, et en 2005, il a lu qu'une usine de yaourt était à vendre près de la ville d'Utica. Soudain, il a eu une vision : il allait créer sa propre entreprise pour fabriquer du yaourt à la turque, épais et acidulé. Il n’avait pas vraiment d’argent, ni de formation en conduite d'affaires. Mais il a réussi à obtenir un prêt et a lancé Chobani (qui signifie « berger » en turc). Sept ans plus tard, l’entreprise réalisait un milliard de dollars de chiffre d'affaires.
Ulukaya pense souvent aux autres qui arrivent dans aux États-Unis ou ailleurs en fuyant la persécution. C’est ce qui l’a amené au centre pour réfugiés à Utica, où il a rencontré des personnes de seize nationalités différentes. « La seule raison pour laquelle ils ne travaillent pas, c’est qu’ils n’ont pas de permis de conduire ni de voiture », dit-il. « Et ils ne parlent pas la langue. Je me suis dit, "C'était pareil pour moi." » Il a embauché cinq réfugiés, puis dix, puis 300, des Somaliens, des Népalais et des Afghans. Plus de vingt langues étaient parlées à l’usine de yaourts, mais il sentait que, d'une manière ou d'une autre, sa main-d'œuvre était unie.

Ulukaya pose avec Luci Felix, à gauche, tandis que Yuliia Pushak prend une photo et Narayan Gurung, à droite, observe à l’usine Chobani de New Berlin, dans l'État de New York. Ils travaillent dans l’établissement et sont des réfugiés.
Peu après l'explosion de la crise des migrants en Europe en 2015, Ulukaya a renforcé son engagement. « La seule façon de sortir ce sujet de la politique est que les entreprises s'y impliquent », dit-il. Il a fondé une organisation à but non lucratif, le Tent Partnership for Refugees, qui a depuis aidé des dizaines de milliers de personnes déplacées à trouver un emploi dans le monde entier, y compris chez Airbnb, Mastercard, UPS et Ikea. « Notre argument, c’est que vous ne trouverez pas de personnes plus loyales, travailleuses et déterminées pour travailler dans votre entreprise », affirme Ulukaya. « Elles n’oublieront jamais que vous leur avez donné une chance. »
Récemment, Tent a commencé à mettre en relation des personnes déplacées, notamment des personnes LGBTQ, avec des mentors queer et d'autres alliés dans le monde de l'entreprise, et à connecter les réfugiés afghans avec des vétérans militaires américains, une sorte de jumelage qu’Ulukaya qualifie de « magique ». Ce genre d'alchimie est, selon lui, le secret du succès de Chobani. « Tout ça est arrivé parce qu’au début, j’ai pris la décision de laisser tout le monde faire partie de ce projet. »
La mission de Tent est aujourd’hui plus essentielle que jamais. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, un nombre record de 122 millions de personnes à travers le monde ont été déplacées de force. Ulukaya aimerait pouvoir aider encore plus de réfugiés. Il pense souvent à deux employées en particulier, des sœurs afghanes qui ont fui leur pays après que leur père a été tué. « Je le dis haut et fort : je ne donne jamais un coup de main », affirme Ulukaya. « Je donne du travail. »
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic d'avril 2025. S'abonner au magazine.
