Reportage en Gagaouzie, une région autonome aux traditions menacées

Comme sortis des cendres des anciens Empires, les résidents de Gagaouzie luttent chaque jour contre la pauvreté et pour faire perdurer leurs culture et traditions.

De Alexandra Genova
Photographies de Julien Pebrel
Publication 9 nov. 2017, 02:23 CET
Un homme s'occupe de l'un de ses chevaux suite à son dressage au haras de Konstantin ...
Un homme s'occupe de l'un de ses chevaux suite à son dressage au haras de Konstantin Kelesh. Konstantin Kelesh est un éleveur de chevaux qui fait partie de la quatrième génération de la famille Kelesh. Ces chevaux font la fierté des Gagaouzes.
PHOTOGRAPHIE DE Julien Pebrel

Depuis des décennies, la question de l'indépendance pèse sur la région autonome de Gagaouzie, située en Moldavie. Bien que les Gagaouzes soient extrêmement pauvres et que leur survie dépende de l'agriculture, ils chérissent profondément leur langue et leur culture. Si les terres régissent leur vie, c'est un désir ardent d'identité qui gouverne leurs cœurs.

Julien Pebrel, photographe qui a rendu compte de la Gagaouzie pendant trois mois, a d'abord été attiré par le mystère autour de cette question d'indépendance non résolue. « Il m'a suffit d'entendre le mot "Gagaouzie" aux côtés d'autres mots tels que "autonome", "territoire divisé" et "bergers" pour être intrigué et obsédé par l'envie d'aller y faire un tour », a-t-il expliqué à National Geographic.

Cette petite région méconnue, composée de trois villes et de 160 000 habitants, est née d'une rivalité entre les empires ottoman et russe au 19e siècle. Si les plaines bucoliques prennent vie au printemps et en été, les Gagaouzes entrent en léthargie l'hiver. Julien Pebrel a été témoin de l'évolution radicale du rythme de leurs vies au fil des saisons. « L'hiver y est rude », décrit-il. « Les températures descendent jusqu'à -10 °C voire -15 °C. Les rues sont vides. Les habitants restent chez eux et attendent patiemment l'arrivée du printemps pour pouvoir retourner travailler dans les champs. »

À travers ce projet, le photographe souhaitait tenter d'appréhender les composantes de l'identité gagaouze. Le peuple des Gagaouzes descend d'un mélange unique entre les ethnies turques et chrétiennes orthodoxes, bien que la religion « ne soit pas leur principale motivation ». Si leur gastronomie porte les marques d'une influence turque et que leurs vêtements laissent deviner une inspiration venue des Balkans, c'est leur langue, dérivée des langues oghouzes de la famille des langues turques, qui constitue le dernier élément distinctif de l'identité gagaouze. Encore aujourd'hui, rares sont ceux qui parlent le moldave, auquel il préfère le gagaouze ou le russe.

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    Dans une église d'Avdarma, une femme membre du chœur chante lors des festivités appelées « Hederlez », qui désignent les célébrations se tenant le premier jour de l'été.
    PHOTOGRAPHIE DE Julien Pebrel

    Il a semblé au photographe que les traditions gagaouzes revêtaient une signification puissante par le passé, mais que les « vieilles chansons entonnées fièrement par les femmes n'[étaient] plus chantées, que les costumes traditionnels n'[étaient] portés que lors de fêtes folkloriques et que les cérémonies traditionnelles [avaient] disparu ». La culture autrefois fièrement arborée semble avoir été délaissée par les nouvelles générations et pourrait bientôt tomber dans l'oubli.

    Cet attachement profond aux traditions déteint sur une vision de l'histoire contradictoire. La famine qui a frappé la Moldavie entre 1946 et 1947, l'un des épisodes les moins connus de la terreur d'État pratiquée sous Staline, a causé la mort d'environ 123 000 personnes. Or, elle semble n'avoir que très peu détérioré les relations entre les deux pays. Le photographe a rencontré et photographié des survivants gagaouzes. « J'ai rencontré deux survivants qui ont énormément souffert », raconte-t-il. « Pourtant, lorsque vous leur demandez quels sont leurs liens avec la Russie, ils vous répondent que les Russes sont leurs protecteurs et amis. Leur mémoire est sélective. »

    Alors que l'intégration dans l'Union Européenne semble de plus en plus probable pour la Moldavie, la Gagaouzie continue de chercher refuge chez ses amis russes et turcs. Malgré l'autonomie accordée à la région en 1994, les Gagaouzes sont « satisfaits dans la théorie, mais pas dans la pratique ». « Ils ont le sentiment que leur économie est complètement détruite par rapport à celle de la Moldavie », explique le photographe. « Ils vous diront tous que leur autonomie n'est pas respectée et qu'on devrait leur donner plus de pouvoir pour se développer. »

    Face à ces perspectives économiques peu glorieuses, l'agriculture est leur seule moyen de subsister. « Le matin, ils emmènent les moutons dans les champs. Ils reviennent ensuite pour s'occuper des poules et de leur jardin, qui leur apportera fruits et légumes », décrit le photographe. « Ils traient les vaches et fabriquent leur propre beurre, lait et fromage ». Si cela peut avoir des allures de conte de fées bucolique sur le papier, la réalité des Gagaouzes se résume à d'interminables épreuves et à une pauvreté rampante. « Ils n'apprécient pas leur vie », rapporte Julien Pebrel. « La nouvelle génération ne souhaite pas mener ce type de vie et préfère partir travailler à l'étranger. »

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      Près d'un lac, un berger veille sur ses moutons.
      PHOTOGRAPHIE DE Julien Pebrel

      En raison de la différence de valeurs entre les jeunes et les anciennes générations, l'avenir de l'autonomie de la région est incertain. « Les anciennes générations possèdent une langue et une culture auxquelles elles s'identifient », poursuit-il. « Mais elles en viennent à dire : "à quoi bon avoir notre autonomie alors que les jeunes générations sont incapables de parler le gagaouze et ne jurent que par le russe ?" »

      Les maisons de la culture, vestiges de l'époque soviétique, jalonnent la région : elles proposent des cours d'arts, de théâtre et de musique afin de sensibiliser les adolescents à l'identité gagaouze. Néanmoins, la plupart ne résistent pas aux appels de la vie moderne. « Si les nouvelles générations continuent de partir travailler en Russie et en Turquie, cette culture finira par disparaître », regrette le photographe.

       

      Julien Pebrel est un photographe basé à Paris et est représenté par M.Y.O.P. Agency. Vous pouvez retrouver son travail ici ou sur son compte Instagram. Ce reportage a été réalisé en collaboration avec la journaliste Anaïs Coignac.

      Retrouvez Alexandra Genova sur Twitter : @alexandraaa_cg

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