Avec les vendeurs itinérants de médicaments en Haïti

Pour de nombreuses personnes en Haïti, la seule façon de se procurer des médicaments, c’est de les acheter dans la rue. Pour les vendeurs, c’est un mode de survie.

De Arnaud Robert
Publication 28 nov. 2017, 15:08 CET
Claudine Jourdain, 33 ans, originaire du sud d’Haïti, vend des médicaments dans les rues animées de Port-au-Prince.
PHOTOGRAPHIE DE Paolo Woods et Gabriele Galimberti

« Vous voyez, je mets un paquet de pilules roses à côté d’un paquet de pilules bleues. Il faut que les couleurs aillent bien ensemble. Si ma présentation n’attire pas l’oeil, je n’aurai pas de client. » Aristil Bonord ajuste son seau en plastique bleu sur l’épaule tout en parlant.

À l’intérieur, une montagne de pilules multicolores en plaquettes alvéolées s’élève comme un totem. Une paire de ciseaux, pour partager les médicaments, est fichée au sommet. Le tout tient avec des élastiques.Depuis plus de vingt ans, Bonord parcourt les rues de Port-au-Prince avec cette Babel chimique. Mais il n’est pas pharmacien. Il est vendeur. Dans un petit appartement du quartier de Pacot, lui et d’autres marchands attendent que Paolo Woods et Gabriele Galimberti tirent leur portrait. Les deux photographes – qui travaillent ensemble sur un projet concernant l’accès aux soins dans une vingtaine de pays – sont depuis longtemps fascinés par les pharmaciens ambulants de la capitale. Ils expliquent que les dispensaires de rue sont la principale source de médicaments pour de nombreux Haïtiens. 

« Les pharmaciens sont une espèce en danger, avertit Lionel Étienne, un importateur local de médicaments. Les médicaments sont perçus comme un produit de consommation courante. » Techniquement, cette activité est illégale, mais le ministère de la Santé publique et de la population fait rarement appliquer la loi. L’absence de contrôle encourage des vendeurs dépourvus de connaissances, tel Aristil Bonord, à obtenir et vendre des produits pharmaceutiques : des médicaments génériques venus de Chine, des pilules périmées, des drogues trafiquées en provenance de la République dominicaine. Parfois, ils donnent de mauvais conseils à leurs clients, à l’exemple de ce vendeur qui recommandait à un adolescent des antibiotiques puissants pour traiter son acné.

« Chaque fois que je vois un vendeur de rue, j’ai l’impression de prendre une gifle, grommelle Flaurine Joseph, directrice de la pharmacie au ministère. Ce sont des bombes à retardement que nous n’avons quasiment aucun moyen d’arrêter. » Pour réaliser ces portraits, Paolo Woods et Gabriele Galimberti ont utilisé une chambre argentique grand format 20 x 25 et un appareil photo numérique moyen format. Un mur blanc leur servait de fond. 

En attendant d’être immortalisés, les vendeurs examinaient les marchandises de leurs voisins. Ils parlaient peu. C’était leur seul moment de répit dans une longue journée écrasée de soleil. Ils étaient contents de souffler, mais inquiets à la perspective de perdre des clients. Les deux photographes veulent que les gens se rendent compte que l’accès aux soins, considéré comme acquis dans les pays développés, est un défi dans de nombreux endroits. À Haïti, vendeurs comme acheteurs doivent se débrouiller. 

« J’ai choisi cette profession parce qu’ici les temps sont durs, souligne Aristil Bonord. Je veux que mes enfants aillent à l’école. Et tout le monde a besoin de médicaments. » 

 

Ce reportage a été publie dans le magazine National Geographic n° 213, daté de juin 2017.

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