En Inde, l’accès des femmes à un temple de l’État du Kerala divise

L’État indien du Kerala est ravagé par la violence suite à une décision de la Cour suprême du pays autorisant les femmes à accéder au temple de Sabarimala, défiant les traditions jugeant les femmes "impures".

De Priti Salian
Publication 10 janv. 2019, 13:06 CET
Des fidèles d’Ayyappa, la divinité hindoue vénérée du temple de Sabarimala, dans le Kerala, brandissent des pancartes représentant le gouverneur du Kerala en diable. Ils protestent contre la décision de cet État indien d’autoriser l’accès au temple pour les femmes dites « impures ».
PHOTOGRAPHIE DE Sanchit Khanna, Hindustan Times, Getty

Le sud de l’État indien du Kerala fait actuellement face à l’une des périodes de trouble les plus violentes de son histoire. Une personne a perdu la vie, plus de 100 autres ont été blessées et environ 5 800 individus ont été arrêtés ce mois-ci. Les États-Unis et le Royaume-Uni viennent d’émettre des avis aux voyageurs pour leurs citoyens en visite dans le Kerala.

La raison de cette violence ? L’entrée de deux femmes, désormais cachées, dans un temple vieux de 800 ans, qui était interdit depuis longtemps aux femmes menstruées. Cela fait suite à une décision rendue par la Cour suprême du pays. Voici un point sur ce que nous savons sur cette situation.

 

QUEL A ÉTÉ L’ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR DES MANIFESTATIONS ?

En septembre 2018, la Cour suprême de l’Inde a jugé que l’interdiction officielle empêchant les jeunes filles et les femmes âgées de 10 à 50 ans d’accéder au temple de Sabarimala dans l’État du Kerala, ou même d’emprunter l’une des deux routes processionnelles menant au temple, devait être révoquée. Le sanctuaire du 13e siècle, qui se trouve au sommet d’une colline au sein du parc national de Periyar, est dédié à la divinité hindoue Ayyappa. Il s’agit d’un lieu de pèlerinage populaire qui accueille plus de 50 millions de visiteurs par an.

Dans les mois qui ont suivi cette décision, plus d’une vingtaine de fidèles de sexe féminin ont tenté, sans succès, d’accéder au temple, faisant parfois face à une opposition violente de la part d’hommes et même de femmes qui leur bloquaient le chemin.

Puis, aux premières heures du 2 janvier dernier, l’avocate Bindu Ammani et la militante Dalit Kanakadurga, toutes deux âgées d’une quarantaine d’années, sont parvenues à gravir l’une des routes processionnelles menant à Sabarimala et à pénétrer dans le temple principal, passant inaperçues parmi la foule et protégées par quatre policiers en civil.

Quelques heures après que les femmes ont prié Ayyappa sous protection policière, le temple a été fermé pour « des rituels de purification », un acte qui viole la disposition constitutionnelle de l’Inde contre l’intouchabilité. À la suite de cela, des groupes hindous d’extrême-droite ont manifesté et les protestants ont jeté des pierres et lancé des bombes artisanales sur des policiers, provoquant une escalade de la violence dans la région.

 

POURQUOI LES FEMMES N’ONT PAS LE DROIT D’ENTRER DANS LE TEMPLE DE SABARIMALA ? EST-CE UN CAS UNIQUE ?

En Inde, il n’est pas rare que des femmes se voient empêcher d’entrer dans des lieux sacrés hindous pendant leurs règles par leur famille, qui les considère comme « impures ». Toutefois, la plupart des temples hindous ne disposent pas d’un règlement officiel interdisant aux femmes d’entrer. Sabarimala est singulier dans le sens où il fait partie des quelques temples qui interdissent depuis longtemps l’accès aux femmes menstruées, les dirigeants religieux des temples affirmant que ces dernières pourraient distraire une divinité célébrée pour avoir fait serment de célibat.

Bien qu’il existe d’autres temples dédiés à Ayyappa en Inde dans lesquels les femmes peuvent entrer, Rahul Easwar, un militant d’extrême-droite qui se bat pour le maintien de la position historique du temple de Sabarimala, défend l’interdiction en expliquant que chaque temple possède des procédures de culte uniques fondées sur le choix d’un « aspect particulier d’une divinité spécifique pour son culte », qui devrait être respecté.

 

L’INTERDICTION D’ENTRER DANS LE TEMPLE DE SABARIMALA CONCERNAIT-ELLE TOUTES LES FEMMES ?

Non, seulement les femmes considérées comme pouvant avoir des enfants. Le 18 décembre, après quelques difficultés, quatre femmes transgenres ont pu entrer dans le sanctuaire pour la première fois. Si cette autorisation a été perçue comme un pas en avant vers l’ouverture de l’accès à Sabarimala, elle renforce toutefois les discriminations à l’encontre des femmes menstruées qui sont considérées comme « impures. »

 

QUI EST À L’ORIGINE DE LA LEVÉE DE L’INTERDICTION D’ACCÈS AU TEMPLE POUR LES FEMMES ?

Le verdict de la Cour suprême a été annoncé 12 ans après que Bhakti Pasrija Sethi, avocate et secrétaire générale de l’Association indienne des jeunes avocats, et cinq de ses collègues ont déposé une requête contre l’interdiction.

C’est la révélation, en 2006, de l’actrice Jayamala, dévoilant être entrée dans le temple de Sabarimala sans se faire remarquer presque 20 années plus tôt, qui a poussé Bhakti Pasrija Sethi à formuler la requête. Lorsque la nouvelle a éclaté, les prêtres de Sabarimala ont tardivement « purifié » le temple, un acte qui a horrifié l’avocate. Sa demande adressée à la Cour suprême indiquait que les interdictions d’accès pratiquées, ainsi que les purifications réalisées après qu’une personne « impure » a pénétré dans le temple, constituaient des atteintes à la « dignité d’un être humain. »

 

POURQUOI LES RÉACTIONS SONT-ELLES SI VIOLENTES ?

Selon certains analystes politiques, les violences semblent orchestrées par des groupes nationalistes hindous d’extrême-droite, à l’instar du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), l’organisation mère du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti au pouvoir en Inde.

En s’opposant à la décision de la Cour suprême, et de Pinarayi Vijayan, le gouverneur de l’État du Kerala qui appartient au Parti communiste d’Inde (marxiste), le BJP se positionnerait comme le défenseur de la religion et le représentant de plus grandes factions de la société indienne en vue des élections législatives de 2019.

 

QUE VA-T-IL SE PASSER ?

Jusqu’à présent, la Cour suprême a reçu 49 demandes l’exhortant à revoir sa décision relative à l’autorisation d’accès des femmes au temple de Sabarimala. L’institution a accepté une audience, qui se tiendra le 22 janvier. Le temple est toujours légalement ouvert aux femmes. Selon les dernières informations, 10 femmes entrant dans la catégorie d’âge traditionnellement interdite d’accès auraient déjà prié au sanctuaire.

Rekha Raj, une militante Dalit de l’État du Kerala qui soutient activement l’accès au temple pour les femmes, indique qu’elle reçoit quelques fois par semaine des appels de femmes intéressées vivant aux quatre coins de l’État. « Il peut y avoir des obstacles, mais une attitude positive se propage chez les femmes », explique-t-elle.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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