« L'effet Bilbao » : les stars de l'architecture au secours des villes en déclin

Faire appel à de grands noms de l’architecture est-il suffisant pour relancer l’économie d’une ville ? Musées, palais des congrès, bibliothèques... L’impact réel de ces projets monumentaux a été étudié de près par des chercheurs.

De Julie Lacaze
Publication 2 mai 2019, 10:35 CEST
Musée Guggenheim Bilbao.
Musée Guggenheim Bilbao.
PHOTOGRAPHIE DE Adam Jones, licence Creative Commons

Un assemblage spectaculaire de pierre, de verre et de titane, s’étendant sur 24 000 m2 : en 1997, le célèbre architecte nord-américain Frank Gehry inaugurait en grande pompe le musée Guggenheim de Bilbao, dans le nord de l’Espagne. Installé sur la berge de la rivière qui traverse la ville, le bâtiment scintillant, abritant des œuvres d’art moderne et contemporain, a contribué à métamorphoser l’ancienne cité portuaire industrielle, sur le déclin, en un pôle culturel attractif. Ce phénomène fait aujourd’hui figure de modèle pour redynamiser une ville. Il a été surnommé : « l’effet Bilbao ».

Ces dernières décennies, un peu partout dans le monde, et notamment en France, urbanistes et politiciens ont tenté de reproduire cette dynamique, faisant appel à de grands noms de l’architecture pour ériger musées, bibliothèques ou palais des congrès, et tenter de relancer l’économie de villes ou de quartiers. C’est ainsi, par exemple, que sortirent de terre le Centre Pompidou-Metz en 2010, le Louvre-Lens en 2012, le Mucem à Marseille en 2013 ou encore le musée des Confluences à Lyon en 2014.

Mais l’effet Bilbao fonctionne-t-il vraiment ? De nombreux architectes et spécialistes de l’économie de la culture sont dubitatifs : les retombées économiques du musée du Louvre-Lens, installé dans l’ancien bassin minier des Hauts-de-France, par exemple, se font attendre. En outre, en 2014, dans la revue Regard critique. l’architecte Philippe Panerai remettait en doute la pertinence de « l’effet Bilbao » au sein même de la ville espagnole. Selon lui, la construction du musée aurait provoqué un fort taux d’endettement et n’aurait eu que peu d’effets économiques à long terme.

« L’effet Bilbao » s’apparenterait-il finalement à de la poudre aux yeux ? C’est la question que s’est posée une équipe de recherche, issue de diverses universités allemandes, dans la revue Urban Design. Jusqu’à maintenant, peu d’études d’impact avaient été réalisées pour évaluer son efficacité réelle sur les villes de petite et moyenne taille. Les chercheurs ont donc tenté d’analyser l'interaction entre le design du bâtiment, les facteurs économiques et les effets socio-culturels en se fondant sur trois exemples de constructions architecturales monumentales : le musée d’art de Graz (Peter Cook et Colin Fournier, 2003), un centre d’exposition multidisciplinaire doté d’une imposante façade en écran de verre, en Autriche ; le musée de vulgarisation scientifique Phæno (Zaha Hadid, 2005), bâtiment de béton et d’acier aux lignes futuristes, à Wolfsbourg, en Allemagne ; et le Centre de culture et des congrès de Lucerne (Jean Nouvel, 2000), associant une salle de concert, un espace multifonctionnel et un musée, au bord du lac des Quatre-Cantons, en Suisse. Pourquoi un tel choix ? Ces trois projets ayant été bâtis il y a environ quinze ans, il était donc possible d’appréhender leur incidence à long terme.

Façade ouest du Centre de culture et des congrès de Lucerne (KKL), réalisé par Jean Nouvel.
PHOTOGRAPHIE DE Photones, Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

Les conclusions sont en demi-teintes : les chercheurs en urbanisme ont certes constaté des effets positifs en matière de fréquence culturelle et touristique des villes, mais le retentissement socio-économique, en terme d’emplois, même dans le secteur touristique, n’est pas clairement établi. L’impact économique global semble également difficile à déterminer. Les auteurs de l’étude notent néanmoins une conséquence positive : la réalisation du Phæno à Wolfsbourg, notamment, a permis d’accroître la confiance des politiques et des administrations locales en leur propre capacité à dynamiser leur ville.

Dans les trois cas, les chercheurs ont surtout observé des changements intéressants en terme d’urbanisme. Selon eux, ces édifices exceptionnels ont favorisé le désenclavement de certains quartiers, auparavant isolés et peu dynamiques. À Graz, le musée a ainsi permis de reconnecter au centre-ville plusieurs secteurs délaissés ; le Phaeno a facilité l’intégration d’un quartier peu fréquenté, situé en face de la gare de Wolfsbourg ; enfin, à Lucerne, le Centre de culture et des congrès a contribué à renforcer les liens entre la campagne, située au sud de la rivière Reuss, et la ville, implantée principalement au nord de ses berges. Plus que le retentissement économique, ce sont ces changements structurels qui semblent constituer les effets favorables à long terme les plus tangibles de cette stratégie de développement des villes.

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