Sciences : les chercheuses veulent faire exploser le plafond de verre

En France, les femmes scientifiques, comme l’ensemble de la population féminine, subissent des discriminations.

De Taïna Cluzeau
Publication 18 déc. 2019, 19:07 CET
Christiane Schreiweis, post-doctorante à l’ICM, est membre du comité XX initiative, qui a l’ambition de lutter ...
Christiane Schreiweis, post-doctorante à l’ICM, est membre du comité XX initiative, qui a l’ambition de lutter contre les biais de genre. En 2016, elle a été lauréate du programme L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science, qui envoie chaque année des ambassadrices, des chercheuses, parler de leur métier dans les écoles.
PHOTOGRAPHIE DE DR

Trois ans après avoir obtenu leur doctorat, les chercheuses françaises touchent 7 % de moins que leurs homologues masculins et, à cette étape de leur carrière, elles sont 87 % à être embauchées contre 95 % des hommes. De plus, seuls 9 % des organismes de recherches ont une présidente à leur tête et deux tiers des fonctions de direction ou d’encadrement sont occupées par les hommes. Au sein de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), des chercheurs et chercheuses en neurosciences et des médecins en psychiatrie et neurologie ont créé en 2017 le comité XX initiative avec l’ambition de lutter contre les biais de genre qui mènent à ces discriminations. Depuis, ils ont remporté quelques victoires.

« En 2017, l’ICM comptait 63 % de femmes employées, mais seulement 10 % aux postes de direction. Nous avons été sévèrement avertis par le conseil consultatif scientifique, un jury  international et indépendant qui évalue notre organisation tous les cinq ans. Les inspecteurs ont pointé que ce déséquilibre était totalement inacceptable. C’est de là qu’est venue l’idée de créer ce comité », raconte Violetta Zujovic chercheuse à l’ICM. Grâce à leurs actions, les scientifiques ont notamment fait passer, en un an et demi, le nombre de femmes chefs d’équipe au sein de l’établissement de 25 à 31 %, la moyenne dans les organismes scientifiques en France étant de 30 % (Chiffres clés de l’égalité femmes-hommes 2019). La première étape pour le comité a été de réunir un maximum de données concrètes afin de comprendre sous quelles formes les discriminations se manifestent et quelles sont leurs causes.

« Les biais s’expriment dès le plus jeune âge », explique Christiane Schreiweis, post-doctorante à l’ICM et membre du comité XX initiative. À partir de 6 ans, les petites filles désignent déjà les hommes comme “plus brillants” et les femmes comme “plus gentilles”, et elles commencent à éviter les activités dites “pour les enfants très intelligents”. « Arrivées au lycée, les filles choisissent moins souvent les filières scientifiques alors qu’elles y excellent plus que les garçons », regrette-t-elle. Pour essayer de changer la donne, le programme L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science, dont elle a été lauréate en 2016, envoie chaque année des ambassadrices, des chercheuses, parler de leur métier aux élèves. « Une étude de 2018 a montré que ces interventions avaient un effet minime, mais tout de même significatif, dans le choix des études supérieures des élèves », note la chercheuse.

« Une fois qu’on s’engage dans la voie de la recherche, une des choses les plus importantes, c’est la visibilité, poursuit Christiane Schreiweis. Entre le doctorat et les post-doctorats, il faut réussir à entrer dans le cercle des chercheurs de son domaine. En effet, dans les critères d’évaluation pour obtenir des financements, figure toujours une catégorie correspondant à la notoriété. Si on est invisible, on est moins reconnu dans le domaine, donc moins susceptible de se voir attribuer un financement. » L’une des façons d’améliorer sa visibilité est d’avoir l’opportunité de présenter ses recherches devant ses collègues lors de conférences. Or les chercheuses se sont aperçues qu’à l’ICM seuls 25 % des conférenciers invités aux colloques de l’organisme étaient des femmes. Depuis le lancement du comité XX initiative, ce chiffre est passé à 44 %.  

Concernant les demandes de financement de projets, alors que les chercheuses représentent à peu près 50 % de la communauté scientifique tous domaines confondus, seuls 30 % des dossiers envoyés à l’Agence nationale de la recherche (ANR) le sont par des femmes. « Les femmes ne proposent un projet que lorsqu’elles sont sûres à 100 % de remplir tous les critères. Si ce n’est pas le cas, elles n’y vont pas. C’est le syndrome de la bonne élève », pointe Violetta Zujovic. L’ANR a d’ailleurs lancé une enquête pour établir les causes de cette sous-représentation.

Autre problématique, décrocher un poste fixe. À cette étape, les femmes sont confrontées à deux autres difficultés. D’abord le mentorat, c’est-à-dire le soutien des précédents directeurs de recherche via des lettres de recommandation, diffère selon que le candidat est un homme ou une femme. Violetta Zujovic note, entre autres, que ces lettres comportent quatre fois moins souvent la mention des publications écrites par la chercheuse et deux fois moins ses travaux de recherche. En revanche, elles évoquent sept fois plus leur vie personnelle. Les lettres de soutien aux chercheurs hommes, de leur côté, sont 16 % plus longues et utilisent des adjectifs plus valorisants comme “ accompli ”, “ indépendant ”, “ ambitieux ”, “ compétent ”, “ ingénieux ” alors que celles décrivant les chercheuses favorisent des termes tels que “ travailleuse ”, “ consciencieuse ”, “ attentive ”, “ chaleureuse ”, “ dévouée ”, des mots à la connotation plus émotionnelle. « Il est très important de relire les lettres de recommandation que l’on écrit en ayant ces biais en tête et d’être bien conscient qu’ils concernent tant les hommes que les femmes. Moi-même, je tombe parfois dans le piège des stéréotypes », insiste la neurobiologiste. Deuxième discrimination : à curriculum identique, les hommes sont jugés plus compétents et plus adaptés au poste à pourvoir. On leur propose aussi un salaire de départ plus important. « Pour obtenir un poste, les femmes doivent donc être plus qualifiées que leurs homologues », en conclut Violetta Zujovic.

« Tous ces biais sont implicites, ils émanent de la culture dans laquelle nous grandissons et, même en étant neuroscientifiques, en connaissant l’existence de ces biais, on ne les a pas remis en question pendant des années, pointe Violetta Zujovic. Néanmoins, une fois que l’on a réuni les preuves de ces discriminations et que l’on a confronté les chercheurs à cette réalité, les choses ont commencé à bouger. Les chercheurs ont changé leurs habitudes. » En plus de communiquer sur les faits, le comité XX initiative a mis en place des formations pour développer, chez les femmes, les qualités requises dans le monde de la recherche. Il s’agit notamment de renforcer la confiance en soi et de se départir du syndrome de l’imposteur, ce sentiment partagé par beaucoup de femmes de ne pas mériter un poste. Le comité est aussi consulté pour les prises de décisions, en particulier celles qui touchent aux ressources humaines. Enfin, en 2020, il organise un grand atelier sur les biais implicites, afin de développer de nouvelles actions susceptibles de les réduire.

 

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