Condamnés à mort à tort : quand la justice est défaillante
Depuis 1973, plus de 8 700 personnes ont été condamnées à mort aux États-Unis. Plus de 1 500 ont été exécutées. 182 des condamnés étaient innocents. Voici le récit de quelques erreurs judiciaires.

Albert Burrell : paroisse d'Union, Louisiane. Treize ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 2001. En 1996, en Louisiane, les avocats d’Albert Burrell (66 ans aujourd’hui) obtiennent un sursis dix-sept jours avant son exécution. Sa condamnation pour un double assassinat est cassée. Il obtient d’être rejugé, un juge ayant statué que le ministère public avait omis de présenter des preuves à décharge. L’État conclut qu’aucun élément ne lie Albert Burrell aux assassinats, et il est libéré.
Derrick Jamison : condamné dans le comté de Hamilton, Ohio. Vingt ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 2005. En 1984, Derrick Jamison est arrêté pour le vol et le meurtre d’un barman de Cincinnati. Jamison est reconnu coupable, à la suite du faux témoignage de l’un des véritables auteurs du crime, lequel a témoigné contre lui en échange d’une réduction de peine. La date de son exécution est fixée à six reprises, mais différée à chaque fois. Le dernier sursis intervient une heure et demie avant l’exécution. En 2000, un juge ordonne un nouveau procès. La condamnation est cassée et, en 2005, les chefs d’accusation retenus contre Jamison sont tous abandonnés. Il a aujourd’hui 60 ans.
Ron Keine : comté de Bernalillo, Nouveau-Mexique. Deux ans en détention dans le couloir de la mort, innocenté en 1976. Ron Keine (au centre), âgé de 73 ans, est l’un des quatre hommes injustement reconnus coupables et condamnés à mort pour l’enlèvement, le viol et le meurtre d’un étudiant de l’université du Nouveau-Mexique, en 1974. Plus tard, le quotidien The Detroit News découvre que le ministère public a obtenu la déclaration d’un témoin-clé sous la contrainte. Ce témoin, femme de ménage dans un motel, se rétractera par la suite. Ron Keine est libéré lorsqu’on découvre qu’une arme ayant servi au crime est passée entre les mains d’un sans domicile fixe, qui reconnaît le meurtre.
Kwame Ajamu : comté de Cuyahoga, Ohio. Vingt-sept ans en détention, dont deux dans le couloir de la mort ; innocenté en 2014. Kwame Ajamu, 63 ans, est né Ronnie Bridgeman – il a changé de nom en prison. En 1975, il a été reconnu coupable du meurtre d’un vendeur de Cleveland, sur la foi du seul témoignage d’un garçon de 13 ans. Bridgeman était lui-même adolescent quand il a été condamné à mort. Sa peine a été commuée en réclusion à perpétuité en 1978. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle en 2003, mais vivait encore avec la disgrâce de sa condamnation. Puis, en 2014, le témoin a déclaré devant un tribunal que sa déposition initiale était fausse. Ce témoignage a innocenté trois personnes : Ajamu, son frère Wiley Bridgeman et leur ami Ricky Jackson.
Randal Padgett : comté de Mashall, Alabama. Cinq ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 1997. Quand Cathy Padgett est poignardée à mort, la police de l’Alabama accuse son mari, Randal Padgett, de meurtre passible de la peine de mort. Le couple s’est séparé, et Randal sort avec une autre femme. En 1992, lors de son procès, les procureurs ne signalent pas tout de suite à la défense que le sang prélevé sur les lieux du crime ne correspond pas à celui de Randal Padgett. En l’apprenant, les avocats de la défense demandent l’annulation du procès, ce que le juge refuse. Quand Padgett est reconnu coupable, le même juge le condamne à mort. Trois ans plus tard, la Cour d’appel pénale de l’Alabama ordonne un nouveau procès, du fait des manquements des procureurs. Randal Padgett, aujourd’hui âgé de 70 ans, est déclaré non coupable et libéré.
Sabrina Smith : comté de Lowndes, Massachusetts. Cinq ans en détention, donc la moitié dans le couloir de la mort ; innocenté en 1995. En 1990, lors de son procès, Sabrina Smith, née Sabrina Butler, âgée aujourd’hui de 50 ans, est reconnue coupable du meurtre de Walter, son nourrisson. Elle n’a que 18 ans. Ses avocats commis d’office ne citent aucun témoin qui pourrait attester que les blessures du bébé correspondent à ses efforts pour le ranimer quand il a cessé de respirer. Sabrina Butler, qui clame son innocence, n’est pas appelée à la barre pour se défendre. La Cour suprême du Mississippi, invoquant des manquements de la part des procureurs, ordonne un nouveau procès, qui aboutit à la disculpation de Sabrina Butler. Elle est l’une des deux seules Américaines condamnées à mort à avoir été innocentées. La seconde, Debra Milke, a passé vingt-cinq ans en détention, en Arizona.
Kirk Bloodsworth : comté de Baltimore, Maryland. Neuf ans en détention, dont deux dans le couloir de la mort ; innocenté en 1993. En 1993, Bloodsworth, aujourd’hui âgé de 60 ans, est le premier condamné à mort des États-Unis innocenté par son ADN. En 1984, il a été reconnu coupable du viol et du meurtre d’une fillette de 9 ans. Cinq témoins disent l’avoir vu dans les parages. Il est condamné à mort, bien qu’aucun élément matériel ne le lie au crime. Neuf ans plus tard, des analyses d’ADN réalisées sur des pièces à conviction apporteront la preuve de son innocence.
Juan Meléndez : comté de Polk, Floride. Dix-sept ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 2002. Meléndez a appris à parler l’anglais pendant qu’il était dans le couloir de la mort, en Floride. En racontant l’histoire de sa disculpation, il recompte tout le temps qu’il y a passé. Aucune preuve matérielle ne le liait à l’homicide commis en 1983 dont il avait été reconnu coupable. Mais il n’a été innocenté que lorsqu’une transcription d’un enregistrement d’aveux du véritable assassin est apparue. Un document disponible depuis longtemps, mais que le procureur n’avait pas communiqué à la défense de Meléndez. Quand la transcription a été découverte, un juge a cassé la condamnation.
Shujaa Graham : comté de San Joaquin, Californie. Onze ans en détention, dont cinq ans dans le couloir de la mort ; innocenté en 1981. Graham (à droite), 69 ans, avec son fils, Jabari, qui exhibe un tatouage de son père. Graham était un enfant en difficulté, qui a passé une partie de son adolescence dans des centres de détention pour mineurs. Il était déjà dans une prison pour adultes quand il a été reconnu coupable du meurtre d’un gardien de prison à Stockton, en Californie, en 1973. La Cour suprême de l’État a cassé sa condamnation en 1979, car le ministère public avait exclu systématiquement les jurés noirs. Lors d’un nouveau procès, en 1981, Shujaa Graham a été innocenté.
Gary Drinkard : comté de Morgan, Alabama. Six ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 2001. En août 1993, à Decatur, en Alabama, un casseur auto est cambriolé et tué. La police arrête Gary Drinkard deux semaines plus tard. Sa demi-sœur et le compagnon de celle-ci, en échange de l’abandon des accusations de cambriolage à leur encontre, déclarent que Drinkard a tué l’homme. Les avocats commis d’office ne présentent aucun élément pour prouver son innocence. En 1995, Drinkard est reconnu coupable et condamné à mort. En 2000, la Cour suprême de l’Alabama ordonne un nouveau procès pour Drinkard, les procureurs ayant dévoilé à tort son casier judiciaire. Lors de ce second procès, il est démontré que, la nuit du meurtre, il se trouvait chez lui, avec une blessure au dos. Déclaré non coupable, Gary Drinkard est libéré. Il a aujourd’hui 62 ans.
Joaquín José Martínez : comté de Hillsborough, Floride. Quatre ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 2001. Joaquín José Martínez, 49 ans, est le seul Européen condamné à mort aux États-Unis à avoir été innocenté. Reconnu coupable du meurtre de deux personnes, en 1995, en Floride, il a été condamné à mort. Mais la Cour suprême de Floride a cassé ses condamnations et ordonné un nouveau procès, invoquant les tentatives des procureurs pour influencer les jurés et les déclarations inexactes de la police devant la cour. Lors du second procès, plusieurs témoins cités par le ministère public se sont rétractés. Joaquín José Martínez a été acquitté en 2001. Il vit aujourd’hui en Espagne, où il milite contre la peine capitale. Quand il se trouvait dans le couloir de la mort, le pape Jean-Paul II avait demandé que sa vie fût épargnée.
Perry Cobb : comté de Cook, Illinois. Sept ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 1987. Perry Cobb, 79 ans, a été jugé cinq fois pour deux homicides perpétrés à un stand de hot-dogs, à Chicago, en 1977. Les deux premiers procès n’ont pas dégagé de majorité dans le jury. Lors du troisième, Cobb a été reconnu coupable et condamné à mort. La Cour suprême de l’Illinois a annulé la condamnation, estimant que Cobb et un coaccusé n’avaient pas eu droit à un procès équitable. Au quatrième procès, le jury n’a pas trouvé de majorité. Au cinquième, un juge a acquitté Cobb.
Damon Thibodeaux : paroisse de Jefferson, Louisiane. Quinze ans en détention, tous dans le couloir de la mort ; innocenté en 2012. Thibodeaux, désormais âgé de 46 ans, a été reconnu coupable du viol et du meurtre d’une cousine de 14 ans. Il avait avoué au terme d’un interrogatoire de police prolongé. Il s’est rétracté, mais a été condamné. Il était dans le couloir de la mort depuis dix ans quand le procureur général de la paroisse de Jefferson a rouvert le dossier, ordonnant des analyses scientifiques. Celles-ci ont montré que l’adolescente n’avait pas subi d’agression sexuelle et que l’ADN prélevé sur les lieux du crime n’était pas celui de Thibodeaux. L’invalidité des aveux a été prononcée.
Herman Lindsey : comté de Broward, Floride. Trois ans en détention, dont deux dans le couloir de la mort ; innocenté en 2009. En 2006, Herman Lindsey a été reconnu coupable du cambriolage d’une boutique et du meurtre d’un employé, en 1994, à Fort Lauderdale. Aucune preuve matérielle ou médico-légale ne le liait à l’affaire, mais la police l’a accusé du meurtre, resté longtemps irrésolu. Lindsey a passé deux ans dans le couloir de la mort, avant que la Cour suprême de Floride ne l’innocente, invoquant un manque de preuves et fustigeant le ministère public pour sa conduite répréhensible qui, selon la Cour, a influencé le jury. Herman Lindsey vit encore en Floride, l’État qui compte le plus grand nombre de disculpations de condamnés à mort de tout le pays. Lindsey a maintenant 48 ans, va à la pêche (ici avec son beau-fils) et conseille les jeunes sur les moyens d’éviter de prendre de mauvaises décisions.