À l’école des féticheuses d’Aniansué

Vielle de plus d’un siècle, l’école des féticheuses d’Aniansué (200 kilomètres à l’est de la capitale ivoirienne) est un établissement qui se singularise par la formation de jeunes filles aux sciences occultes.

De Arnaud Houssou
Avant de commencer la journée, il est impérieux de se présenter devant l’autel des Bossons, « génies ». Ce rituel est l’un des plus ancrés chez les futures féticheuses.
PHOTOGRAPHIE DE Arnaud Houssou

Le savoir que ces jeunes filles acquièrent durant les trois années de formation leur permet de guérir toutes sortes de maladies, de délier des problèmes et de prédire l’avenir… Plongée dans le monde métaphysique de la magie noire.

Comme tout sanctuaire, l’école des féticheuses ne se laisse pas pénétrer sans que le visiteur ne soit soumis à des rituels : offrir un cabri, des bouteilles de liqueur (rhum, gin et whisky) et une somme d’argent. Ces dons sont offerts aux Bossons, « génies » qui ne tolèrent pas la venue d’étrangers dont la présence sans leur autorisation est considérée comme une profanation. Tout dans cette petite forêt indique que le lieu est sacré. Chants d’oiseaux, vent, craquement de branches, l'atmosphère a un caractère mystérieux.

Quiconque se hasarde à y faire des photos ou des vidéos sans autorisation préalable des féticheuses, aura des images floues ou n’en aura pas du tout. En témoigne la photo prise avec Léonie Kouamé, élève féticheuse devant l’autel des Bossons dont les juju apparaissent flous.  

Bien avant cela, notre équipe de reportage a été soumise à un test d’intention qui consiste à déterminer nos réelles motivations. Tenant dans ses mains un petit tambour sacré, une élève féticheuse s’approche de chaque visiteur en faisant vibrer le tamtam puis prononce quelques mots dont elle est seule à connaître le sens. Après cette épreuve, l’autorisation de continuer nous a été accordés car, selon la future prêtresse, nos intentions étaient bonnes.

Les élèves féticheuses prodiguent des soins à cet enfant victime d'une crise aigüe d’asthme.
PHOTOGRAPHIE DE Arnaud Houssou

S’inspirant du système colonial d’alors, Eponon Adjoua créa son école au début du siècle dernier sur le modèle des écoles actuelles dans le but de pérenniser une connaissance ancestrale qui se transmettait de mère en fille. Sa statue posée devant la salle d’autel possède, dit-on, de grands pouvoirs mystiques.

Léonie Kouamé, Bendé Akoua Simone, Amanie Aya Christine, Tanoh Ama Simone, vêtues de blanc, le visage et le corps saupoudrés de kaolin blanc, des amulettes aux bras, aux pieds aux genoux et au cou, n’ont pas fait le choix de se retrouver à l’école des féticheuses. Mais elles ont été prédestinées dès le plus jeune âge par les « Bossons », et ce sans que leurs parents biologiques n'en soient informés. Célèbres à Aniansué (à 200 kilomètres à l’est d’Abidjan, en Côte d'Ivoire) de par leur pouvoir de guérison et leur connaissance des sciences occultes, les quatre pensionnaires de l’école des féticheuses, appelées « Konian » en langue locale, n’ont plus que cinq mois à passer dans la forêt pour terminer leur cycle de formation, qui a commencé deux ans sept mois plus tôt.

 

UN DIFFICILE RETOUR AUX ÉTUDES

Dans cette école singulière, il n’y a pas d’appel au recrutement. Seuls les « génies » sont habilités à choisir les élèves, quel que soit leur rang social.

« J’étais étudiante en deuxième année de BTS (brevet de technicien supérieur), option ressources humaines et communication. Un matin, ma mère qui est actuellement à Abidjan, a piqué une crise. Après avoir été en vain dans tous les hôpitaux du pays, c’est une féticheuse qui a révélé à mes parents que s’ils voulaient que maman retrouve la santé, je devais absolument tout abandonner pour suivre une formation de féticheuse. C’est ainsi que je me suis retrouvée ici à Aniansué. Ce qui m’a réellement convaincue de mon appel, la première nuit que j’ai passée ici, a suffi pour que maman recouvre la santé », se souvient Léonie Kouamé. 

Après leur formation, les féticheuses peuvent retourner chez elles et reprendre le cours normal de leur vie. Mais l’expérience a montré que la majorité de celles qui ont pour une raison ou une autre dû abandonner leurs études pour l’école des féticheuses n’ont plus voulu remettre les pieds dans une salle de classe ou dans un amphithéâtre. Désormais dotées du pouvoir de guérison, elles préfèrent s’installer ailleurs en Côte d’Ivoire pour vivre de leur savoir-faire mystique.

Malgré la décision des autorités de rendre l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, certains parents très conservateurs préfèrent confier la formation de leurs progénitures aux responsables de cette école singulière, dès qu’ils sont informés que leurs enfants ont été appelés par les « génies », augmentant le nombre de jeunes filles déscolarisées dans la partie orientale de la Côte d’Ivoire. État de fait que dénonce avec véhémence Marc Kouma, cadre d’Aniansué converti au protestantisme.   

« Cette école fut créée à une époque où la jeune fille n’était pas scolarisée. Aujourd’hui avec le modernisme, je ne dis pas qu’elle n’a pas sa place dans la société mais l’idéal serait de laisser les filles terminer leur cursus scolaire. De ce côté il faut que les autorités administratives et coutumières se penchent sur le sujet pour trouver une solution durable à ce problème ».

 

UN VŒU DE CHASTETÉ DE TROIS ANS

À l’instar de ses condisciples, Bendé Akoua Simone a dû tout abandonner : son mari, la couture… au profit de son apprentissage à l'école des féticheuses. Quant à son compagnon, il devra attendre qu’elle finisse son cycle de trois ans avant de la revoir dans le foyer conjugal. Car tout contact charnel durant la formation est strictement interdit. Les contrevenantes à cette disposition s’exposent à des lourdes amendes : achat d’un gros mouton, 10 bouteilles de liqueur, cheveux coupés à ras, et elles devront reprendre leur formation, même si l’acte a été commis la veille de la cérémonie clôturant l'enseignement.

En passe de devenir majore de sa promotion, elle est sollicitée par des gens qui viennent des localités environnantes soit pour être guéris d’une maladie ou pour trouver des solutions à leurs problèmes. Comme en témoigne le cas d’un enfant de cinq ans qui, victime d'une une crise d’asthme aiguë, a été sauvé in extremis par Bendé Akoua Simone et ses consœurs. Ce, sans administration d’un traitement associant un corticostéroïde systémique et des bronchodilatateurs administrés dans les hôpitaux. Un savoir-faire qui pourrait susciter la curiosité de certains chercheurs en médecine. 

« Il n’y a pas de maladie incurable parce que les « génies » et les plantes sont capables de guérir toutes sortes de maladies, y compris le SIDA », explique-t-elle. Elle ajoute : « La médecine moderne ne peut pas guérir totalement l’asthme, elle ne peut que soulager les malades. Or, nous, grâce aux pouvoirs que nous confèrent les « Bossons », nous sommes capables de guérir totalement l’asthme, le diabète, donner aux femmes stériles la joie de l’enfantement ».

Bendé Akouma Solange en passe de terminer sa formation ramasse des feuilles sensées guérir les fibromes chez la femme et l’impuissance sexuelle chez l’homme.
PHOTOGRAPHIE DE Arnaud Houssou

Dans l’espoir d’avoir le remède miracle, des malades du SIDA, des diabétiques, etc. n’hésitent pas à prendre le chemin d’Aniansué pour consulter les « Komian ». Les féticheuses proposent aussi des bains magiques à des femmes. Lorsque ces dernières couchent avec un homme, même s’il est marié, il abandonne femme et enfants pour regagner sa nouvelle compagne. Des cadres en quête de promotion, commerçants désireux de faire fructifier leurs commerces viennent eux aussi demander les services des futures féticheuses à qui cette petite bourgade doit sa renommée.

 

UNE CASTE DE PLUS EN PLUS FRAGILISÉE PAR LE CHRISTIANISME

Jadis respectées et craintes dans toute la région, les féticheuses d’Aniansué se sentent aujourd’hui marginalisées par une partie de la population, notamment par la jeune génération. Elles ne sont plus consultées comme par le passé. Seul Nana Amoikon II, chef du village, sollicite le soutien des féticheuses avant toute décision. Contrairement à certains chefs de famille qui préfèrent aller voir ailleurs.

Pour Tanoh Ama Simone, cette situation est due au modernisme certes, mais surtout à la multiplication des églises évangéliques d’inspiration anglo-saxonne. Cette religion qui comporte en son sein beaucoup de contradiction vis-à-vis des us et coutumes ivoiriens gagne chaque année un peu plus de terrain partout en Côte d’Ivoire.  

« De nos jours, les féticheuses sont marginalisées. Quand nous sortons pour la ville, nous sommes mal vues tout simplement parce que les gens se tournent de plus en plus vers le christianisme d’inspiration nord-américaine. À cause de cette religion, beaucoup de personnes ne nous respectent plus. Certains parents ont refusé que leurs filles viennent ici se faire former par les « génies ».  Le mal dans tout ça, c’est que cette forme de christianisme est en train de gagner du terrain dans notre région », explique d’une voix emprunte de colère Tanoh Ama Simone.

Ces futures prêtresses invitent tous ceux qui croient aux pouvoir des génies à tourner le dos aux religions « importées » pour revenir aux pratiques ancestrales afin d’éviter que la société ne « sombre ».

 

Arnaud Houssou est un journaliste indépendant basé à Abidjan. Cet article est sa première contribution pour National Geographic.

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