Apatrides : 4,4 millions de personnes dans l'ombre de la citoyenneté

Le photographe National Geographic William Daniels a enquêté pour donner un visage aux millions de personnes apatrides, dont les existences ne sont reconnues par aucun État.

De Marie-Amélie Carpio, National Geographic
Publication 9 nov. 2023, 18:03 CET
Fuyant le Myanmar, des Rohingyas accostent de nuit sur l’île de Shahpori, au Bangladesh, en 2017. Ils seraient 1,2 million dans ...

Fuyant le Myanmar, des Rohingyas accostent de nuit sur l’île de Shahpori, au Bangladesh, en 2017. Ils seraient 1,2 million dans le pays, qui a absorbé la majorité des réfugiés de cette ethnie musulmane depuis 1978 et les massacres perpétrés à leur encontre par l’armée birmane. En 1982, l’État birman, majoritairement bouddhiste, les a déchus de la citoyenneté. Leur exode s’est amplifié au cours de la dernière décennie, avivé par des flambées de violence intercommunautaire. Ces populations aux origines complexes, liées à l’histoire précoloniale et coloniale de la région, sont brocardées par les autorités comme étant des étrangers du Bengale oriental arrivés avec les colons britanniques à la fin du XIXe siècle.

PHOTOGRAPHIE DE William Daniels

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Ce sont des ombres. Des cohortes fantomatiques d’hommes, de femmes et d’enfants sans existence légale, prisonniers de limbes administratifs qui les vouent aux marges des sociétés. Il y aurait 10 millions de personnes apatrides ou à risque d’apatridie à travers le monde, selon l’estimation basse de la fondation Rosa-Luxemburg, en Allemagne, dans l’atlas qu’elle a consacré à ces populations. 

Le droit international définit ces citoyens de nulle part comme des personnes « qu’aucun État ne considère comme [ses] ressortissant[s] par application de sa législation ». Ils seraient selon les Nations Unies plus de 4,4 millions.

On naît apatride ou on le devient. Les réfugiés qui ont fui leur pays d’origine, poussés à l’exil par les guerres ou les persécutions, et qui ont perdu leur nationalité ou toute preuve de celle-ci, ou ceux dont le pays a purement et simplement cessé d’exister, constituent les cas de figure les plus connus. 

Aujourd’hui, les réfugiés palestiniens, les Rohingyas chassés du Myanmar ou encore certaines communautés kurdes de Syrie et du Liban sont les incarnations les plus emblématiques de l’apatridie moderne. Mais pas son visage le plus courant. Assez paradoxalement, elle menace avant tout des individus qui sont nés et ont toujours vécu dans le pays même qui ne leur reconnaît aucune existence légale. Dans leurs rangs se mêlent descendants de migrants installés depuis des générations dans un État, mais aussi populations dont les ancêtres sont originaires des territoires concernés. 

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    La fumée des ordures brûlées le soir pour nettoyer les rues enveloppe Noukailawa. Une partie de ce village du Terai, dans le sud du Népal, est habitée par des Musahars, un sous-groupe d’intouchables au plus bas de l’échelle des castes. Environ 40 % d’entre eux n’ont aucun document d’identité. Depuis 2006, deux amendements à la loi sur la citoyenneté ont été adoptés pour leur en faciliter l’accès, notamment sur recommandation des autorités locales, mais très peu l’obtiennent du fait du poids des discriminations.

    PHOTOGRAPHIE DE William Daniels

    La Côte d’Ivoire constitue à cet égard un cas d’école. Le pays abriterait, selon une estimation officielle, 1,6 million de personnes à risque d’apatridie, soit environ 6 % de ses habitants, un des records mondiaux. Majoritairement d’origine ivoirienne, ces populations pauvres et peu éduquées, concentrées dans des régions rurales reculées où la tenue de l’état civil est aléatoire, n’ont jamais mené de démarches pour obtenir des papiers d’identité. 

    Une minorité est constituée de populations originaires de l’actuel Burkina Faso et installées en Côte d’Ivoire depuis la période coloniale, ivoiriennes par droit du sol, mais qui n’ont pas plus formalisé leur situation. 

    De fait, l’absence d’existence légale frappe d’abord des populations au bas de l’échelle sociale, peu au fait de leurs droits et, parmi elles, affecte de façon disproportionnée des communautés traditionnellement discriminées, en butte aux persécutions routinières et au racisme ordinaire. Ainsi des populations autochtones, tels certains groupes indigènes de Malaisie orientale, ou des nomades comme les « bidounes » du Koweït. 

    C’est encore le cas, au Népal, d’une partie des intouchables, les plus basses castes, « impures » dans l’hindouisme et dont la marginalisation est enracinée dans des temps immémoriaux : misère, stigmatisation et barrières administratives élèvent autant d’obstacles à la reconnaissance de leur citoyenneté. 

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