Rencontre avec Imogen Napper, la jeune chercheuse qui a fait interdire les micro-billes de plastique

Interloquée par la quantité de plastique pouvant se retrouver dans les océans, Imogen Napper a transformé sa curiosité en recherche scientifique. Ses découvertes sur les microbilles de plastique ont permis leur interdiction dans plusieurs pays.

De Romy Roynard

La scientifique marine britannique Imogen Napper a ouvert la discussion avec un sourire franc et chaleureux. La jeune femme fait partie des nouveaux explorateurs National Geographic, détenteurs d'une bourse de recherche pour pouvoir protéger le monde et sensibiliser à la préservation environnementale et animale. Elle nous reçoit à Madrid, où elle suit une formation délivrée par la National Geographic Society à tout nouvel explorateur.

 

Imogen, pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous expliquer comment vous êtes devenue exploratrice National Geographic ?

À l’âge de 7 ans, j’allais à la petite école de mon village, dans la campagne anglaise. Elle devait compter soixante élèves. Pour récolter de l’argent pour les organismes de bienfaisance, il a été décidé d’organiser un lâcher de ballons. Nous avions soixante ballons, un pour chaque enfant. Nous avions laissé à l’intérieur des informations sur l’école, nos noms, prénoms, etc., demandant à toute personne trouvant ce ballon de nous le renvoyer en mentionnant le lieu exact où il avait été trouvé.

Je me revois debout dans un champ avec les autres élèves, lâchant les ballons et les regardant s’éloigner lentement. C’était une belle image. Mais quelques semaines plus tard, quand l’heure était au bilan, seuls cinq des soixante ballons étaient revenus. Quatre avaient été retrouvés en Grande-Bretagne et le dernier avait volé jusqu’en France. Cela m’a fait réfléchir. Sur soixante ballons, seuls cinq étaient revenus ? Qu’étaient devenus les cinquante-cinq autres ballons qui avaient trouvé leur chemin vers la mer ? Ma curiosité était aiguisée et avec le temps ma curiosité s’est transformée en recherches.

Étant surfeuse, je me rendais souvent sur la côte et je ne pouvais que constater que le problème du plastique devenait de plus en plus inquiétant. Sans même m’en rendre compte je suis devenue une sorte de détective du plastique. Tout particulièrement lorsqu’il s’agit de sources que le public n’identifie pas spécifiquement comme de la pollution plastique. La première de mes recherches portait sur les microbilles de plastiques présentes dans les soins de gommages, étant donné que j’utilisais moi-même ce type de produits.

C’est très étrange quand on y pense parce que personne ne s’imagine mettre autant de plastique sur son visage pour le nettoyer. Il en va de même pour le dentifrice, malgré les inquiétudes des dentistes quant à la quantité de plastique qu’ils contiennent, qui peuvent provoquer des infections. C’est complètement inutile et des alternatives existent. Pour ce qui est des microbilles, il peut y en avoir jusqu’à 10 000 dans votre main lorsque vous versez le produit que vous allez appliquer sur votre visage. Et elles peuvent toutes finir dans l’océan.

 

Il est rare que la recherche aboutisse en projet de loi. Et pourtant vous y êtes parvenue dès votre première recherche !

C’est vrai ! La recherche sur les microbilles de plastique était exaltante parce que c’était ma toute première recherche et parce qu’elle a permis d’ouvrir le débat sur la quantité de plastique présent dans les produits cosmétiques, là où personne ne s’imaginait en trouver.

Ça a vraiment nourri ma passion et ma volonté de poursuivre mes recherches. Je me suis dit « c’est peut-être ma façon à moi de combattre la pollution plastique ». Pour moi, c’est comme un immense puzzle. Il n’y a pas qu’une seule pièce, ou une seule bonne réponse mais un ensemble de pièces qui réunies forment un tout. Nous sommes tous, en fonction de nos compétences, des pièces de ce puzzle.

Avec les discussions suscitées par cette recherche, l’industrie a dû se remettre en question. Les gens commençaient à boycotter ces produits dans les supermarchés. Et puis les gouvernements ont entendu cet appel. Les microbilles de plastique ont été interdites en Grande-Bretagne, en Inde, aux États-Unis…

Et maintenant j’étudie les microfibres de plastique libérées lors des lavages en machine.

 

Pouvez-vous nous expliquer les tenants et les aboutissants de cette nouvelle recherche ? D’après ce que j’ai compris, nous produisons des microfibres de plastique simplement en achetant et lavant nos vêtements, sans même nous en rendre compte…

C’est ça. 60 à 70 % des vêtements que nous achetons contiennent des microfibres de plastique. Et il y a tellement de formes différentes de plastique qu’il est difficile d’en nommer une… polyester, acrylique, mélange de coton et de polyester, etc. Des études précédentes montraient que le fait de laver nos vêtements pouvait être une source de pollution plastique mais personne n’avait mené de recherche sur des types de tissus en particulier. Nous avons donc comparé le polyester à l’acrylique et au mélange coton - polyester.

En mettant ce type de tissus dans une machine à laver, des microfibres de plastique vont se détacher. Ils se détachent aussi quand nous les portons tout simplement, c’est l’usure naturelle du produit. Et nous avons découvert que quand on lave des vêtements en acrylique dans une machine pouvant contenir 6 kilos de linge, plus de 700 000 microfibres de plastique étaient susceptibles de se détacher. Ces microfibres sont emportées au moment du rinçage des vêtements, et peuvent quelques temps plus tard se retrouver dans les océans.

Cela a ouvert de nouveaux débats. Seulement, contrairement aux microbilles qui présentaient l’avantage de pouvoir être retirées des produits, on ne peut pas interdire aux gens de laver leurs vêtements et donc de libérer des microfibres de plastique. Il est difficile de dire « n’achetez que des matières 100 % naturelles comme le coton ou la laine », dont la production requiert de grandes quantités d’eau et de la main d’œuvre très peu rémunérée. Et les gens ne peuvent pas non plus se balader nus dans la rue ! Il faut bien qu’ils s’habillent.

C’est là que la bourse National Geographic me permet d’aller plus loin. Nous sommes en train de tester différentes inventions qui pourront soit être implémentées directement dans les machines à laver pour pouvoir retirer les microfibres accumulées pendant un lavage, ou alors une invention qui pourrait capturer les microfibres libérées pendant le lavage à la manière d’une balle rebondissant dans le tambour.

 

Mais le problème reste le même. Que faire du plastique recueilli après le lavage ?

Exactement… Pour le moment cela rejoindrait les bennes plastiques, ce qui permettrait de mieux le traiter, plutôt que dans les canalisations qui pourraient le conduire dans les océans. On pourrait aussi étudier la manière de recycler ces microfibres pour les transformer. Cela pourrait faire partie d’une économie circulaire dans laquelle les déchets auraient une nouvelle fonction.

Le problème avec le plastique, c’est que c’est très rentable, c’est très pratique et résistant. Pour la plupart des fabricants, c’est souvent la meilleure option. Et le plastique est aujourd’hui omniprésent : presque tout ce que nous achetons aujourd’hui contient du plastique. Comment sensibiliser le grand public à la pollution plastique sans le faire culpabiliser ?

Je pense que les consommateurs n’ont malheureusement pas assez d’options pour le moment et les options alternatives au plastique sont plus chères. Le plastique est victime de son succès. C’est très résistant et c’est une option sûre pour beaucoup de fabricants. Il faut un changement de culture d’un point de vue industriel, étatique et consommateur. Il y a de plus en plus de discussions sur ce sujet et les gens commencent à s’en emparer, ce qui pourrait éventuellement forcer les gouvernements à prendre des décisions.

 

Beaucoup de gouvernements réfléchissent à l’interdiction des produits en plastique à usages uniques, comme les pailles en plastique dont on peut aisément se passer si on n’a pas de problèmes médicaux…

Oui. C’est drôle que vous me parliez des pailles. Hier une de mes amies sur Facebook se plaignait que McDonald's se mette aux pailles en papier dans certains pays et réclamait le retour des pailles en plastique. Je pense que cela va prendre un peu de temps, comme au moment où l’usage des sacs en plastique est devenu payant dans les supermarchés. Maintenant les gens l’ont compris et utilisent de plus en plus des sacs réutilisables.

Une petite partie de la population en a besoin, comme dans les hôpitaux, vous avez raison, mais le reste de la population peut se poser la question du besoin réel d’avoir une paille en plastique pour boire un verre.

 

Nous avons rencontré Boyan Slat il y a un peu plus d’un an. Son projet a séduit nombre de nos lecteurs mais certaines critiques se sont élevées, car il ne permettra dans un premier temps que de collecter les plus gros morceaux de plastique, pas les microplastiques qui représentent un immense danger pour la faune et la flore marines.

Les véritables effets du plastique sont encore inconnus. Si nous les connaissions je pense qu’ils nous feraient très peur.

Il y a deux types de microplastiques. Il y a les microplastiques primaires qui ont toujours eu une petite taille comme les microbilles de plastique dans les produits cosmétiques, et les microplastiques secondaires, qui sont extraits de plus grands morceaux de plastique décomposés. Tous les morceaux de plastique peuvent devenir des microplastiques, il est donc préférable de les retirer quand ils sont encore gros.

Une fois qu’ils sont devenus des microplastiques, ils sont plus difficiles à détecter et donc à retirer de l’eau, sont plus susceptibles d’affecter l’environnement avec les éléments chimiques qui les composent, sans mentionner la faune marine. Beaucoup de recherches sont en cours pour étudier les effets du plastique sur notre santé mais à mon sens ces microplastiques sont si petits qu’ils ne peuvent plus être retirés de l’eau.

 

Comment alors faire prendre conscience de l’urgence ?

Cela dépend à qui vous vous adressez. Je crois qu’il est important de nous reconnecter avec la nature. Pas nécessairement l’océan, mais aussi avec la forêt, la montagne. Cela sera bon pour votre moral et vous pourrez constater les effets de notre consommation moderne sur notre environnement, un peu comme dans Wall-E, qui est une jolie prédiction [rires]. À la fin du film, les gens réalisent l’ampleur de la crise à laquelle ils ont participé et décident d’agir.

 

Cet entretien a été édité et raccourci par souci de longueur et de compréhension.

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