Voici pourquoi votre corps résiste à la perte de poids
La lutte pour ne pas reprendre du poids n’est pas affaire de volonté, mais de biologie. Voici, selon la science, comment nous pouvons travailler avec notre corps, et non contre lui.

Le corps humain a évolué pour échapper à la famine, et non pour faire des régimes. Des chercheurs décodent la façon dont le métabolisme, la faim et les hormones conspirent pour rendre aussi difficile le fait de se maintenir à un certain poids après en avoir perdu.
Aujourd'hui, près de la moitié des Français sont en surpoids et 33 % de la population est tentée de faire un régime (contre 45 % de la population mondiale). Perdre du poids est difficile. Mais ne pas reprendre du poids est encore plus difficile. Selon des données des Instituts américains de la santé (NIH) et de la Société américaine de l’obésité, 80 à 95 % des individus qui parviennent à perdre du poids le reprennent en l’espace de trois à cinq ans.
Selon les scientifiques, cela n’est pas dû à un manque de volonté. Les hormones, la génétique et même l’évolution poussent le corps à résister : en augmentant la sensation de faim, en ralentissant le métabolisme et en favorisant la reprise de poids. Pour Kimberley Gudzune, directrice médicale du Comité américain de la médecine de l’obésité, il s’agit d’une lutte biologique que la culture populaire ignore la plupart du temps.
« On part du principe qu’une fois qu’on y est, on y reste de façon magique. Mais malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas », prévient-elle.
Cela fait des décennies que l’on présente les régimes sous l’angle de la discipline. Mais des chercheurs commencent désormais à comprendre pourquoi le corps résiste avec une telle intensité à la perte de poids et comment les hormones, la chimie cérébrale et même des expériences vécues durant la petite enfance influencent la façon dont le poids va se réguler tout au long de la vie.
CE QUE LA TÉLÉ RÉALITÉ NOUS A APPRIS SUR LA PERTE DE POIDS
La culture populaire glorifie depuis longtemps la perte de poids spectaculaire et montre rarement ce qui vient ensuite. Peu d’exemples sont aussi clairs que celui donné par The Biggest Loser, une série de télé réalité diffusée entre 2004 et 2016. On y récompensait les participants qui perdaient le plus de poids possible. Ceux-ci étaient entourés d’entraîneurs, de nutritionnistes et d’une équipe médicale. Mais pour les scientifiques, l’émission a également révélé comment le corps résiste au changement.
Une étude publiée en 2016 dans la revue Obesity s’est intéressée à quatorze participants, tous souffrant d’obésité de grade 3, que l’on appelait auparavant « obésité morbide », et ont comparé leur composition corporelle et leur métabolisme basal entre deux points dans le temps : la fin de la compétition et six ans après.
L’étude a montré que les participants regagnaient une partie considérable du poids qu’ils avaient perdu lors de l’émission. Même ceux qui avaient réussi à maintenir leur perte de poids avaient un métabolisme basal qui tournait au ralenti. Ce ralentissement métabolique complique grandement le maintien du poids. « Quand on perd du poids, le corps ne brûle pas autant de calories », explique Kimberley Gudzune, qui entend par là qu’une personne ayant perdu du poids doit absorber moins de calories qu’une personne de même gabarit qui n’a jamais eu à perdre de poids pour arriver là où elle en est.
Cette différence n’est pas uniquement d’ordre métabolique, elle est aussi hormonale. Après une perte de poids réalisée uniquement par le biais d’un régime, le taux de ghréline (l’hormone de la faim) augmente, tandis que les taux du peptide YY et de la leptine diminuent. Même un an après une perte de poids, on a pu observer ces changements hormonaux.
Selon Andres Acosta, gastro-entérologue et chercheur sur l’obésité à la Mayo Clinic, ce ne sont là que quelques-unes des « adaptations métaboliques » dont se sert le corps humain pour « lutter » quand nous perdons du poids. Des traitements tels que la chirurgie bariatrique ou les médicaments à base de GLP-1 peuvent aider à compenser ces changements en améliorant la communication entre le cerveau et l’intestin concernant la faim et la satiété. Cependant, certains patients ont des craintes vis-à-vis de ces méthodes.
LA SCIENCE DU « POIDS D’ÉQUILIBRE DU CORPS »
Une idée souvent évoquée pour expliquer ces défenses biologiques est la théorie du poids d’équilibre. Celle-ci suggère que le corps possède plusieurs mécanismes lui permettant de conserver un certain poids déterminé tôt dans la vie et que la plupart des individus auraient différents poids d’équilibre successifs au cours de leur vie.
Cette théorie est souvent évoquée mais pas unanimement acceptée par les spécialistes de l’obésité. Selon Kimberley Gudzune, celle-ci est susceptible de trop simplifier plusieurs processus, mais pourrait aider le public à comprendre pourquoi le maintien du poids de forme est si difficile. Certains mécanismes sont, selon elle, davantage étayés par la science, comme les variations hormonales ou de la dépense énergétique, deux facteurs allant dans le sens de la théorie du point d’équilibre, tout en ayant également leur logique propre.
POURQUOI LA STIGMATISATION COMPLIQUE LE TRAITEMENT DE L’OBÉSITÉ
La stigmatisation liée au poids ne fait pas que conditionner la façon dont on traite les personnes obèses, elle peut aussi avoir des conséquences sur leur santé.
« Il y a cette idée reçue quant à ce que les personnes au poids “normal” font pour stabiliser celui-ci », note Andrew Kraftson, directeur du Programme de gestion du poids et de la Clinique d’endocrinologie post-bariatrique de l’Université Michigan Health.
Les personnes ayant des problèmes de poids pourraient s’imaginer que les individus avec un corps plus petit pèsent leurs aliments et comptent chaque calorie qu’ils consomment. Mais « ce n’est pas du tout vrai », tempère Andrew Kraftson. Comparer les deux, ajoute-t-il, relève du « raisonnement fallacieux » ; leurs expériences ne sont pas comparables.
Faire de telles comparaisons peut produire une honte intériorisée et conduire à l’idée que certains traitements efficaces tels que la chirurgie bariatrique ou des médicaments à prendre sur le long terme, comme les GLP-1, relèvent de la triche ou de la solution de facilité.
Selon Kimberley Gudzune, le traitement contre l’obésité a radicalement changé en très peu de temps. Quand elle a commencé la pratique de la médecine de l’obésité en 2010, Kimberley Gudzune voyait régulièrement des patients qui n’annonçaient pas à leur famille ou à leurs amis qu’ils cherchaient de l’aide.
« La honte et la stigmatisation qui entourent l’obésité étaient si fortes qu’ils ne souhaitaient pas révéler à qui que ce soit qu’ils cherchaient un traitement », explique Kimberley Gudzune.
Les réseaux sociaux ont rendu ces tensions plus visibles. Si certaines plateformes ont aidé à normaliser les conversations concernant les traitements contre l’obésité, d’autres amplifient les idéaux corporels irréalistes et les préjugés contre les personnes obèses.
Une enquête récente réalisée par Reuters a révélé qu’Instagram promouvait régulièrement du contenu « en lien avec les troubles alimentaires » auprès d’adolescents vulnérables. Mais Kimberley Gudzune reconnaît également que certaines personnes sur les réseaux sociaux ont normalisé le fait de traiter l’obésité. « C’est encore un sujet très débattu », admet-elle, mais les patients sont désormais plus enclins à exprimer leur volonté à chercher une aide professionnelle qu’auparavant.
Le jugement relatif à la volonté demeure un obstacle de taille, à la fois socialement et dans le monde de la santé. En sus, rappelle Kimberley Gudzune, les personnes obèses peuvent vivre avec un « biais intériorisé quant au poids », un type de honte et d’auto-stigmatisation associé à plusieurs problèmes de santé (troubles liés à l’image corporelle, dépression et troubles alimentaires notamment).
Kimberley Gudzune a également entendu d’innombrables fois des patients raconter qu’ils étaient allés consulter un médecin pour un mal de gorge pour s’entendre dire qu’ils devaient perdre du poids. « Ce sont des choses que les gens ont entendues de la bouche de leurs médecins et d’autres professionnels de santé, déplore-t-elle. Cela n’inspire pas qui que ce soit à chercher des soins et un traitement quand on est constamment rabaissé. »
Selon elle, le milieu médical prend de plus en plus conscience du biais lié au poids. Elle espère d’ailleurs que cela rendra les traitements plus accessibles.
COMMENT LES MÉDECINS PERSONNALISENT LES TRAITEMENTS CONTRE L’OBÉSITÉ
Avant qu’Andres Acosta ne parle de maintien du poids à ses patients, il leur explique que le parcours de perte de poids – s’ils choisissent de s'y engager – comprendra des adaptations métaboliques. En tant que médecin et spécialiste de l’obésité, son rôle est de les accompagner et de les aider à surmonter les défis spécifiques qu’ils rencontrent en chemin.
Comme il le rappelle, chacun réagit différemment à la perte de poids, raison pour laquelle il a mis au point un test de phénotypage clinique pour identifier les facteurs spécifiques les plus présents chez un patient obèse ayant du mal à perdre du poids (ou susceptibles de l’empêcher de perdre du poids à l’avenir). Les patients sont classés en quatre groupes : « cerveau vorace », « intestin vorace », « faim émotionnelle » et « métabolisme lent ».
Les personnes appartenant au groupe « cerveau vorace » ont besoin de plus de calories pour se sentir rassasiées. Celles appartenant au groupe « intestin vorace » ont faim peu après avoir mangé. « Faim émotionnelle » renvoie à un besoin de manger pour gérer ses émotions, qu’elles soient positives ou négatives. Et « métabolisme lent » aux personnes dont le métabolisme est réduit.
Selon Andres Acosta, si l’on tient compte du phénotype spécifique d’un patient, celui-ci peut recevoir un traitement et des médicaments personnalisés ciblant les mécanismes sous-jacents de l’obésité, ce qui permet un succès à long terme non seulement pour ce qui est de la perte de poids mais également de maintien au niveau désiré.
Consulter un professionnel de santé peut aider à identifier quelles interventions ou médicaments correspondent le mieux aux objectifs et préférences d’une personne. Selon Kimberley Gudzune, il persiste une « idée sous-jacente » suivant laquelle l’obésité ne devrait pas nécessairement être traitée par un professionnel de santé, mais elle œuvre à changer cela. « Nous ne disons pas aux personnes qui ont une tension élevée, de l’hypertension ou du diabète : “Débrouillez-vous seules” », explique-t-elle.
L’AVENIR DE LA PRISE EN CHARGE DE LA PERTE DE POIDS
Au fond, souligne Andrew Kraftson, la question n’est pas celle d’un nombre sur la balance, mais bien celle de la santé. Le simple fait d’énoncer ses objectifs peut déjà apporter de la clarté, car certains peuvent venir de soi, tandis que d’autres pourraient nous avoir été imposés subconsciemment.
Selon Andrew Kraftson, dans l’idéal, le bon cadre pour accompagner une personne dans la gestion de son poids repose sur une prise en charge globale. Les médecins n’ont pas toujours le temps, ni le savoir-faire nécessaires pour répondre aux besoins d’un patient et ils gagneraient à s’entourer d’une équipe comprenant diététiciens et professionnels de la santé mentale. « Ce n’est pas qu’une question d’ordonnance », prévient-il. L’obésité est une maladie complexe et chronique sans explication unique. La biologie, l’environnement et la santé mentale sont autant de facteurs qui entrent en ligne de compte.
« Tout notre environnement construit va à l’encontre notre santé, observe Andrew Kraftson. Il faudrait un investissement considérable pour changer cela. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.