Observation d'une étrange forme de glace chaude super-ionique

Ce matériau que l'on pensait ne pouvoir trouver que dans les profondeurs de Neptune et d'Uranus a été observé sur Terre.

De Adam Mann
De gauche à droite, dans ce rendu artistique, les lasers à haute puissance se concentrent sur ...
De gauche à droite, dans ce rendu artistique, les lasers à haute puissance se concentrent sur la surface d’un diamant, générant une séquence d’ondes de choc se propageant dans un échantillon d’eau, comprimant et chauffant simultanément l’échantillon initialement liquide et le faisant geler en mode superionique.
PHOTOGRAPHIE DE ILLUSTRATION DE MILLOT, COPPARI, HAMEL, KRAUSS (LLNL)

Des mers de l'Antarctique aux tréfonds de votre congélateur, la majeure partie de la glace sur Terre est relativement apprivoisée par l'Homme. Mais dans tout le système solaire et au-delà, des températures et des conditions extrêmes peuvent écraser la substance gelée en variétés pour le moins étranges.

Des chercheurs ont récemment pris des clichés aux rayons X de ce qui pourrait être l'état de glace le plus récemment découvert : un matériau hautement conducteur d'électricité appelé glace super-ionique. Comme le rapporte aujourd’hui l’équipe de recherche dans la revue Nature, cette glace présente une pression entre un et quatre millions de fois supérieure à celle du niveau de la mer et une température moitié moins chaude que la surface du Soleil.

« Oui, nous parlons de glace », déclare Marius Millot, directeur de l'étude et physicien au laboratoire national Lawrence Livermore en Californie. « Mais l'échantillon est à plusieurs milliers de degrés. »

Bien que normalement inobservables sur Terre, de telles conditions sont supposées être présentes sur des planètes comme Uranus et Neptune, ce qui pourrait aider à expliquer le fonctionnement de ces mondes lointains, notamment les origines de leurs champs magnétiques inhabituels.

 

AU-DELÀ DE LA SCIENCE-FICTION

Les scientifiques connaissent déjà 17 variétés de glace cristalline (les fans de Kurt Vonnegut seront soulagés d'apprendre que Ice IX est relativement inoffensif comparé à son équivalent fictif). Il y a plus de 30 ans, les physiciens prédisaient déjà qu'une pression écrasante pourrait faire passer l'eau à une forme super-ionique.

Les matériaux sont doubles, à la fois solides et liquides. Au niveau microscopique, on observe un réseau cristallin imprégné de noyaux atomiques flottants pouvant être porteurs d'une charge électrique. Dans l'eau, ou H2O, les atomes d'oxygène se transformaient en un cristal solidifié, tandis que les protons d'hydrogène se présentaient sous forme liquide. (Récemment, une autre équipe de scientifiques travaillant sur le potassium a confirmé l’existence d’un état de la matière à la fois solide et liquide.)

« C'est un état de la matière assez exotique», indique la coauteure Federica Coppari qui travaille également au laboratoire Livermore.

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    Dans cette image d'une expérience de diffraction de rayons X, les lasers géants se concentrent sur l'échantillon d'eau, qui repose sur la plaque frontale de l'outil de diagnostic utilisé pour enregistrer les diagrammes de diffraction. Des faisceaux laser supplémentaires génèrent un rayon X sur une feuille de fer, ce qui permet aux chercheurs de prendre un instantané de la couche d’eau comprimée et chauffée.
    PHOTOGRAPHIE DE Millot, Coppari, Kowaluk LLNL

    L'année dernière, Millot, Coppari et leurs collègues ont découvert la première preuve de glace super-ionique, usant d'ondes de choc induites par laser pour comprimer l'eau liquide à un point tel que celle-ci s'est transformée en glace solide pendant quelques milliardièmes de seconde. Les mesures de l’équipe ont montré que la glace était brièvement devenue des centaines de fois plus conductrice qu’elle ne l’était auparavant, ce qui laisse supposer qu’elle était devenue super-ionique.

    Lors de leurs derniers tests, les chercheurs ont utilisé six faisceaux laser géants pour générer une séquence d'ondes de choc qui ont transformé une mince couche d'eau liquide en glace solidifiée à des millions de fois la pression de la surface de la Terre et entre 3 000 et 5 000 degrés Fahrenheit. Des flashes de rayons X parfaitement synchronisés ont sondé la configuration, qui n'a duré que quelques milliardièmes de secondes, et a révélé que les atomes d'oxygène avaient effectivement pris une forme cristalline.

    Les chercheurs ont constaté que l’oxygène était concentré dans de petits espaces semblables à des cubes, occupé par un atome à chaque coin et un au centre de chaque côté. Coppari explique que c'est la première fois que de l'eau solidifiée se présente d'une telle façon. L'équipe a proposé d'appeler cette nouvelle formation Ice XVIII.

    Bien qu'il y ait eu un certain chevauchement entre les deux expériences, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour prouver définitivement que la glace peut être super-ionique, comme le confirme Roberto Car, physicien de l'Université de Princeton qui n'a pas pris part aux travaux. Néanmoins, il considère que l'étude est une illustration importante de la variabilité de l'eau.

    « Le fait que la matière puisse s'organiser sous une telle variété de formes est assez étonnant », dit-il.

     

    MYSTÈRES MAGNÉTIQUES

    Les résultats de l'équipe nous renseignent déjà sur les modèles de planètes telles qu'Uranus et de Neptune. Souvent connus sous le nom de géantes de glace, ces mondes immenses sont composés à environ 65 % d'eau, auxquels s'ajoutent de l'ammoniac et du méthane, qui forment des couches semblables à celles de la surface, du manteau et du noyau rocheux terrestres.

    Les nouvelles expériences indiquent qu'Uranus et Neptune devraient avoir une couche de glace super-ionique qui agit comme le manteau de notre planète, constituée de roches solides qui coule toujours sur des échelles de temps géologiques extrêmement longues. Et cela pourrait aider à expliquer pourquoi ces planètes ont des champs magnétiques si singuliers.

    On pense que les champs magnétiques de la Terre, de Jupiter et de Saturne ont été créés par des dynamiques internes près de leurs noyaux. Les champs de ces planètes s'alignent assez étroitement sur leurs axes, comme s'ils suivaient des barres magnétiques traversant leur centre. 

    Le champ magnétique de Neptune, en revanche, semble suivre une barre interne ayant dérivé sur un côté, ses extrémités émergeant de points situés à mi-chemin de l’équateur. Uranus est encore plus étrange, comme si une même barre aimantée s'était renversée, ce qui signifie que son pôle sud fait saillie dans l'hémisphère nord de la planète. Les champs magnétiques des deux géantes de la glace sont pensés instables.

    Millot suggère qu'il pourrait y avoir une couche liquide au bord supérieur de la couche de glace super-ionique d'Uranus et de Neptune, mais qu'il s'agit également d'une phase de l'eau hautement conductrice d'électricité. Les champs magnétiques de ces planètes pourraient y trouver leur origine, beaucoup plus près de la surface que les champs magnétiques d’autres mondes, ce qui pourrait expliquer leurs singularités. Et comme que les astronomes ont découvert de nombreuses exoplanètes de la taille de Neptune et d’Uranus, les résultats de ces recherches pourraient potentiellement s’appliquer à des régions très éloignées de notre système solaire.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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