Le séisme qui a touché la France est un véritable mystère géologique

Un tremblement de terre singulièrement peu profond a secoué le sud-est du pays le 11 novembre et depuis, les scientifiques s’interrogent sur son origine.

De Maya Wei-Haas
Publication 19 nov. 2019, 12:32 CET
Le 11 novembre, un séisme de magnitude 4,8 a frappé le sud-est de la France, endommageant ...
Le 11 novembre, un séisme de magnitude 4,8 a frappé le sud-est de la France, endommageant les bâtiments et blessant quatre personnes. La petite ville du Teil est celle qui a subi le plus de dégâts avec des centaines d’infrastructures fissurées ou effondrées comme le montre cette image du quartier de Rouvière.
PHOTOGRAPHIE DE Jeff Pachoud, AFP via Getty Images

Quelques secondes avant midi, alors que Clément Bastié et sa famille préparaient leur déjeuner dans la petite ville du Teil, les murs ont commencé à trembler, envoyant verres et assiettes se fracasser au sol, puis un son tonitruant a résonné à travers toute la ville.

La crainte d’une explosion de la centrale nucléaire voisine a immédiatement envahi l’esprit de Clément. Ce professeur de biologie et de géologie au lycée s’est alors précipité dehors en s’attendant à découvrir un immense champignon radioactif. Mais il s’est rapidement aperçu que les tremblements provenaient d’un phénomène certes moins dévastateur, mais tout aussi surprenant pour la région : un séisme venait de fissurer le sol.

D’une magnitude de 4,8, ce tremblement de terre a endommagé bon nombre de bâtiments et blessé 4 personnes. Certaines de ses caractéristiques ont par ailleurs laissé les experts perplexes. Tout d’abord, même si la France n’est pas étrangère aux séismes, ceux qui s’y produisent sont souvent de faible intensité comme l’explique le sismologue Jean-Paul Ampuero de l’université Côte d’Azur. L’événement de lundi n’était que d’intensité modérée sur les échelles internationales, mais par rapport aux standards du pays, c’était un séisme majeur.

Fait encore plus surprenant, le séisme a dessiné une entaille nette en surface, craquant la croûte terrestre comme la coquille d’un œuf. De telles failles sont fréquentes lors de puissants tremblements de terre comme celui de magnitude 7,2 qui avait frappé les environs de la ville de Landers en Californie en 1992. La formation d’une fracture en surface pendant le séisme du Teil a donc donné aux scientifiques matière à se gratter la tête et il leur fallait à présent remonter la piste jusqu'à ses origines.

En étudiant la géodynamique actuelle et passée de la région, les scientifiques espèrent trouver des indices sur ce qui a déclenché cet événement sismique, les raisons de son surprenant déroulement et d’éventuels renseignements sur les forces mécaniques à l’œuvre dans notre planète tremblotante.

« Un séisme aussi surprenant, c’est l’occasion d’apprendre quelque chose de nouveau, » déclare Ampuero.

ESPIONNAGE AÉRIEN

Les séismes du monde entier sont le fruit du ballet nonchalant des plaques tectoniques de notre planète. Dans cette chorégraphie planétaire, les blocs de croûte et de manteau supérieur se bousculent en permanence et les tensions s’accumulent jusqu’à ce que le sol finisse par céder, une rupture qui envoie une série d’ondes sismiques que nous ressentons sous la forme de secousses.

L’activité tectonique de la France est particulièrement compliquée. Le pays repose sur la plaque tectonique eurasiatique qui jouxte la plaque tectonique africaine au sud. Cependant, la frontière entre ces deux plaques est complexe, elle comprend un certain nombre de fragments connus sous le nom de plaques mineures ou microplaques. À mesure que ces plaques secondaires s’entrechoquent, les mouvements variables qui en résultent tiraillent la France dans de multiples directions.

« Nous ne sommes pas face à une grande faille décrochante simple et nettement dessinée comme celle de San Andreas, » indique via Twitter Lucile Bruhat, géophysicienne à l’École normale supérieure de Paris. Même si des séismes majeurs peuvent se produire en France, les mégaséismes comme ceux de Californie se font plus rares.

De plus, habituellement les ruptures modérées n’entraînent pas de fracture en surface, et ce, quelle que soit leur situation géographique, nous explique Raphaël Grandin, géodésiste à l’Institut de physique du globe de Paris. Après la secousse de lundi dernier, Grandin ne s’attendait pas à observer ce type de formation en surface.

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    Les cercles rouges indiquent les tremblements de terre enregistrés la semaine du 11 novembre par l'USGS (en fonction de la magnitude). Les lignes rouges représentent les limites de la plaque, les lignes minces représentent les limites de la microplaque.
    PHOTOGRAPHIE DE Source: U.S. Geological Survey

    « Mais puisque c’est en France, nous devons l’étudier, » ajoute-t-il. « C’est notre pays. » Grandin et d’autres spécialistes ont donc commencé à ratisser les données radar fournies par les satellites actifs durant le tremblement de terre, ils ont ainsi pu étudier les allées et venues détaillées du sol en surface par rapport au satellite en orbite. Cette analyse a permis de créer une carte aux couleurs de l’arc-en-ciel qui représente les déformations infligées au paysage par le séisme.

    À sa grande surprise, un signal sans équivoque est apparu révélant non seulement une déformation du sol, mais également une fracture en surface.

    Ce phénomène est en partie dû à la profondeur étrangement faible de la secousse. La majorité des grands séismes se déclenchent en profondeur, ils sont le fruit d’une fracture des plaques tectoniques qui se produit généralement entre 4 et 10 km sous la surface. Cette fois, les analyses suggèrent que le séisme aurait déchiré la croûte terrestre à environ 1,6 km de profondeur.

    « C’est un tremblement de terre très peu profond, même pour des standards internationaux » déclare Ampuero.

    À proximité de la surface, le poids des roches sus-jacentes est inférieur, les tensions sont donc moindres et les séismes moins intenses, explique Grandin. Par ailleurs, la profondeur influe sur le comportement des failles, ajoute Ampuero. Alors qu’en profondeur, la tension est habituellement libérée d’un seul coup, ce n’est pas le cas des zones plus proches de la surface où ce relâchement s’effectue plus progressivement.

    « Les roches ont tendance à s’écraser plutôt qu’à se briser, » poursuit-il.

    De tels événements ne sont pas sans précédent ; Grandin évoque par exemple un séisme de magnitude 4,7 qui avait laissé une fracture derrière lui en Australie. Ils sont toutefois considérés comme des phénomènes rares et la nature à la fois modérée et superficielle du séisme qui a touché la France soulève des questions.

     

    À LA RECHERCHE D’UNE FRACTURE

    Afin de trouver plus d’indices, les chercheurs se sont rendus sur le terrain le 13 novembre et ont utilisé les données satellite pour traquer la fissure qui traversait plusieurs routes. À présent, ils mettent tout en œuvre pour étudier le site sous toutes ses coutures, en installant par exemple des sismomètres pour surveiller l’activité de la faille et enregistrer d’éventuels signes supplémentaires de déformation.

    Ampuero et son équipe ont également prélevé de la roche nouvelle à proximité de la faille pour tester ses propriétés en laboratoire et voir si elles pouvaient expliquer la fracture inhabituelle. D’autres scientifiques analysent les images satellites plus anciennes de la région afin d’identifier d’éventuelles déformations passées qui pourraient apporter leur lot de renseignements sur la source du séisme.

    Leur travail a déjà permis de mettre en évidence une curieuse possibilité : l’étrange tremblement de terre pourrait avoir été causé par l’exploitation d’une carrière voisine, c’est ce qu’avance sur Twitter Robin Lacassin de l’Institut de physique du globe de Paris. Il est probable que le plan de faille se prolonge sous la carrière, le retrait considérable de roche aurait donc réduit la tension tectonique normale de la zone et contraint la surface à se réajuster. Ampuero et ses collègues étudient cette possibilité à l’heure actuelle.

    L’une des personnes les plus intriguées par cet événement singulier pourrait bien être Clément Bastie, dont la maison se situe à moins d’un kilomètre d’un segment apparent de la fracture qu’il a exploré en compagnie de scientifiques mercredi dernier.

    « Ces preuves de l’activité de la Terre, je ne les avais vues que dans les livres… et jamais sur le terrain, » rapporte-t-il. « C’était à la fois captivant et effrayant. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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