Découverte d'un immense cratère en Sibérie

Ce trou béant de 50 mètres de profondeur est probablement le fruit d'un cocktail explosif de glace, de boue et de gaz qui pourrait devenir plus fréquent à mesure que la Terre se réchauffe.

De Maya Wei-Haas
Publication 25 sept. 2020, 15:39 CEST
Le nouveau cratère est l'un des plus grands découverts à ce jour une profondeur de 50 m ...

Le nouveau cratère est l'un des plus grands découverts à ce jour une profondeur de 50 m dans le pergélisol.

PHOTOGRAPHIE DE Evgeny Chuvilin

Alors qu'elle survolait les vastes plaines de la toundra sibérienne, une équipe de télévision russe a récemment fait une curieuse observation : un cratère profond comme deux terrains de basket creusé dans le sol gelé. Des blocs de glace et de boue ont été projetés hors de cette cicatrice béante et gisent désormais à plusieurs centaines de mètres de là.

Ce n'est que le dernier venu d'une série d'étranges cratères découverts dans l'Arctique sibérien, le premier remontant à 2014. D'après les scientifiques, leur formation serait le résultat de l'explosion du méthane et du dioxyde de carbone piégés dans un amas de boue et de glace, un phénomène qui pourrait devenir de plus en plus fréquent à mesure que le climat se réchauffe mais qui reste entouré d'incertitudes.

« Nous ne savons toujours pas ce qui se passe, » reconnaît Sue Natali, spécialise du pergélisol au Woodwell Climate Research Center de Falmouth, dans le Massachusetts. « Est-il possible que cela se produise ailleurs ? »

Les études récentes menées sur les autres cratères semblent pointer dans la même direction : le cryovolcanisme, un mécanisme dans lequel les éruptions prennent la forme de coulées de boue glacée plutôt que de roche en fusion. De tels phénomènes ont déjà été observés dans d'autres régions de notre système solaire, notamment sur Encelade la lune glacée de Saturne, mais le cryovolcanisme est plutôt atypique sur notre planète. À ce titre, l'étude des reliefs sibériens pourrait nous en apprendre plus sur la dynamique de ces mondes lointains.

Des chercheurs inspectent le cratère peu de temps après sa découverte dans l'espoir de mieux comprendre la formation de ces reliefs.

PHOTOGRAPHIE DE Evgeny Chuvilin

En outre, cette découverte nous montre à quel point il y a encore tant à apprendre de notre planète bleue à l'heure où les scientifiques en sont encore à démêler l'influence du réchauffement climatique sur notre avenir. « Peut-être existe-t-il des processus susceptibles de se produire auxquels nous n'avons pas encore pensé, » indique Natali. « Nos connaissances sont ce qu'elles sont… et probablement incomplètes. »

 

UN ÉTRANGER EN ARCTIQUE

Le premier cratère sibérien a été découvert au mois de juillet 2014 et les théories du grand public au sujet de sa formation n'ont pas tardé à fuser : météorite, missiles ou extraterrestres, tout y est passé !

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    Depuis, les chercheurs ont identifié 15 autres cratères potentiellement creusés par des explosions naturelles. Le dernier en date porte le numéro 17 et pourrait bien être le plus grand découvert à ce jour, indique Evgeny Chuvilin, spécialiste du pergélisol au Skoltech Center for Hydrocarbon Recovery de Moscou. Les cratères de l'Arctique ne sont pas faciles à étudier, car ils se remplissent d'eau dans les mois ou les années qui suivent l'explosion, ce qui leur donne une allure similaire aux multiples lacs dont est constellée la région.

    Peu après la découverte du cratère 17, Chuvilin et ses collègues se sont empressés d'aller prélever des échantillons de ses entrailles glacées au niveau de la péninsule du Yamal dans le nord-ouest de la Sibérie. Avec le gris, le jaune et le vert de la toundra pour toile de fond, le cratère se démarque immédiatement comme « quelque chose d'étranger, » témoigne Chuvilin. « Lorsqu'on s'approche d'un cratère, on est tout d'abord frappé par sa taille, » poursuit-il. Des bruits se font entendre à mesure que ses parois quasi verticales fondent et s'écroulent pour rejoindre les profondeurs, « ce qui donne l'impression d'un cratère vivant. »

    À l'heure actuelle, l'équipe procède à une « analyse urgente » des échantillons en vue d'une publication dans une revue scientifique, nous explique Chuvilin par e-mail.

    Les chercheurs espèrent non seulement mieux comprendre les processus à l'œuvre derrière ces explosions mais aussi être en mesure de prévoir là où elles pourraient survenir à l'avenir. Ces explosions représentent un danger potentiel pour les locaux qui ont signalé avoir entendu des déflagrations ou vu des flammes à proximité des cratères, rapporte Andrey Bychkov, géochimiste à l'université d'État Lomonossov de Moscou qui a déjà étudié d'autres cratères mais n'a pas encore eu l'occasion d'explorer le dernier. En 2017, l'explosion d'un cratère a été signalée non loin d'un camp d'éleveurs Nénètses de rennes. La menace concerne également les nombreuses infrastructures d'exploitation pétrolière et gazière de la région.

     

    COCKTAIL EXPLOSIF

    L'analyse des autres cratères à travers notamment l'échantillonnage de leurs parois glacées a permis de glaner quelques indices sur les causes de ce phénomène. En 2018, Bychkov et ses collègues ont suggéré que les déflagrations étaient une forme de cryovolcanisme reposant sur une combinaison explosive de gaz, de glace, d'eau et de boue.

    Les cratères se forment dans le pergélisol, le sol généralement gelé tout au long de l'été qui recouvre plus de 23 millions de kilomètres carrés de l'hémisphère Nord. Leur point d'origine semble être de profondes poches de sol dégelé, connues sous le nom de taliks, dont la formation survient fréquemment sous les lacs où l'eau sus-jacente réchauffe et isole le sol qu'elle recouvre. Cependant, les lacs sont en constante évolution au rythme du gel et dégel du pergélisol environnant, il leur arrive fréquemment de se remplir ou de se vider complètement. Et lorsqu'un lac se vide, son bassin gèle à nouveau, tout comme le talik qu'il recouvrait.

    « Le regel peut se faire par le bas, les côtés et le haut, il gèle donc dans toutes les directions, » illustre Katey Walter Anthony, écologiste au sein de l'université d'Alaska à Fairbanks. Puisque la glace est plus volumineuse que l'eau, la formation de glace compresse la mixture dégelée du talik, ce qui comprime et met sous pression l'eau et les gaz jusqu'à former une colline en surface appelée pingo.

    Tous les cratères ne sont pas liés à des lacs, précise Natali. Les taliks peuvent se former dans d'autres situations, par exemple dans une zone souterraine à forte teneur en sel, ce qui réduit la température à laquelle l'eau gèle. Certains pingos sont alimentés en permanence par la remontée des eaux souterraines.

    Les pingos sont un relief commun de l'Arctique, avec plus de 11 000 à travers l'hémisphère Nord, mais les explosions créatrices de cratères semblent être nettement plus rares. Elles n'ont été observées qu'au niveau des péninsules sibériennes de Yamal et Gydan. De plus, ces explosions nécessitent la présence en excès d'un ingrédient particulier : le gaz.

    La Sibérie occidentale regorge de gaz naturel et il est probable qu'une partie de ce gaz remonte par infiltration le long des fissures et des zones poreuses du sol jusqu'à la poche malléable du talik. Il existe également d'autres sources potentielles de gaz. Les microbes grignotent la matière organique qu'ils expulsent ensuite sous la forme de méthane et de dioxyde de carbone. Certains de ces gaz peuvent également provenir de la décomposition des hydrates de méthane, une forme cristalline du métal.

    « Il n'y a peut-être pas qu'une seule explication, » indique Natali. Différents monticules peuvent avoir différentes origines gazeuses, mais ces gaz servent tous un but similaire : la mise sous pression. À un certain moment, à cause de la pression croissante du gaz ou d'une déstabilisation de la couche de glace supérieure, le système se déchargera dans une explosion puissante capable de projeter la boue à bonne distance en surface et de laisser derrière elle un cratère aux flancs abrupts et profonds.

    « Un peu comme le champagne, » illustre Bychkov.

     

    CLIMAT ET AU-DELÀ

    L'étude de ces explosions pourrait nous aider à comprendre les explosions glacées qui surviennent sur d'autres corps de notre système solaire. Plus particulièrement, les cratères sibériens se montrent curieusement similaires au cryovolcanisme de la planète naine Cérès dont certains ingrédients rappellent ceux observés en Arctique, contrairement aux cryovolcans d'autres mondes lointains, nous explique Lynnae Quick, géophysicienne des planètes spécialisée dans le cryovolcanisme au Goddard Space Flight Center de la NASA.

    « Cérès est vraiment intéressante, car elle dispose d'un sol rocheux qui contribue à ces processus, ce qui n'est pas le cas des lunes de glace, » poursuit-elle. « Nous tentons toujours de comprendre ce que nous avons devant les yeux ici. »

    D'autres questions restent en suspens quant aux cratères de Sibérie. L'une d'entre elles concerne leur lien avec le changement climatique. L'Arctique a subi plusieurs vagues de chaleur inhabituelle ces dernières années. Rien que cet été, le 20 juin, la petite ville de Verkhoïansk, en Russie, enregistrait une température record de 38 °C, la plus haute que la région ait connue depuis le début des relevés en 1885.

    Bien que les cratères semblent s'être multipliés depuis leur découverte en 2014, il est tout à fait possible que ce phénomène existe depuis des milliers d'années sans que nous l'ayons remarqué auparavant, observe Walter Anthony. Les survols de la région se font plus fréquents et la population a considérablement augmenté, particulièrement celle de Yamal. « Aujourd'hui, il y a un chemin de fer et des villes immenses. »

    Quoi qu'il en soit, le réchauffement climatique contribue peut-être à augmenter la fréquence des explosions, puisque la fonte déstabilise le bouchon glacé des poches de gaz, ce qui déclenche la déflagration. Le dégel peut également améliorer les connexions entre le sol et la surface en créant des « cheminées » à travers lesquelles les gaz profondément enfouis remontent plus facilement jusqu'aux taliks, ajoute Walter Anthony.

    En ce qui concerne la contribution de ce phénomène aux gaz à effet de serre, les volumes de méthane et de dioxyde de carbone libérés par chaque explosion sont probablement négligeables. Cependant, les explosions pourraient offrir « un aperçu à court terme d'un phénomène étalé dans le temps, » suggère Walter Anthony.

    Le changement climatique a déjà infligé un lourd bilan à l'Arctique, dont le réchauffement est deux fois plus rapide que le reste de la planète. Chaque année, une couche de plus en plus épaisse du pergélisol riche en carbone dégèle et dans certaines zones, le sol ne regèle pas, même pendant l'hiver. Ce dégel permet aux microbes de dévorer la matière organique autrefois gelée qu'ils transforment en dioxyde de carbone et méthane, mais ce n'est pas tout. Le pergélisol agit comme un opercule au-dessus des stocks de méthane géologique profondément enfouis sous terre en freinant son ascension vers l'atmosphère, explique Walter Anthony. À mesure que le pergélisol fond, cet opercule pourrait devenir de plus en plus poreux et laisser le méthane rejoindre plus facilement la surface.

    Walter Anthony étudie ce phénomène sur les lacs de l'Arctique et indique que les récentes études sur la formation des cratères pourraient être autant de preuves de la remontée des gaz en surface. « À mesure que le pergélisol se transforme en bloc d'emmental, nous devrions en voir de plus en plus, » conclut-elle.

    « C'est un joker dans l'histoire du changement climatique. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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