Ce squelette de T-Rex a été vendu pour 31,8 millions de dollars et les scientifiques sont furieux

Le fossile avait une valeur inestimable aux yeux des paléontologues, mais maintenant qu’il appartient à un acquéreur inconnu, les spécialistes craignent de ne plus pouvoir l'étudier.

De Michael Greshko
Publication 14 oct. 2020, 15:36 CEST
Le fossile de Tyrannosaurus rex, baptisé Stan, est exposé dans une galerie de la maison de vente ...

Le fossile de Tyrannosaurus rex, baptisé Stan, est exposé dans une galerie de la maison de vente aux enchères Christie’s, à New York, le 17 septembre 2020.

PHOTOGRAPHIE DE Spencer Platt, Getty Images

Voilà plus de 30 ans que Stan Sacrison, paléontologue amateur, a découvert dans le Dakota du Sud un titan terrestre : le fossile presque complet d’un Tyrannosaurus rex mesurant près de 12 mètres de long. Baptisé « Stan » en l’honneur de la personne qui l’a découverte, la bête a été mise au jour en 1992 et était une résidente de longue date de l’Institut privé de recherche géologique des Black Hills, à Hill City, dans le Dakota du Sud. Si vous ne vous y êtes jamais rendu, il y a de grandes chances pour que vous ayez quand même vu ce T-Rex en particulier. Des dizaines de moulages de grande qualité de ses os sont exposées dans les musées du monde entier, de Tokyo à Albuquerque, au Nouveau-Mexique.

Mais voilà que le marteau du commissaire-priseur a scellé l’avenir de Stan, qui reste inconnu, après la vente des os du dinosaure au plus haut enchérisseur, toujours anonyme à l’heure actuelle. Une situation qui fait craindre chez les spécialistes que ce T-Rex adoré ne soit perdu pour la science.

Le 6 octobre dernier, la maison de vente aux enchères londonienne Christie’s a vendu le T-Rex pour la somme record de 31,8 millions de dollars, soit près de 27 millions d’euros, le prix le plus élevé jamais atteint pour un fossile lors d'une vente aux enchères. Le précédent record datait de 1997, lorsque « Sue », un T-Rex en grande partie complet mis à jour par le même Institut du Dakota du Sud, finalement acheté par le musée Field d’histoire naturelle de Chicago, a été vendu pour la modique somme de 8,36 millions de dollars (soit près de 13,5 millions de dollars aujourd’hui ou 11,5 millions d’euros).

Le lendemain de la vente de Stan, Lindsay Zanno, paléontologue au musée des sciences naturelles de Caroline du Nord, a décrit le montant de la vente comme « tout simplement hallucinant ».

« Il s’agit d’un prix astronomique qui frôle l’absurdité, d’après mes connaissances du marché », renchérit David Evans, paléontologue et président de la paléontologie des vertébrés au Musée royal de l’Ontario, à Toronto. Il indique que l’acheteur anonyme aurait pu dépenser ce montant à meilleur escient, pour aider à approfondir les connaissances sur ces animaux préhistoriques par exemple. « Si cette somme d’argent [était] correctement investie, elle pourrait facilement financer 15 postes de recherche permanents en paléontologie ou environ 80 expéditions sur le terrain par an, de manière quasi infinie », écrit-il dans un entretien par e-mail.

Les scientifiques ont également fait part de leurs inquiétudes quant aux conséquences négatives que cette vente serait susceptible d’avoir sur l’étude des dinosaures, notamment en encourageant les gens à chercher et vendre des fossiles bien conservés plutôt que de permettre aux paléontologues de les étudier.

« C’est terrible pour la science ; cela profite aux groupes commerciaux et les encourage à exploiter les fossiles de dinosaures de l’ouest des États-Unis », déclare Thomas Carr, spécialiste du tyrannosaure et paléontologue au Carthage College, dans le Wisconsin.

S’il s’avère que l’acheteur est un collectionneur privé, les paléontologues craignent que les chercheurs et le public ne puissent plus avoir accès au fossile, limitant ainsi les capacités des premiers à reproduire des résultats comme la mesure des os ou à mener de nouvelles analyses en utilisant des outils et des techniques plus sophistiqués.

La capacité à reproduire des expériences est « une doctrine de la science, cela fait partie intégrante de nos fondements éthiques », explique Lindsay Zanno. « Le monde de la paléontologie retient son souffle » en attendant de découvrir ce que sera l'avenir de Stan.

 

UNE VENTE FORCÉE

L’Institut de Black Hills est sans doute plus connu pour son implication dans la collecte, et les années de bataille judiciaire pour la garde du T-Rex prénommé Sue, qui a entraîné une perquisition par le FBI et un différend juridique avec les Sioux de Cheyenne River. Car la vente de Stan est également le résultat d’une décision judiciaire.

L’Institut de Black Hills a exposé Stan pendant des années dans son musée de Hill City. Outre la vente de moulages en résine à d’autres musées, l’Institut a permis aux chercheurs d’accéder au fossile. Un flot de publications scientifiques s’en est suivi, traitant de nombreux sujets, comme l’énorme puissance de morsure du T-Rex ou encore la manière dont le crâne du dinosaure pouvait fléchir et bouger.

« Le squelette de Stan est sans conteste l’un des spécimens de Tyrannosaurus rex les mieux conservés mis au jour et il a fait l’objet de nombreuses publications dans la littérature scientifique », précise David Evans. « Stan est l’un des spécimens clés de voûte pour la compréhension du T-Rex ».

À titre d’exemple, Thomas Carr a inclus Stan dans trois études du début de sa carrière portant sur la diversité du tyrannosaure et la forme de son crâne. Il regrette désormais cette décision, car le fossile a toujours appartenu à des entités privées et risquait donc d’être vendu. « En fin de compte, j’ai fini par contribuer à l’efficace argumentaire de vente du fossile… Avec 45 autres publications scientifiques ayant pour sujet Stan », confie-t-il. « Nous n’aurions pas dû le toucher avec une perche de trois mètres ».

C’est en 2015 qu’a commencé le parcours de Stan vers les salles de vente aux enchères, quand Neal Larson, actionnaire détenant 35 % de l’Institut de Black Hills (et frère du président de l’Institut et paléontologue Pete Larson), a attaqué en justice la société pour liquider ses actifs. D’après le Rapid City Journal du Dakota du Sud, celle-ci avait destitué Neal Larson de son conseil d’administration trois ans auparavant, après une dispute cinglante relative aux activités commerciales et au fait qu’il ait défendu un ancien employé accusé d’inconduite sexuelle.

En 2018, un juge a rendu sa décision : Stan devait être vendu aux enchères afin de dédommager Neal Larson pour sa participation dans l’Institut, annonçait le communiqué de presse de la société. Toutefois, malgré la vente du fossile, l’Institut de Black Hills avait toujours le droit de fabriquer et de vendre les futurs moulages d’os du T-Rex, y compris les reproductions en taille réelle du squelette.

« Nous sommes tristes d’apprendre que le gagnant de l’enchère n’est probablement pas un musée, mais nous avons espoir que le nouveau propriétaire finira par exposer Stan, pour que le public puisse continuer à admirer et étudier ce formidable squelette », a annoncé Pete Larson dans un communiqué de presse le 7 octobre dernier.

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    C’est en 2018 que James Hyslop, responsable du service des sciences et de l’histoire naturelle chez Christie’s, a commencé à guider Stan à travers le processus d’enchère. Le 6 octobre dernier, il était au téléphone avec l’enchérisseur anonyme, lui demandant son prix d’achat qui permettrait de rafler le squelette, depuis le bureau londonien de Christie’s.

    Dans un e-mail adressé à National Geographic, James Hyslop s’est refusé à dévoiler l’identité de l’acquéreur et n'a pas non plus souhaité dire si l’acheteur était un collectionneur privé ou une institution de recherche publique. « Comme c’est le cas avec toutes les ventes, nous sommes ravis d’avoir obtenu une promesse solide », écrit-il. « Ce fut un honneur d’avoir l’opportunité de travailler avec un spécimen si extraordinaire ».

     

    UNE GRANDE PERTE POUR LA PALÉONTOLOGIE

    Aux États-Unis, les os de fossiles mis au jour sur des terres fédérales sont des biens publics et peuvent uniquement être collectés par des chercheurs si ces derniers possèdent un permis. Ces restes doivent également rester dans les mains des fondations, dans des entrepôts approuvés, tels que les musées accrédités.

    Toutefois, les fossiles découverts aux États-Unis sur des terres privées peuvent être achetés et vendus. Stan n’est d’ailleurs pas le seul fossile de dinosaure américain ayant été récemment mis aux enchères. En 2018, la maison de vente aux enchères française Aguttes a vendu un squelette d’Allosaurus, un dinosaure prédateur, ce qui lui a valu de s’attirer les foudres des scientifiques. Ces derniers estimaient que cette vente, tout comme celle de Stan, risquait de donner l’idée selon laquelle la valeur de vente des dinosaures était supérieure à la valeur des découvertes qu’ils pourraient permettre.

    La Society of Vertebrate Paleontology (Société de paléontologie des vertébrés, ou SVP), qui représente les paléontologues du monde entier et compte 2 000 membres, s’oppose aux ventes aux enchères de fossiles et lutte depuis longtemps contre l’étude de fossiles privés, de crainte que les chercheurs et le public ne puissent plus les voir. En septembre dernier, l’organisation a envoyé une lettre à Christie’s pour demander à ce que seules les institutions de recherche publiques puissent faire des enchères sur Stan. Dans sa réponse, Christie’s dit avoir pris connaissance de la position de la société, mais explique ne pas pouvoir restreindre la vente, comme l'explique Emily Rayfield, paléontologue à l’université de Bristol et présidente actuelle de la SVP, qui a co-signé la lettre de la société.

    « L’importante visibilité de l’enchère et la publicité autour de cet événement ont été conçues pour attirer des enchérisseurs très riches, ce qui a provoqué une augmentation du prix du fossile et fait la promotion de ceux-ci en tant qu’articles de luxe », écrit Emily Rayfield par e-mail. « Comment les institutions publiques peuvent-elles dépenser une telle somme sur un seul spécimen de fossile, alors que cet argent pourrait financer des emplois, des programmes sur le terrain, des formations, des expositions et bien plus encore ? ».

    D’autres pays adoptent des positions plus fermes relatives au commerce des fossiles. Au Canada, les fossiles mis au jour dans la province de l’Alberta ne peuvent pas être exportés, conformément à une loi datant des années 1970, qui considère que les fossiles font partie intégrante de l’héritage naturel de l’Alberta. L’adoption de lois similaires est d’actualité dans les hauts lieux de la paléontologie, comme au Brésil, en Chine et en Mongolie. Toutefois, d’après David Evans, la vente sur le marché noir de fossiles dans ces pays persiste, en partie à cause de l’attrait d’une importante paye.

    « La vente de Stan va perpétuer le pillage de fossiles protégés d’une manière considérable », déclare-t-il. « Cela me fend le cœur ».

    Jessica Theodor, paléontologue à l’université de Calgary et prochaine présidente de la SVP, ajoute que les ventes aux enchères, en plus d’évincer les chercheurs, peuvent avoir une influence sur la chasse aux fossiles pour les années à venir. Elle confie qu’après la vente de Sue pour plusieurs millions de dollars en 1997, certains chercheurs américains ont été exclus des terres privées où ils travaillaient depuis des décennies, principalement parce que les propriétaires terriens voulaient vendre les fossiles ou céder les droits d’excavation de fossiles sur leurs terres à des sociétés privées. Les paléontologues constatèrent également une augmentation du vandalisme sur les sites fossilifères, parce que les voleurs essayaient de voler ce qu’ils pensaient être des restes de valeur.

    « Une grande vente comme celle-ci risque de causer plus de tort que [la vente de] Sue », avertit Jessica Theodor.

     

    LES PALÉONTOLOGUES MONTENT AU FRONT

    Aux États-Unis, les chercheurs commerciaux de fossiles affirment depuis longtemps que leur modèle commercial permet de mettre au jour des fossiles importants, car davantage de personnes creusent, motivées par l’aspect lucratif de la pratique. Les sociétés les plus réputées mettent au jour et préparent les fossiles selon des normes strictes et contactent les chercheurs lorsqu’elles découvrent des restes d’une grande importance scientifique.

    Au mieux, ce système permet de trouver et de protéger des fossiles inestimables, comme le dinosaure cuirassé Zuul crurivastator, mis au jour en 2014 par la société Theropoda, spécialisée dans le commerce de fossiles, sur les terres privées d’un ranch situé dans le Montana. Après avoir réalisé ce qu’elle venait de découvrir, la société a contacté le Musée royal de l’Ontario au Canada, qui a envoyé sur place des chercheurs et a acquis le fossile en 2016 pour un montant inconnu.

    Malgré le débat autour des ventes commerciales, les guerres d’enchères peuvent faire monter le prix d’un fossile bien au-delà de ce que pourrait se permettre une université ou un musée. Par conséquent, les fossiles qui auraient dû intégrer des fondations entrent à la place dans des collections privées.

    Lors de la vente aux enchères de mardi dernier, deux enchérisseurs ont fait grimper le prix de Stan de plusieurs millions de dollars en l’espace de quelques minutes. Cette hausse vertigineuse a exclu la plupart des institutions publiques, tout particulièrement cette année, en raison de la crise de COVID-19 qui a obligé les musées du monde entier à revoir leur budget à la baisse.

    Les paléontologues contactés par National Geographic demandent au nouveau propriétaire anonyme de Stan de faire don du spécimen de T-Rex à un musée ou une institution de recherche.

    « Faites ce qui est juste : renoncez complètement à votre titre de propriété du fossile et faites-en don à un musée d’histoire naturelle accrédité, pour que la science puisse suivre son cours de manière éthique en étudiant Stan et que cela bénéficie à chaque personne sur Terre qui s’intéresse aux dinosaures », demande Thomas Carr.

    « Vous avez l’opportunité de partager un trésor avec le monde », ajoute Lindsay Zanno. « C'est rare, alors saisissez-la ».

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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