Découverte d'écailles sensorielles sur le fossile d’un Juravenator

Les écailles sensorielles présentes sur la queue de ce dinosaure ayant vécu en Europe au Jurassique l’auraient aidé à chasser dans l’eau la nuit.

De John Pickrell
Publication 8 oct. 2020, 14:39 CEST
Des écailles en bon état de conservation provenant de la queue d’un Juravenator, un petit dinosaure ...

Des écailles en bon état de conservation provenant de la queue d’un Juravenator, un petit dinosaure prédateur ayant vécu il y a 150 millions d’années dans ce qui est aujourd'hui l'Allemagne, présentent de petites bosses. Il s’agirait, d’après les scientifiques, d’organes sensoriels.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration de Jake Baardse

Un dinosaure de la taille d’un poulet ayant vécu dans l’actuelle Allemagne il y a 150 millions d’années aurait utilisé les écailles sensorielles présentes sur sa queue pour chasser des poissons pendant la nuit. Grâce à ces organes sensoriels, remarquablement similaires à ceux des crocodiles, l’animal aurait été capable de comprendre son environnement tout en pataugeant dans les lagons peu profonds d’un archipel préhistorique qui recouvrait l’Europe.

Le seul fossile connu de l’espèce Juravenator starki présente un squelette en grande partie complet, quelques tissus mous préservés ainsi que de la peau autour de la queue présentant un motif unique sur les écailles, comme l’a indiqué hier la revue Current Biology.

« La peau est rarement conservée sur les fossiles, donc, lorsque nous essayons d’imaginer ce à quoi pouvaient ressembler les dinosaures juste à partir des ossements mis au jour, les détails relatifs à la peau de leur corps sont souvent approximatifs », explique Stephanie Drumheller-Horton de l’université du Tennessee, qui n’a pas pris part à la nouvelle recherche. « Les tissus mous peuvent réellement étoffer nos interprétations de ces groupes ».

Le fossile holotype de Juravenator starki révèle la structure du squelette de l’animal et présente des écailles fossilisées provenant de sa queue.

PHOTOGRAPHIE DE Phil R. Bell

Les bosses circulaires visibles sur les écailles fossilisées ressemblent à des organes sensoriels tégumentaires, qui couvrent le corps des crocodiles modernes. Ces derniers utilisent ces organes pour détecter le mouvement des proies l’entourant, ainsi que pour jauger la température et l’acidité de l’eau.

Les chercheurs ont longtemps supposé que les dinosaures se servaient uniquement de leurs écailles pour se protéger, « mais en réalité, les écailles sont des organes hautement adaptés qui remplissent de nombreuses fonctions et rôles », déclare Phil Bell, auteur de l’étude et paléontologue à l’université de la Nouvelle-Angleterre en Australie. « Il est passionnant de les voir en personne et de savoir comment Juravenator aurait interagi avec son environnement grâce à sa capacité sensorielle ».

 

PREMIERS ORGANES SENSORIELS DÉCOUVERTS CHEZ UN DINOSAURE

En examinant pour la première fois la bande d’anneaux concentriques sur la partie inférieure de la queue, Phil Bell et Christophe Hendrickx, de l’Unidad Ejecutora Lillo en Argentine et co-auteur de l’étude, pensaient que le motif inhabituel était un effet de la préservation du fossile.

Mais, « ils étaient très réguliers, presque tous de la même taille, et se limitaient à la bande située sous la queue. Il ne faisait donc aucun doute qu’il s’agissait de caractéristiques réelles et qu’elles avaient une anatomie très particulière », explique Phil Bell. Des examens plus poussés à l’aide de microscopes et sous lampe UV ont révélé que ces anneaux avaient une structure similaire à celle des organes sensoriels tégumentaires des crocodiles.

Les organes sensoriels tégumentaires des crocodiles « sont tout à fait uniques, ils ressemblent à un dôme central entouré d’un anneau semblable à des douves », décrit le chercheur. « Ils sont couramment appelés points tactiles ou organes sensibles à la pression et leur construction est apparemment identique à ce que nous avons observé chez Juravenator ».

Paul Barrett, paléontologue au Muséum d’histoire naturelle de Londres, n’a pas pris part à la nouvelle étude. Mais, d’après lui, s’il est possible que les écailles avaient une fonction purement ornementale, « les auteurs ont des arguments solides » quant au fait qu’elles avaient une fonction sensorielle. Il ajoute que la similarité avec les écailles des crocodiles modernes « est frappante ».

Phil Bell souligne que si des organes sensoriels tégumentaires sont bien présents sur les écailles du Juravenator, ils seront les premiers organes sensoriels de ce type à avoir été découverts sur la peau d’un dinosaure.

« À l’image d’autres animaux, les dinosaures auraient eu besoin de collecter des informations sur leur environnement pour chercher de la nourriture et de se déplacer efficacement », explique Paul Barrett. « Le toucher, en plus de la vue, de l’odorat et de l’ouïe, leur aurait permis d’obtenir ces informations d’une autre manière ».

« La morphologie des écailles est inédite chez les dinosaures et elle ressemble fortement » à celles des crocodiles modernes, déclare Caleb Brown, conservateur en systématique et évolution des dinosaures au Musée royal de Tyrrell, au Canada, qui n’a pas pris part à la nouvelle étude.

Le conservateur suggère que les spécialistes étudient d’autres spécimens de dinosaures avec une peau en bon état de conservation dans les collections de fossiles pour voir s’ils présentent des écailles sensorielles similaires, qui seraient précédemment passées inaperçues.

 

RARE APERÇU DE LA BIOLOGIE DES DINOSAURES

D’après Phil Bell et  Christophe Hendrickx, les écailles auraient pu servir pour la chasse, comme c’est le cas chez les crocodiles, permettant ainsi à Juravenator de détecter le mouvement des proies l’entourant tandis qu’il pataugeait dans l’eau à la recherche de poisson.

La grande taille des yeux du spécimen semble indiquer que ce dinosaure était un animal nocturne. Et si le contenu des intestins du fossile n’a pas été conservé, d’autres dinosaures apparentés avaient du poisson fossilisé dans l’estomac.

« Il se peut que Juravenator était un dinosaure uniquement nocturne, ce qui aurait rendu les capacités sensorielles contrecarrant les faibles conditions lumineuses encore plus essentielles », écrivent les auteurs dans la nouvelle étude. Ils affirment que cette stratégie de chasse prend tout son sens au vu des nombreux lagons peu profonds et des eaux côtières qui bordaient l’Europe au Jurassique.

Selon une précédente étude, des organes sensoriels similaires étaient présents sur la face d’un dinosaure apparenté au Tyrannosaurus, remarque Stephanie Drumheller-Horton, mais « ces études avaient été réalisées de l’intérieur vers l’extérieur, puisqu’elles s’intéressaient aux canaux des vaisseaux sanguins et des nerfs préservés dans les os du crâne ».

Jusqu’à présent, trouver des preuves d’organes sensoriels externes sur d’autres parties du corps des dinosaures s’est avéré difficile. Il est rare d’avoir un aperçu de la biologie des dinosaures, et lorsque cela est le cas, il provient en majorité de leurs os, ou, plus récemment, de leurs plumes.

« Les gens aiment l’idée selon laquelle tous les dinosaures avaient des plumes, mais ce n’est pas entièrement vrai », indique Phil Bell. « Les plumes semblent avoir été répandues chez une branche spécifique de l’arbre des théropodes, tandis que la plupart des dinosaures avaient des écailles ».

Les futurs spécimens comportant de la peau fossilisée pourraient donner des informations supplémentaires sur la manière dont vivaient ces animaux préhistoriques. « Nous avons beaucoup à apprendre des squelettes d’animaux éteints au sujet de leur biologie et de leur comportement », déclare Caleb Brown. « Lorsqu’une conservation exceptionnelle dévoile les détails de la peau, nous obtenons un aperçu d’un monde totalement différent. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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