Il y a 1.2 milliard d'années, ce bloc de 250 000 tonnes s'est écroulé - Ce que l'on sait

Une équipe de géologues pourrait avoir identifié la chute de pierres la plus ancienne jamais découverte sur Terre.

De Maya Wei-Haas
Publication 10 oct. 2020, 10:00 CEST
Cette photographie aérienne montre les falaises côtières de Clachtoll, dans le nord-ouest de l’Écosse. L’ancien bloc ...

Cette photographie aérienne montre les falaises côtières de Clachtoll, dans le nord-ouest de l’Écosse. L’ancien bloc rocheux repose le long de la côte sur la droite de l’image, formant une colline le long d’une petite plage.

PHOTOGRAPHIE DE Iain Masterton, Alamy Stock Photo

La pluie et le vent battaient la côte du nord-ouest de l’Écosse tandis que Zachary Killingback inspectait une roche coincée dans la boue. Ce vieux bloc de roche n’avait rien d'ordinaire : pesant près de 250 000 tonnes et de la taille d’un gros-porteur, il est tombé pour atteindre sa position actuelle il y a 1,2 milliard d’années, ce qui en fait la plus ancienne chute de pierres jamais découverte sur Terre.

À l’époque, Zachary Killingback était étudiant en master à l’université de Durham, en Angleterre, et il voulait savoir ce qu’il s’était passé dans les quelques secondes catastrophiques de la chute de ce bloc rocheux. Si des roches tombent des falaises depuis que la Terre s’est suffisamment refroidie pour permettre leur formation, seules quelques chutes de pierre ont été découvertes dans le profil géologique. Située en Écosse, cette chute de pierres offre un aperçu de ce qu’il s’est passé sur la planète avant que les animaux ne respirent pour la première fois, que les plantes étendent leurs racines dans le sol et que les continents modernes se forment.

Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Geology, l’équipe décrit que le bloc rocheux s’est enfoncé dans les sédiments aqueux sur environ 15 mètres et qu’il s’est fissuré sous la force de l’impact, ce qui a injecté de la boue dans les fissures. Si la falaise d’où il est tombé a aujourd’hui disparu à cause de l’érosion, les roches entraînées dans la chute sont encore là. Chacune d’entre elles raconte une histoire et les scientifiques ont pour mission de faire appel aux connaissances sur les nombreux processus physiques de notre planète pour tirer des informations de son passé.

« Cela montre la quantité de détails incroyables que vous pouvez obtenir d’un bloc de roche si vous vous y intéressez de suffisamment près », explique Cara Burberry, géologue structuraliste de l’université du Nebraska-Lincoln qui n’a pas pris part à l’étude. « Ils ont documenté cela d’une manière extraordinaire ».

 

UN DISNEYLAND GÉOLOGIQUE

Avec ses eaux turquoises qui viennent lécher les alcôves de petites plages nichées le long de la côte, le nord-ouest de l’Écosse est une merveille. Le paysage vallonné renferme des milliards d’années d’histoire de notre planète, alors que les supercontinents se formaient et se séparaient, et que les rivières et les lacs fluctuaient.

« Pour les Britanniques, c’est le Disneyland de la géologie », indique Alex Webb, géologue à l’université de Hong Kong qui n’a pas pris part à l’étude.

Des générations de scientifiques se sont rendues dans ce paysage ancien, qui est désormais un site populaire pour les excursions sur le terrain des étudiants. « Sans la COVID, je serais aujourd’hui sur ces affleurements », raconte Bob Holdsworth, auteur de l’étude et géologue structuraliste à l’université de Durham.

C’est lors d’une de ces sorties pédagogiques que Bob Holdsworth et ses collègues ont remarqué qu’il y avait quelque chose d’étrange avec un bloc de roche situé à proximité du village de Clachtoll. Celui-ci fait partie du gneiss lewisien, une roche vieille de 3 milliards d’années qui a subi une énorme pression pendant sa formation, ce qui a provoqué l’alignement des minéraux en couches superposées, un phénomène connu sous le nom de foliation. Dans la majeure partie de la région, ces couches sont orientées du nord-ouest vers le sud-est. Mais celles du bloc rocheux sont tournées à 90 degrés.

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    Le bloc rocheux, plus long qu’un gros-porteur, glisse vers le premier plan dans cette image prise en 2010.

    PHOTOGRAPHIE DE Richard Walker

    Bob Holdsworth et ses collègues soupçonnaient que les couches pivotées et les autres caractéristiques étranges des fractures de la roche pouvaient être le résultat d’une chute précipitée, mais ils avaient besoin de données supplémentaires pour confirmer cette hypothèse. Zachary Killingback s’est attelé à cette tâche pour son mémoire de master.

     

    UNE FENÊTRE SUR LE PASSÉ DE NOTRE PLANÈTE

    Le site de la chute de pierres était la sortie pédagogique favorite de Zachary Killingback lorsqu’il était étudiant. Mais, ces excursions organisées avec ses camarades de classe constituaient souvent un défi pour le jeune scientifique, qui souffre d’autisme. Se déplacer parmi la foule d’étudiants, intégrer les instructions données rapidement et la pluie de stimuli sensoriels sur le terrain présentaient des obstacles permanents.

    Mais les sorties à Clachtoll étaient différentes. Au lieu d’être guidé par un professeur à travers les curiosités géologiques, « nous avions quartier libre en quelque sorte, j’adorais ça », se souvient-il.

    En septembre 2016, il retourna sur le site dans le cadre de son travail de master afin de cartographier minutieusement la structure du bloc rocheux. Le vent balayait les collines et la pluie tombait à verse, mais Zachary Killingback effectuait chaque tâche aussi efficacement que possible avant de se précipiter vers sa voiture pour relire ses notes et décider des étapes suivantes. Même à l’abri dans son véhicule, le vent rugissait. « Je me disais tous les soirs que j’allais être emporté », raconte-t-il.

    Lors de sa dernière journée sur le terrain, des étudiants en sortie pédagogique envahirent le site. Zachary Killingback finissait son travail lorsque le groupe arriva en courant sur les roches. Il retourna ensuite au laboratoire pour reconstituer un aperçu du passé de notre planète.

     

    UNE CHUTE DESTRUCTIVE

    L’histoire géologique écrite par Zachary Killingback et ses collègues se résume à ce qui suit : il y a 1,2 milliard d’années, un bassin se formait sur l’actuelle côte nord-ouest de l’Écosse. La région était parsemée de lacs et traversée de rivières, qui en coulant ont formé des couches de roches mélangées et de sédiments rouges. Un puissant tremblement de terre aurait secoué le sol, peut-être en raison d’un étirement de la terre dans le bassin, et le bloc rocheux se serait décroché de la falaise. En tombant, il se serait tourné : c’est pourquoi ses couches internes sont orientées en angle droit par rapport aux autres roches de la région.

    Lorsque la roche a touché le sol, des fissures se sont formées à sa base et son sommet. Elles sont aujourd’hui remplies de boue rouge et de légères différences apportent des preuves de la chute. Les sédiments présents dans les fissures du sommet de la roche forment des couches, ce qui démontre qu’ils ont été lessivés dans les crevasses au fil du temps. À l’inverse, les fissures sur la base de la roche ne présentent pas de telles couches et sont remplies de sédiments plus fins, ce qui indique une injection rapide provoquée par la force de l’impact. Cara Burberry appelle ce phénomène « pistolet fumant ».

    D’après Zachary Killingback, la roche a glissé à l’impact, comme le prouve en partie une grande fissure située à l’avant du bloc rocheux. L’équipe a également prélevé de petites carottes de roche et les a analysées en laboratoire pour déterminer la force nécessaire pour rompre la roche. Ce chiffre a permis de connaître la profondeur à laquelle elle s’est enfoncée : sans doute un peu plus de 15 mètres.

    « Comment se fait-il que nous n’ayons pas remarqué cela auparavant ? C’est tellement logique », déclare Catherine Mottram, géologue à l’université de Portsmouth, en Angleterre, qui emmène chaque année ses étudiants dans la région, mais n’a pas pris part à l’étude. « Je me suis assise à plusieurs reprises sur ce [bloc de roche] pour y prendre mon déjeuner ».

     

    L'HISTOIRE DES ROCHES RÉVÉLÉES

    Zachary Killingback confie que le plus grand défi a été de coucher ses idées sur le papier, une difficulté fréquente pour les autistes. « Lorsque je pense, je vois des images », explique-t-il. « J’avais mon mémoire tout entier dans la tête… un peu comme un documentaire sans son ».

    Il ajoute que transformer ce film mental en un récit écrit lui a pris deux années supplémentaires. « J’espérai secrètement qu’une personne invente une technologie pour me permettre d’insérer une clé USB dans ma tête et tout télécharger dessus ».

    Zachary Killingback a mis au point des stratégies d’adaptation, notamment une consistant à expliquer divers points de l’étude à sa mère, qui écrivait immédiatement ses mots. Cela finit par porter ses fruits et donner forme à une étude brillante.

    « Il s’agit d’une occasion unique de voir un processus dont nous avons conscience qu’il se produit, mais qui est rarement conservé dans les roches », déclare Christopher Jackson, géologue à l’Imperial College London qui n’a pas pris part à l’étude.

    En géologie, la partie la plus intéressante est le travail de détective permettant d’identifier chaque indice rocheux. Dans l’étude de Zachary Killingback, « la joie de comprendre cela transparaît », confie Alex Webb.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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