Katia Krafft a changé le visage de la volcanologie, au péril de sa vie

Katia Kraft s’est rendue sur des volcans du monde entier pour lever le voile sur leurs mystères, saisir leur beauté et sensibiliser le public quant aux risques qu’ils présentent.

De Maya Wei-Haas
Publication 12 janv. 2023, 17:22 CET
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Katia et Maurice Krafft contemplent un volcan au loin tandis que des panaches de cendre, de vapeur et de gaz s’échappent en volutes au-dessous d’eux.

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Revêtu d’une tenue métallisée, le corps menu de Katia Krafft est éclipsé par le rideau pourpre de roche en fusion qui jaillit du sol derrière elle. Cette scène spectaculaire est immortalisée dans une photo prise en 1984 au sommet du volcan de Krafla, un impétueux sommet islandais, lors des derniers sursauts d’une éruption qui aura duré plusieurs années. En regardant l’image, on pourrait presque ressentir la chaleur du volcan, entendre son grondement, et sentir le cœur de la volcanologue marteler sa poitrine alors qu’elle est en train de faire ce qu’elle aime par-dessus tout : être témoin du caractère de feu de notre planète.

« Une fois que vous avez vu une éruption, vous ne pouvez plus vous en passer parce que c’est tellement grandiose, tellement fort », déclare Katia Krafft dans le documentaire Fire of Love, produit par National Geographic et disponible sur Disney+.

Katia Krafft était une volcanologue avant-gardiste et intrépide. Elle est allée étudier des sommets explosifs à une époque où il y avait peu de femmes dans ce domaine. Dès qu’un volcan entrait en éruption, elle et son mari, Maurice Krafft, lui aussi volcanologue, lâchaient tout pour aller analyser et immortaliser la beauté et le mystère de chacun de ces événements. Leurs gros plans éblouissants ont permis aux géologues de disséquer les détails complexes de chaque éruption de manière inédite. Les époux Krafft ont écrit des livres, réalisé des films et se sont embarqués dans des tournées médiatiques pour communiquer leurs connaissances à un public mondial afin de le sensibiliser aux risques inhérents au volcanisme.

« Nous en étions encore aux balbutiements de la volcanologie », explique Janine Krippner, volcanologue installée en Nouvelle-Zélande. Katia Krafft en particulier a donné l’envie à Janine Krippner ainsi qu’à de nombreuses autres femmes scientifiques du monde entier de se lancer dans ce domaine. « Elle m’a donné le courage de vraiment aller de l’avant », confie Janine Krippner, qui a ardemment désiré devenir volcanologue dès qu’elle a appris l’existence de cette profession à l’âge de 13 ans.

 

ENTRÉE EXPLOSIVE

Katia Krafft, Catherine Joséphine Conrad de son nom de jeune fille, est née dans la vallée du Rhin, dans le nord-est de la France, en 1942, à l’acmé de la Seconde Guerre mondiale. Le tumulte du monde humain a poussé Katia et Maurice Krafft à trouver dans la nature une consolation. « Nous étions déçus par l’humanité, a-t-il concédé un jour. Les volcans sont plus grands que les hommes, nous avons eu le sentiment que c’était ce dont nous avions besoin, quelque chose qui dépasse l’entendement. »

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    Katia sourit alors qu’elle porte un casque en métal lors d’une sortie sur l’Etna en 1972. Cette coque surdimensionnée avait pour but de protéger sa porteuse des chutes de roches pouvant survenir lors d’éruptions actives.

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    Effectivement, quand le duo étudiait à l’Université de Strasbourg dans les années 1960, on en savait encore peu au sujet des forces qui meuvent notre planète agitée. La tectonique des plaques commençait tout juste à être reconnue. Cette théorie fondamentale décrit la dynamique de la couche externe et fracturée de notre planète. Chaque plaque tectonique bouge sans cesse. Elles entrent en collision à certains endroits et s’éloignent à d’autres. Cela donne naissance à des volcans le long de leurs frontières.

    Les époux Krafft se sont lancés avec peu de moyens et beaucoup de détermination afin de comprendre ces énigmatiques créatures géologiques en réalisant des films et des images spectaculaires. Dans l’un d’eux, présent dans le documentaire, on voit Katia s’approcher calmement d’une fontaine de lave incandescente. Vêtue d’une veste rouge et d’un chapeau assorti, elle lève le bras devant son visage pour se protéger de la chaleur intense. Un autre extrait montre un lobe de roche gluante ayant refroidi juste assez pour former une croûte noire. Une botte écrase le monticule et avive des flammes dont le porteur se débarrasse nonchalamment en secouant le pied.

    Katia a pris à la volée ce cliché qui montre comment la lave peut s’étirer en de fines fibres de verre qu’on appelle « cheveux de Pelé » ou « obsidiennes capillaires ».

    PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE FIRE OF LOVE, NATIONAL GEOGRAPHIC DOCUMENTARY FILMS, NATIONAL GEOGRAPHIC DOCUMENTARY FILMS

    Le couple a d’abord axé son travail sur les éruptions dites effusives lors desquelles de la lave coule d’un volcan. Si elles demeurent dangereuses, celles-ci sont généralement moins mortelles que les éruptions explosives. Mais deux catastrophes meurtrières ont conduit les Krafft à tourner leurs objectifs vers les impacts dévastateurs des éruptions explosives : l’éruption du Mont Saint Helens, dans l’État de Washington, en 1980, qui a fait cinquante-sept morts, et celle du Nevado del Ruiz, en Colombie, en 1985, dont l’explosion a entraîné des coulées de boues mortelles qui ont fait plus de 20 000 victimes.

    Les époux Krafft se sont servis de leurs images montrant des éruptions explosives pour exposer les risques complexes et les incertitudes qui entourent ces catastrophes. « Cela a transformé notre capacité à transmettre la science des volcans », indique Rebecca Williams, volcanologue de l’Université de Hull, en Angleterre, qui a officié comme conseillère scientifique pour le documentaire Fire of Love.

    C’est notamment grâce à leurs films que les officiels philippins ont pris au sérieux les signes avant-coureurs de l’éruption du Pinatubo en 1991. Mais les Krafft sont morts avant de pouvoir être témoins de cette éruption.

    Le couple a trouvé la mort moins de deux semaines auparavant, au Japon, lors d’une éruption colossale qui a fait quarante-et-une victimes en plus des deux époux.

    Katia et Maurice Krafft voyaient la photographie comme un moyen de se souvenir, de revisiter et de prolonger les moments qu’ils passaient auprès des volcans. Cette photo prise par Katia montre les trajectoires paraboliques des bombes volcaniques éjectées par le Stromboli, en Italie.

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    UN HÉRITAGE PERSISTANT

    L’influence de Katia Krafft sur la volcanologie ne s’est pas arrêtée à sa mort et a incité de nombreuses jeunes femmes à étudier notre planète tourmentée. Aujourd’hui, 39 % des 937 membres de l’Association internationale de volcanologie (IAVCEI) sont des femmes. Pourtant, des inégalités persistent.

    « Certaines médailles n’ont jamais été décernées à une femme », fustige Rebecca Williams, qui a récemment publié une analyse de la diversité dans le domaine de la volcanologie. « On ne leur confie pas de conférences. On ne leur décerne pas de récompenses. » De plus, sur les vingt-deux présidents qu’a connu l’IAVCEI, tous étaient des hommes.

    Ainsi, le fait de voir Katia Krafft sur le terrain a motivé bon nombre de géologues en herbe. « Katia Krafft est sans aucun doute la raison pour laquelle je fais ce travail », affirme Carla Tiraboschi, chercheuse post-doctorale à l’Université de Münster, en Allemagne. La première fois que Carla Tiraboschi a vu Katia Krafft dans un documentaire, elle avait seulement six ou sept ans. Depuis lors, les volcans l’obsèdent. Elle étudie désormais les processus à l’œuvre dans leurs profondeurs.

    De nombreux volcanologues partagent ces sentiments. Parmi eux, certains ont même croisé le chemin de Katia Krafft. À l’âge de 16 ans, Marie-Claude Williamson a rencontré Katia à l’occasion d’une conférence donnée en soirée lors de laquelle les époux Krafft narraient un de leur films. Marie-Claude Williamson a été captivée par la projection et s’est ensuite timidement approchée de Katia pour lui demander comment on devenait volcanologue. « En faisant une carrière dans la géologie, évidemment ! » s’est-elle vue répondre abruptement.

    Marie-Claude Williamson est aujourd’hui chercheuse à la Commission géologique du Canada. « C’est en grande partie la vision de la femme extraordinaire que j’ai brièvement rencontrée quand j’avais 16 ans qui m’a fait persévérer », reconnaît-elle.

    Note de la rédaction : La date de l’éruption du Pinatubo a été corrigée.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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