Un crâne de baleine vieux de 12 millions d'années piégé dans une falaise

Retrouvé par un paléontologue amateur, un crâne de baleine non identifiée exceptionnellement bien conservé intrigue les chercheurs.

De Lou Chabani
Publication 8 févr. 2023, 18:20 CET
Découvert par Coddy Goddard un paléontologue amateur, le crâne a demandé l'intervention de douze volontaires locaux ...

Découvert par Coddy Goddard un paléontologue amateur, le crâne a demandé l'intervention de douze volontaires locaux pour être extrait et rapatrié au Calvert Marine Museum, le 19 décembre dernier.

PHOTOGRAPHIE DE Calvert Marine Museum

« Cela fait deux ans que nous allons en vacances en famille à la falaise de Calvert. Mon fils est devenu un expert de la recherche de coraux […] et en février dernier, j’avais même trouvé une vertèbre de baleine », explique Cody Goddard, l’amateur de fossiles à l’origine de la découverte. « Je me suis alors dit "je ne pourrai jamais faire mieux !" »

C’est pourtant un crâne de baleine vieux de douze millions d’années que la famille Goddard a découvert en octobre dernier, sur la plage de Mataoka qui s’étend au pied des falaises de Calvert, dans le Maryland.

Conservé dans un bloc de sédiments solidifiés, le crâne est long d'environ 2 mètres pour presque 300 kilogrammes. L’équipe de paléontologie du Calvert Marine Museum, appelée sur place par M. Goddard, a donc rapidement dû renoncer à ramener le fossile avec eux.

« Nous avons rejoint Cody et sa famille sur place le jour même, mais nous avons vite vu que nous n’arrivions même pas à retourner le crâne », se souvient Stephen Godfrey, conservateur et paléontologue du Calvert Marine Museum. « Nous n’avons pu emporter qu’une petite partie qui s’était naturellement détachée. [Cependant], deux mois après la découverte du crâne, nous ne pouvions plus attendre, et nous avons donc décidé de le sortir à la main. »

 Deux mois après la découverte, l’hiver menaçant l’intégrité du fossile, c‘est finalement une équipe locale de paléontologues professionnels et amateurs qui s’est attelée à la tâche. Revenu pour l’occasion, Coddy Goddard a également participé au dégagement.

Soulevé à la main par les volontaires, le crâne a été embarqué sur un bateau ponton, puis transporté en pick-up jusqu’au musée. Il a été entreposé dans le laboratoire de préparation de l’établissement, et est désormais en cours d’extraction de son sarcophage de sédiments par une équipe de volontaires.

« Nous avons la chance d’avoir une importante communauté de collectionneurs de fossiles très instruits et passionnés de paléontologie », ajoute le conservateur. « L’extraction d’un crâne de baleine est un évènement très rare, et il est encore plus exceptionnel d’en trouver un aussi bien conservé. »

Passionné par les fossiles et la recherche de squelettes, Cody Goddard n’en est pas à son premier coup d’essai dans l’exploration de la plage de Mataoka, la falaise de Calvert étant une formation rocheuse sédimentaire, riche en matériel archéologique. 

Son érosion naturelle entraîne la chute régulière de fossiles et d’os sur la plage ; pris dans les sédiments océaniques plusieurs millions d’années plus tôt, ils se retrouvent alors à l’air libre.

« J’ai d’abord trouvé un petit éclat sans grand intérêt […], puis en fouillant aux alentours, j’ai trouvé un morceau d’os très fin, à l’extrémité d’un gros rocher », explique M. Goddard. « En le regardant de plus près, j’ai réalisé qu’il s’agissait d’une structure symétrique […] avec une cavité au milieu. C’est une structure caractéristique des cavités nasales des mammifères. »

« J’ai pris une petite vidéo montrant où était le crâne, ses caractéristiques principales et sa taille, [puis] j’ai appelé le département de paléontologie du musée et je la leur ai envoyée. En deux heures, ils étaient sur place pour l’examiner ! »

 

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    Ne pouvant pas faire appel à l'armée pour déplacer le crâne par hélicoptère, le Calvert Marine Museum a finalement bénéficié de l'aide de plusieurs volontaires pour déplacer la dépouille. De gauche à droite : Chris Storck, Marcus Jones, Cody Goddard (revenu sur les lieux pour l'occasion), David Hoppe, Geoff Bowers, Stephen Groff, John Nance, Bill Prochownik, Victor Perez, Paul Murdoch, Walt Johns, et Stephen Godfrey. Étaient également impliqués Terrell Gross, John Bennett, Rebecca Benton et Kevin Schmidt.

    PHOTOGRAPHIE DE Kevin Schmidt - Calvert Marine Museum

     

    COMMENT SORTIR UN CRÂNE D’UNE PIERRE

    Les sédiments qui entourent le crâne ont été identifiés par les géologues du musée comme appartenant à la formation de Choptank, une couche géologique de la plaine océanique atlantique. Cette couche géologique est rattachée à la période du Miocène, soit entre 24 et 5 millions d’années avant notre ère. 

    Grâce à la datation des sédiments qui entourent le crâne, les paléontologues ont pu estimer son âge aux alentours de vingt millions d’années avant notre ère. À l’heure actuelle, seules deux espèces de baleines ont été reliées à cette période géologique, et leurs crânes sont très incomplets.

    Le nouveau crâne encore non identifié pourrait donc appartenir à l’une de ces deux espèces, ou bien être le premier représentant d’un troisième clade.

    Néanmoins, avant de pouvoir mettre un nom sur la découverte de M. Goddard, le crâne doit encore être extrait de son sarcophage de terre.

    « La grande majorité des crânes de baleines et de dauphins retrouvés le long des falaises de Calvert n’étaient pas pris dans des sédiments solides », décrit Godfrey. « Leurs sédiments sont sableux ou argileux et peuvent être retirés à la brosse à dents ou avec une tige de bambou. […] Ce crâne-là est pris dans des sédiments durcis qui mettront du temps à être retirés. »

    Afin de dégager le fossile, les chercheurs auront cette fois recourt à des percuteurs à air comprimé. De la taille d’un stylo, ces outils permettent de dégager les fossiles en douceur, sans risquer d’abîmer le squelette.

    En parallèle, les sédiments sont étudiés par un spécialiste local qui avait participé au transport du crâne, afin de détecter toute particularité dans le processus de sédimentation.

    Les paléontologues profitent également du dégagement du crâne pour rechercher toute trace ou tout reste de dents de grands prédateurs ; si elle partageait la couche géologique des mégalodons, la baleine aurait en effet constitué une proie de choix pour ces immenses requins.

    « Ce type de traces pourrait nous donner des indices sur la cause de la mort de la baleine, et sur les charognards qui ont dégradé la carcasse », ajoute le conservateur du musée. 

     

    SURVIVRE DANS LE TERRITOIRE DU MÉGALODON

    S’il est encore impossible pour les archéologues d’identifier clairement la baleine des falaises de Calvert, plusieurs pistes sont déjà explorées. L’état du crâne leur permet également d’estimer le stade de développement de l’animal.

    « Le crâne est très certainement celui d’un adulte, compte tenu de la manière dont il est constitué », explique Godfrey. « Les os du crâne ne sont pas soudés aussi solidement chez un individu juvénile que chez un adulte. Ils se seraient éparpillés après sa mort. »

    La taille du crâne a également permis d’estimer une longueur totale d’environ 6 mètres pour l’animal retrouvé : une taille particulièrement modeste pour une baleine, surtout en comparaison des baleines que nous connaissons aujourd’hui.

    Les cétacés du Miocène, qui étaient ainsi plus petits que leurs descendants modernes, partageaient leurs eaux avec d’immenses prédateurs, tels que le célèbre mégalodon, long de 10 à 20 mètres.

    Plus adaptés à la vitesse, les crânes de ces baleines avaient tendance à être de forme allongée afin de leur permettre de nager plus vite et d’échapper aux prédateurs. Cependant, tout comme nos baleines modernes, les baleines du Miocène se nourrissaient en filtrant l’eau à la recherche de plancton.

    « S’agit-il d’une espèce de baleine primitive connue, ou d’un tout nouveau genre de baleine à crâne étroit ? », se questionne Stephen Godfrey avec enthousiasme. « C’est ce que la taille et la forme de son crâne nous permettront de savoir. »

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