Ces animaux sont quasiment immortels

Des organismes aquatiques déploient des trésors d’agilité pour échapper à la mort... Et inspirent les humains.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 5 mars 2023, 09:00 CET
La méduse immortelle «Turritopsis dohrnii».

La méduse immortelle «Turritopsis dohrnii».

 

PHOTOGRAPHIE DE Daniel Maeso Miguel, Maria Pascual Torner

L’INCREVABLE TARDIGRADE

Les tardigrades ont regardé les dinosaures mourir sans broncher. Pas de quoi perturber ces minuscules oursons d’eau (1 mm) qui ont survécu en tout à cinq extinctions de masse. Ces êtres aux huit pattes qui peuplent la planète depuis 600 millions d’années craignent en fait peu de choses. Ni les températures extrêmes (-273°C à +340°C), ni les rayons X, ni même le vide spatial. En 2007, des tardigrades ont été envoyés dans l’espace par une fusée russe pendant 12 jours. 

Malgré l’absence d’oxygène et de pression, nombre d’entre eux ont pu continuer leur vie une fois revenus sur Terre. Ici-bas, ils peuvent exister aussi bien au plus profond des océans comme aux sommets des plus hautes montagnes, où ils atterrissent parfois après avoir été transportés par le vent. 

Quel est le secret de cette incroyable résistance ? « Ils ont évolué en piquant des gènes à leurs voisins, y compris à des bactéries, pour s’adapter à un maximum de conditions » répond Simon Galas, professeur de génétique et de biologie moléculaire à l’Université de Montpellier et au CNRS. Dès qu’ils sont confrontés à une agression extérieure, les tardigrades ont une botte secrète. «Ils entrent dans un état appelé d’anhydrobiose. Ils se dessèchent alors sur demande, perdant près de 95 % de leur eau. 

Dans cet état-là, ils résistent à toutes sortes de conditions » poursuit le chercheur. Comment l’expliquer ? « À mesure qu’ils rabougrissent, leurs cellules rétrécissent, et surtout, fabriquent un épais rempart moléculaire autour de leurs membranes. Cette petite muraille protectrice peut atteindre par endroit 100 nanomètres d’épaisseur. C’est énorme, quand on compare avec la taille de membranes normales. Cela pourrait expliquer pourquoi ils arrivent à résister à autant de conditions extrêmes » indiquent Myriam Richaud, docteur en biologie cellulaire et moléculaire à l’Université de Montpellier et au CNRS et Simon Galas, les co-auteurs de cette découverte publiée dans la revue Nature Scientific Reports en 2020.

Un tardigrade Hypsibius exemplaris actif observé au microscope électronique à balayage.

 

PHOTOGRAPHIE DE Dr. Myriam Richaud et Pr. Simon Galas de l’IBMM, Université de Montpellier, CNRS, ENSCM, Montpellier, France.

Pour sortir de cet état, il suffit aux tardigrades de quelques gouttes d’eau. Les voilà alors qui remarchent, et qui se remettent en quête de nourriture. Pendant ce temps, la membrane protectrice des cellules fond pour reprendre une taille normale.  

Ces minuscules êtres peuvent rester en dormance pendant près de trente ans. Une donnée étonnante, quand on sait que leur durée de vie « éveillée » n’est que de trois à six mois.

Ces super-pouvoirs n’ont pas manqué d’intriguer les humains. « Lorsqu’elles se déshydratent, certaines espèces de tardigrades fabriquent un sucre, le tréhalose, qui est capable de remplacer l’eau. C’est intéressant car les problèmes de longévité sont généralement en lien avec l’eau. Ainsi, les molécules d’eau agissent comme une barrière protectrice. On sait par exemple que chez les humains, les rayons du soleil cassent ces molécules et abîment nos cellules et notre ADN » explique Simon Galas. Constatant cette capacité des tardigrades, le physiologiste américain John Henry Crowe a pensé à faire barboter des plaquettes sanguines humaines dans le tréhalose, pour ensuite les déshydrater. Ce faisant, il a pu allonger la durée de conservation des plaquettes de manière spectaculaire. Autrefois, on ne les gardait pas plus de trois jours. Aujourd’hui, elles peuvent durer cinq ans.

D’autres aspects des tardigrades inspirent les scientifiques, notamment les protéines qu’ils fabriquent. « Pendant que les tardigrades se déshydratent, leurs cellules gardent leur forme d’origine. Ce phénomène s’explique grâce à des protéines en bâtonnets qui s’assemblent pour faire une sorte de câblage, qui maintient alors la structure de la cellule » détaille Simon Galas. Des chercheurs japonais et américains essayent d’utiliser ces protéines, codées par des gènes de tardigrades, pour mieux conserver les cellules des tissus humains en vue de greffe. « Nous n’aurions alors plus besoin de congélateur à -80°C qui garde l’eau dans ces tissus. Nous pourrions simplement déshydrater les tissus, puis les envoyer par voie postale, littéralement » imagine Simon Galas. Le tardigrade n’a pas fini de nous donner des astuces pour vivre plus longtemps !

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    Un tardigrade Hypsibius exemplaris actif (à gauche) montre une séparation membranaire normale (trait blanc) qui atteint 100 nanomètres d’épaisseur (trait blanc) chez un individu en anhydrobiose (à droite). Images obtenues en microscopie électronique à transmission.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Dr. Myriam Richaud et Pr. Simon Galas de l’IBMM, Université de Montpellier, CNRS, ENSCM, Montpellier

    LA JEUNESSE ÉTERNELLE DE LA MÉDUSE

    Voilà un autre animal qui défie la mort de manière bien curieuse. La méduse Turritopsis dohrnii  choisit tout simplement de tourner le dos à la grande faucheuse dès qu’elle s’approche un peu trop près ! Son astuce ? Cette minuscule méduse de 5 mm de diamètre peut rajeunir dès qu’arrive l’âge fatidique de la vieillesse. Soudainement, la vielle méduse peut reprendre la forme d’un bébé, c’est à dire un polype. 

    Ce petit cylindre mou est la première étape de son cycle de vie.  La voilà donc qui reprend son existence, mais depuis le début. Ce cycle pourrait avoir lieu indéfiniment, tant que la méduse n’est pas victime d’un prédateur. En 2011, une étude japonaise avait observé dix cycles de rajeunissement pendant deux années d’expérience.

    Des chercheurs espagnols se sont récemment penchés sur les mécanismes génétiques à l’origine de cette prouesse encore mal comprise. Ils ont pour cela comparé les gènes des méduses « normales » à ceux de Turritopsis dohrnii, et ont détaillé l’expression des gènes à chaque étape de cette spectaculaire transformation. 

    « Tandis que les gènes du développement se taisent, les cellules de cette méduse ont la capacité de redevenir des cellules souches. Dans un deuxième temps, ces cellules peuvent alors se transformer en n’importe quelle cellule du corps » explique Maria Pascual-Torner, co-autrice de l’étude publiée dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences en 2022.  Ces mécanismes intéressent les scientifiques, qui voient une occasion de mieux comprendre les processus de vieillissement, chez les méduses, mais aussi chez les humains. Sans pour l’instant avoir percé les mystères de cet être quasiment immortel.

    La danse hypnotique d'une rare méduse dans les profondeurs de l'océan

    LA PLANAIRE AUX INCROYABLES MÉTAMORPHOSES

    Vous vous émerveilliez devant la capacité du lézard à faire repousser sa queue ?  Du fond des océans, la planaire pourrait bien en rire. Ce petit vers d’eau plat, d’environ 1 cm de long, est capable de faire repousser n’importe quelle partie de son corps ! Si vous coupez une planaire en deux, chaque morceau fera repousser les partie qui lui manquent en quelques jours seulement.

    Ici aussi, ce petit animal aquatique dépendrait de cellules souches (les cellules du début de la vie chez nous) qui vont ensuite se spécialiser (cellules de la tête ou bien de la queue) pour venir combler les parties manquantes, et qui seraient, chez la planaire, mobilisables à tout moment pour venir faire repousser n’importe quel organe manquant.

    Plus étonnant encore, la tête d’une planaire décapitée peut repousser en gardant ses souvenirs ! Pour prouver cela, des chercheurs de l’université américaine Tufts de Medford ont montré à certaines planaires où se trouvait de la nourriture. Ils les ont ensuite décapités. 

    Dix jours plus tard, le temps que leurs têtes repoussent, certaines de ces planaires avec leurs nouvelles têtes ont retrouvé la nourriture plus rapidement que des planaires totalement étrangères à cette expérience. Les scientifiques pensent que la mémoire est en fait conservée dans les cellules souches, à partir desquelles la tête est récrée. De ces incroyables capacités à l’étude, les scientifiques espèrent un jour trouver le moyen de pousser nos propres cellules souches à recréer des membres ou des organes sains.

    Grace à leur transparence, les tardigrades Hypsibius exemplaris sont très utilisés dans les laboratoires de recherches pour étudier leur structure interne grâce à des colorants qui vont révéler certaines structures comme ici les muscles en vert ou leur ADN en bleu sur ces images d’un individu observé en microscopie confocale laser.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Dr. Myriam Richaud et Pr. Simon Galas de l’IBMM, Université de Montpellier, CNRS, ENSCM, Montpellier, France

    LA VÉNÉRABLE ÉPONGE DE VERRE

    Elle pourrait bien être le plus vieil organisme sur Terre. Un spécimen de Monorhaphis chuni, une espèce d’éponge de verre, a fêté ses 11 000 ans en 1986. C’est lors de cette année qu’elle a été sortie des abysses proches du Japon, en mer de Chine Orientale. Un âge si avancé que cette éponge était vivante lors de la révolution néolithique, quand les humains ont commencé à utiliser l’agriculture. 

    Elle a traversé toutes les époques pour finalement mourir au 20e siècle, lorsque des océanographes allemands, suisses et chinois l’ont pêché au cours d’une expédition scientifique. Ils récoltaient alors des organismes vivant à 1 100 mètres de fond, dans l’obscurité totale et le froid des abysses. 

    Les scientifiques ont pu déterminer l’âge de ce vénérable ancêtre maritime grâce à l’analyse chimique du spicule de l’éponge. C’est une sorte de tige composée de calcium et de magnésium qui permet à cet animal de s’ancrer dans le fond marin, et qui grandit chaque année. Les recherches sont encore très limitées sur cette éponge. Et, pour le moment, elles ne cherchent pas à comprendre les secrets de sa longévité. Elles comptent plutôt sur elle pour étudier les évolutions du climat. Car les informations contenues dans la tige pourraient servir d’archive environnementale. 

    Quelle température faisait l’océan voilà 11 000 ans ? Quelle composition chimique de l’eau à l’époque ? Autant de questions auxquelles cette éponge de verre pourrait bien répondre. 

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