Adolescence : le cerveau en alerte rouge

À l'adolescence, notre cerveau subit une mue brutale, une restructuration profonde. Avec de nombreuses conséquences hormonales, physiques et psycho-sociales, souvent mal comprises par les adultes.

De Romy Roynard
Publication 11 mars 2022, 10:30 CET
Dayglow

Le concert auquel Austin Brown (au centre) a assisté ne ressemblait à aucun autre - une soirée dansante appelée Dayglow où des explosions de peinture fluorescente pleuvaient sur les foules du centre-ville d'Austin. La lumière noire les faisait briller. "Si vous ne dansiez pas, vous étiez juste là, couvert de peinture", souriait Brown. La recherche d’expériences toujours plus intenses peut s’avérer dangereuses pour les adolescent.e.s. Mais cela les aide aussi à trouver leur chemin - Cette photographie a initialement paru dans le numéro d’octobre 2011 du magazine National Geographic, dans le cadre d’un reportage consacré au cerveau des adolescents.

PHOTOGRAPHIE DE Kitra Cahana

« N’importe quelle émotion forte va libérer le panda » la prévient sa mère. Meilin Lee, protagoniste d'Alerte Rouge, le nouveau film des studios Pixar disponible en streaming sur Disney+, est une adolescente de 13 ans, avenante et drôle, tiraillée entre la petite fille modèle qu’elle est avec ses parents très protecteurs et le chaos de l’adolescence qui la bouleverse. Le « panda », cette créature rouge en laquelle elle se transforme dès qu’une émotion la submerge, symbolise tout à la fois le changement et le renouveau. Dans les cultures asiatiques, le panda représente la valeur des émotions et l'importance de la patience. Tout un symbole pour n’importe quel.le adolescent.e.

Métaphore de l’âge où tout se renouvelle pour mieux se définir, cette transformation lente qui peut sembler soudaine est un objet de cinéma souvent abordé, un objet d’étude, de réflexion et, parfois, d’inquiétudes.

« On dit souvent que l’adolescent est à la fois un enfant et un adulte, mais il serait plus juste de dire qu’il n’est plus un enfant et pas encore un adulte. C’est comme si un soir votre enfant allait dans sa chambre et qu’il en sortait une autre personne le lendemain matin. Ce changement très rapide surprend bien sûr les parents mais aussi l’adolescent lui-même. C’est cette période d’entre-deux sans point de repère fiable qui constitue l’essence-même de la "crise" d’adolescence » explique Philippe Hercberg, psychiatre et ancien interne des Hôpitaux de Paris, aujourd’hui installé à San Fernando, en Espagne.

 

UNE MUE PHYSIQUE ET PSYCHIQUE

L’adolescence démarre véritablement lorsque l’hypophyse et l’hypothalamus, les organes neuroglandulaires situés dans le cerveau et reliés entre eux par une tige pituitaire pour former l'axe hypothalamo-hypophysaire, commencent à produire des hormones spécifiques qui stimulent la sécrétion de testostérone et d’œstrogènes.

La croissance s’accélère alors, de 8 centimètres par an chez les filles et 10 centimètres par an chez les garçons en moyenne. Il n’y a que lors de la première année de vie qu’une telle croissance est observée chez l’être humain : un bébé prend en moyenne 20 centimètres pendant sa première année de vie.

Des poils fins d’abord, puis plus épais, apparaissent sur l’ensemble du corps. Le clitoris se développe, le pénis grossit et s’allonge. Les hanches et cuisses s’élargissent. La voix se fait plus grave.

Outre cette mue et ces changements corporels, les changements hormonaux ont des effets significatifs sur l’aspect psychique et sur le comportement social et émotionnel des adolescents. Grâce aux techniques récentes d’imagerie dynamique non-invasive du cerveau, des chercheurs sont parvenus à comprendre des processus importants du développement du cerveau entre l’âge de 10 et 20 ans. Pendant cette tranche d’âge, le cerveau se réorganise en profondeur. Les connexions et les fonctions de ses structures changent, pour ne se fixer que dans la première moitié de la trentaine. Cette plasticité renouvelée, qui n’est pas sans rappeler là encore les connexions qui se font dans les premières années de vie, est une chance de rectifier les déséquilibres observés dans la petite enfance. C’est aussi une phase de grande vulnérabilité. « C'est à la fois une opportunité de revivre et dépasser des achoppements du développement antérieur, mais aussi une période compliquée si le sentiment de sécurité interne qui aurait dû se construire pendant l'enfance n'est pas suffisamment installé » explique Nancy Pionnié-Dax, pédopsychiatre et chef de pôle de psychiatrie infanto-juvénile à l’hôpital Erasme, en région parisienne.

Comme dans les premiers mois de vie, notamment durant la phase que l’on appelle la « petite adolescence », période charnière pour l’enfant aussi appelée « crise des deux ans », le cerveau ne conserve que les connexions les plus fréquemment utilisées. « À deux ans a lieu une première période dite de "séparation-individuation" où l'enfant, ayant perçu à partir de 9-10 mois que lui et sa mère sont deux personnes distinctes, va tester, […] exister en dehors de sa mère : dire non, explorer seul, s'opposer... L'adolescence est considérée comme une deuxième phase de séparation-individuation où l'enfant, devenant cette fois pubère, ne peut rester collé à ses objets parentaux et est poussé par le développement pubertaire, la maturation cérébrale à se séparer, physiquement et psychiquement de ses parents » poursuit Nancy Pionnié-Dax.

La myélinisation des axones ou fibres nerveuses (substance blanche) s’accroît à l’adolescence. Les processus à l’intérieur du cerveau deviennent plus rapides et efficients. Les structures de la perception sensorielle mûrissent de manière précoce pendant la puberté, mais les aires du cortex préfrontal, permettant de prévoir, de prioriser, de peser le pour et le contre, de contrôler ses pulsions, arrivent en dernier à maturité. Le centre de contrôle du cerveau (cortex préfrontal), figuré non sans humour dans Vice-Versa, est dominé pendant l’adolescence par le système de récompense. Cela est d’autant plus accentué dans les situations où l’adolescent.e se trouve avec des jeunes gens de son âge. On se sent plus téméraire, plus enhardi.e, la nouveauté stimule plus qu’elle ne fait peur, le risque est moins bien évalué.

« Il y a au moment de l’adolescence un changement brutal de l’architecture cérébrale. Elle change pendant toute l’enfance, mais à l’adolescence le système limbique se développe beaucoup plus rapidement que le cortex préfrontal. La maturité postérieure du cortex préfrontal arrive à la fin de l’adolescence. C’est pourquoi la recherche de récompense immédiate n’est pendant cette période pas contrebalancée par une forme de contrôle. C’est pour cela qu’on observe beaucoup de conduites à risques et de débuts d’addictions chez les adolescents. C’est une période de vulnérabilité, notamment aux substances désinhibantes qui jouent sur la production de dopamine » étaye Philippe Hercberg.

« Cela se traduit par une impulsivité, un besoin d'immédiateté, une recherche de sensations et de plaisirs, sans se soucier des effets à long terme » abonde Nancy Pionnié-Dax. « Il n'y a rien de plus incompréhensible pour un adolescent que de s'entendre répondre "Fais un projet" lorsqu'il a envie de quelque chose. L'attente est très compliquée, c'est l'immédiateté qui prime. »

Loin de la caricature à gros traits qui voudrait que la « crise » de l’adolescence soit une simple rébellion contre l’ordre établi et les figures d’autorité comme les parents, peut-être faudrait-il étudier (ou se rappeler) à quel point ces changements physiques sont bouleversants.

 

UN BOULEVERSEMENT DE TOUS LES INSTANTS

Une fois l’adolescence passée, seules les femmes et les personnes suivant des traitements hormonaux seront soumises à de tels bouleversements, notamment pendant leurs cycles menstruels, les grossesses, pendant la pré-ménopause et la ménopause.

Au-delà de l’aspect hormonal, sorte de tourbillon infini, se pose à l’adolescence la question essentielle suivante : « qui suis-je ? ». Qui suis-je par rapport aux autres et pour les autres ? Quelle est ma place dans ce monde en constante mutation ? Il faut à l’adolescent.e accepter son nouveau corps, l’intégrer à l’image de soi, définir son identité de genre, son identité sexuelle, son identité culturelle et cultuelle, développer ses propres valeurs, devenir plus autonome et répondre à l’angoissante question de la formation et de l’avenir professionnel. Autant d’inconnues auxquelles il faut trouver des réponses dans des temps relativement courts. Quel adulte ne se sentirait pas submergé face à ce bouleversement de tous les instants ?

« Il existe chez l’adulte une grande difficulté à comprendre et à accepter les adolescents » souligne Philippe Hercberg. « Il ne se souvient plus qu’il a été lui-même adolescent. La difficulté réside dans la capacité des adultes à lire et déchiffrer les problèmes de l’adolescence, c’est ce qui provoque si fréquemment des réactions d’opposition, voire de rejet. »

Pas de coups de coudes, pas de coups de genoux. Ce "fight club" avait des règles. Au moins un vendredi par mois, ces jeunes hommes se réunissaient après les cours dans le jardin de Bryan Campbell pour faire de la lutte et de la boxe. La mère de Campbell a donné son accord tant qu'ils restaient prudents ; un nez en sang est la pire des blessures reportées. Ils utilisaient souvent leurs téléphones pour filmer leurs combats, puis ils postaient les vidéos dans un groupe privé sur Facebook, où d'autres amis pouvaient admirer leurs prouesses - Cette photographie a initialement paru dans le numéro d’octobre 2011 du magazine National Geographic, dans le cadre d’un reportage consacré au cerveau des adolescents.

PHOTOGRAPHIE DE Kitra Cahana

« Les parents sont conscients des enjeux, des risques, et voudraient "épargner" ou "protéger" leurs adolescents. Or les adolescents ont besoin d'éprouver cette nouvelle autonomie, parfois en la retournant contre eux-mêmes. […] Les adolescents nous font vivre des émotions en miroir de ce qu'ils vivent : de l'angoisse, de l'impatience, parfois des élans affectifs mal maîtrisés. C'est très difficile de trouver la bonne distance ! Et certains articles scientifiques ont montré que le degré d'émotionnalité d'un adolescent en train de parler avec ses parents d'un sujet sensible est tel que son cortex est complètement éteint » souligne Nancy Pionnié-Dax.

C’est aussi une période durant laquelle les relations et leur valeur changent. Les cartes sont en quelque sorte « redistribuées » dans tous les groupes sociaux que sont les sphères familiales, amicales, sociales et amoureuses, une forme de mue psychosociale. Un équilibre nouveau se met en place, sorte de balancier entre le narcissisme et ce que les psychologues appellent la relation d’objet, soit l’investissement en soi et l’investissement pour l’autre.

Comment, malgré les changements pubertaires, peut-on rester « soi » (si tant est que l’on sache déjà qui l’on est) ? Malgré le nouveau rythme imposé par son corps, l’adolescent.e doit maintenir une certaine continuité dans ses relations au monde et aux autres.

« L’adolescent a besoin du groupe et du regard des autres. C’est l’un des groupes qui a le plus souffert des confinements. Il fonctionne souvent par mimétisme, par peur d’être rejeté par le groupe, alors que le groupe ne le rejettera pas forcément s’il ne fume pas ou ne boit pas comme les autres » argumente Philippe Hercberg. « On croit alors que pour appartenir au groupe, il faut faire comme les autres. Les relations entre adolescents sont à cette période plus naturelles et spontanées [que dans les autres groupes d’âges]. Les amitiés qui se nouent à l’adolescence sont de celles qui en général durent toute la vie. »

Autre bouleversement : l’adolescent.e change aux yeux des adultes. Parce que l’on change, que l’on grandit, on ne peut plus ni être, ni fonctionner, ni agir comme avant. Une distance, saine quoique délicate à installer, permet alors d’accéder à une identité sociale nouvelle. L’estime de soi s’en trouve bouleversée, de même que les équilibres affectifs qui prévalaient dans l’enfance. Les ami.e.s et amoureux.ses prennent une part plus importante dans nos vies.

On définit volontiers, et un peu facilement, l’adolescence comme une « crise ». Si crise il y a forcément, les enjeux sont immenses à cette période charnière. Reste à la charge des adultes à qui l’adolescent.e peut se confier de déterminer les tenants et aboutissants de la crise en question, pour ne pas passer à côté de troubles graves voire des premiers signes de psychopathologies, et a contrario de ne pas considérer comme pathologiques des adolescences un peu trop flamboyantes.

« Beaucoup de maladies mentales peuvent apparaître à l’adolescence comme les problèmes anxieux, dépressifs, les troubles du comportement alimentaire, la schizophrénie et les troubles psychotiques en général » appuie Philippe Hercberg. Qu’ils prennent une forme restrictive ou boulimique, les troubles du comportement alimentaire, qui touchent en très grande majorité des jeunes femmes, sont en effet la troisième maladie chronique en importance chez les adolescentes.

« Quelqu’un qui commence à ne plus manger, à perdre beaucoup de poids, ou qui a des idées suicidaires répétées qui se maintiennent dans le temps, un adolescent qui se coupe du groupe et évidemment un adolescent qui a des hallucinations, ce n’est pas "normal". Et ce même si les troubles anxieux, troubles dépressifs et troubles du sommeil ont explosé ces deux dernières années. Dans tous les cas, c’est l’entretien clinique qui permet de déterminer si cela relève de la pathologie. »

Cette période de vie est si singulière que le Journal officiel de l'Association mondiale de psychiatrie (AMP) a publié en début d’année un article affirmant qu'il était temps d'envisager la création d'une nouvelle sous-spécialité de psychiatrie, afin que les adolescents ne soient plus considérés comme des adultes dès l'âge de 16 ans.

L’adolescence est, si l’on devait la résumer, un temps décisif, une étape nécessaire pour se réaliser. Un temps, en somme, pour apprivoiser son panda intérieur, pour apprendre la valeur des émotions et l'importance de la patience.

The Walt Disney Company est l'actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.

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